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Pollutions

Québec : une usine empoisonne sa ville, l’État fermait les yeux

L'une des deux cheminées de la fonderie Horne, au Canada, en 2015.

Au Québec, une fonderie du géant Glencore ruine la santé de ses 650 employés et des habitants. Depuis cet été, les révélations s’accumulent sur l’ampleur de la pollution, à l’arsenic notamment. Les autorités locales savaient depuis 1979.

Montréal (Québec, Canada), correspondance

Deux immenses cheminées crachent les émanations de la fonderie Horne, rappelant à ceux qui lèvent les yeux que c’est encore elle qui domine la ville de Rouyn-Noranda, dans l’ouest du Québec. Marianne Saucier habite depuis quatre ans dans le quartier de l’entreprise, qui appartient au géant anglo-suisse Glencore : « On ne se rendait vraiment pas compte que c’était aussi dangereux », raconte-t-elle à Reporterre.

Car l’Institut national de la santé publique du Québec estime que la population a été exposée, par le passé, à des émissions de 1 000 ng/m³ (nanogramme par mètre cube) d’arsenic dans l’air, plus de 330 fois la norme actuelle [1]. L’espérance de vie des habitants vivant aux abords de la fonderie est plus basse que celle du reste de la population et le risque que les habitants de la ville développent un cancer est plus élevé. « Bien sûr que je suis inquiète pour mes enfants. C’est difficile d’intégrer tous les risques qui pèsent sur nos têtes », dit Marianne Saucier.

La faune est aussi touchée. Une étude concernant le lac Osisko, voisin de la fonderie, où il est interdit de se baigner, montre que les poissons sont contaminés au cadmium et au plomb. Les orignaux qui mangent les plantes environnantes en accumulent aussi dans leur organisme. Assez pour que manger 200 grammes du rein d’un orignal du coin équivale à ingérer « 1,7 fois la dose annuelle de cadmium recommandé », nous apprend le diffuseur public canadien.

Les deux cheminées de la fonderie Horne en 1979. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/François Ruph

Le silence des autorités

Les décideurs sont informés depuis longtemps des effets de cette pollution. Des révélations de Radio-Canada ont montré que, dès 1979, le gouvernement avait été alerté que les enfants de Rouyn-Noranda étaient contaminés à l’arsenic. Pour autant, les dirigeants qui se sont succédé au pouvoir ont laissé faire les cheminées de la dernière fonderie de cuivre du pays, autorisant encore aujourd’hui des niveaux d’émission d’arsenic trente fois supérieur à la norme. Et ce, sans tout dire des risques encourus. Il y a trois ans, l’ex-directeur national de la santé publique du Québec avait retiré d’une présentation publique des données sur les cancers du poumon, plus fréquents à Rouyn-Noranda, dévoilait Radio-Canada.

Pourquoi ce passe-droit sur les normes ? Certes, la fonderie était là avant que des limites ne soient fixées. La Horne se confond avec la ville. Après la construction de la fonderie et de la mine, la compagnie a fondé sa propre ville, Noranda. Elle a planifié « sa ville autour de sa mine […]. Comme on faisait à l’époque dans les “villes de compagnies” », explique-t-on dans le quotidien montréalais La Presse. De ce fort ancrage local, elle a su tisser un impressionnant réseau de fournisseurs, et génère près d’un demi-milliard de dollars par an au Québec. Toute une filiale du cuivre en dépend. Le gouvernement ne veut donc pas que le géant tombe, même si le Premier ministre a évoqué en septembre un possible référendum sur la fermeture de la fonderie.

La fonderie « fait les manchettes » (l’actualité), comme on dit ici, depuis cet été, et chaque jour, les Rouynorandiens découvrent l’ampleur des dommages pour leur santé. L’entreprise, elle, se dit prête à investir 500 millions de dollars pour s’adapter à de nouveaux critères de réduction des émissions, si le Québec veut bien sortir le portefeuille pour l’aider. Le plan présenté par l’entreprise pour corriger en partie le tir ne convainc pour l’instant ni les citoyens, ni la santé publique régionale. Il prévoit une réduction des émissions d’arsenic jusqu’à 15 nanogrammes par mètre cube, sur cinq ans, encore loin des limites actuelles.

Le Québec et Glencore ont jusqu’au 20 novembre pour s’entendre sur un plan et les consultations publiques se poursuivent. Marianne Saucier, elle, est découragée : « On apprend des choses tous les jours dans les médias et grâce à la santé publique régionale, mais le gouvernement nous a trop longtemps menti. Oui, je suis inquiète pour les gens de mon secteur… » Partir ? « Pour aller où ? Ça va être dur de vendre une maison ici vu ce qu’on entend. Et je laisserais ceux qui prendraient ma suite dans une situation impossible. »

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