Quel avenir pour les terres de la Zad de Notre-Dame-des-Landes ? On fait le point

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Agriculture Notre-Dame-des-LandesQuel sera l’avenir des 1.650 hectares de Notre-Dame-des-Landes ? Le mouvement anti-aéroport souhaite négocier une gestion collective, le gouvernement a posé un ultimatum au 31 mars, quand ceux qui n’auront pas de « titre de propriété » devront être partis. Quel est le statut des terres ? Où en est le droit ? Reporterre fait le point.
1.650 hectares de bocage. Pas mal, quand on sait qu’une ferme en France fait en moyenne 56 hectares. Retirez du total environ 400 hectares de routes, de bois et de haies, il reste 1.250 hectares et, en théorie, assez de place pour plus de 20 fermes.
En pratique, l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne règle pas tout. Reste en suspens l’avenir des terres de la Zad. La déclaration d’utilité publique (DUP) échue, l’État en est désormais le propriétaire, ont assuré à Reporterre les juristes consultés. Les regards se tournent donc vers le gouvernement.
« La vocation agricole des terres sera préservée. Les agriculteurs expropriés pourront récupérer leurs terres. […] Des installations agricoles pourront avoir lieu à partir d’avril dans un cadre légal », a indiqué le Premier ministre, Édouard Philippe, lors de son discours annonçant la fin du projet d’aéroport, mercredi 17 janvier en milieu de journée.
Des propos d’une obscure clarté : la « vocation agricole » des terres est certaine, mais de nombreuses questions demeurent. Dans cette situation complexe, deux cartes se superposent : celle de la propriété des terres et celle de leur usage.
L’État, lui, voit à travers le prisme de la propriété. Les terres se répartissent alors en trois catégories :
- Celles acquises à l’amiable par le département ou d’autres instances, au fur et à mesure des années : les ex-propriétaires ne pourront pas en demander la rétrocession. Alors, à qui iront-elles ? Qui décidera ?
- Celles acquises grâce à l’expropriation et dont les propriétaires ont accepté l’indemnité : sur ce sujet-là, les juristes consultés par Reporterre ont des avis divergents. Si jamais les anciens propriétaires souhaitent récupérer leurs terres contre le remboursement des indemnités, pas sûr que le tribunal accepte ;
- Celles acquises grâce à l’expropriation et dont les propriétaires ont refusé les indemnités : pour ceux-ci, pas de débat, ils pourront demander à récupérer leurs terres et l’État ne pourra pas le leur refuser.
Pour l’instant, difficile de savoir comment les hectares se répartissent entre chaque catégorie, car il faut désormais débuter un patient travail d’inventaire, parcelle par parcelle. Autre inconnue : on ne sait pas quels expropriés demanderont effectivement la rétrocession de leurs terres. Des incertitudes qui demanderont plusieurs mois, voire plus, pour être levées.
En attendant, il existe une autre carte de la Zad : celle de l’usage actuel des terres. Elle existe déjà, le mouvement anti-aéroport l’a réalisée. L’inventaire donne alors la répartition des terres suivante :

Les agriculteurs « résistants » retrouveront leurs terres
Un point met tout le monde d’accord. Sur les 1.250 hectares de terres agricoles, environ 450 sont cultivés par quatre agriculteurs qui sont restés, malgré les expropriations, et ont refusé les indemnisations de l’État. « Ils vont demander la rétrocession des terres dont ils avaient la propriété ou le fermage [bail agricole], et l’État ne peut pas refuser. La déclaration d’utilité publique [DUP] tombe le 9 février, et à partir de là, les expropriations n’ont plus de justification », estime leur avocat, Me Étienne Boittin. « Pour nous, c’est la fin d’une épée de Damoclès, on va enfin pouvoir faire des projets et passer en bio », témoigne Marcel Thébault, l’un de ces agriculteurs « historiques », devenu au fil des ans l’une des figures du mouvement anti-aéroport. Il est en plein chantier collectif de réalisation de piquets pour les clôtures lors du coup de fil de Reporterre.
En revanche, l’avenir est plus incertain pour les — environ — 850 hectares restants.
Lait, moutons, plantes médicinales, pain, etc.
Dans ce lot, tout d’abord, 250 hectares sont gérés par le collectif Sème ta Zad, fondé en 2013, rassemblant occupants et agriculteurs anti-aéroport du collectif Copain 44. Fruits et légumes, vaches laitières et allaitantes, cochons, moutons, cultures de céréales, pommes de terre, légumineuses, oléagineux… Les cultures collectives, destinées à nourrir la Zad et les luttes amies, sont diverses. En parallèle, des projets d’installation d’agriculteurs ont été accueillis. Marcel Thébault appelle cela les activités « monétisées ». Il énumère : « Il y a un couple qui fait du lait, un autre des plantes médicinales transformées [Lire le reportage de Reporterre], un troisième du maraîchage, un paysan-brasseur, un paysan-boulanger, un deuxième projet de plantes médicinales, et un projet d’élevage de moutons en train de se concrétiser. » Une « commission Installation » a même vu le jour, qui renseigne les candidats à l’agriculture sur la Zad. « Elle regarde comment le projet peut s’intégrer avec les diverses composantes de la lutte, comment aider à s’installer des gens sans faire d’emprunt, etc. » raconte Sébastien, habitant de la Zad et membre du groupe gérant la production de céréales et la transformation en farine. Lui répond rapidement au téléphone, avant de participer au coulage de la dalle de béton du nouveau hangar agricole.
Éviter l’agrandissement des exploitations voisines
Restent enfin 550 hectares, lesquels, loin d’être en friche, sont cultivés… Mais par des agriculteurs riverains de la Zad, via des baux précaires renouvelés chaque année avec le concessionnaire AGO-Vinci. Certains font même partie des agriculteurs expropriés par l’État, mais qui ont accepté de toucher les indemnités, et ont ensuite pu continuer à cultiver leurs terres en attendant que le projet d’aéroport se fasse. Au sein du mouvement anti-aéroport, l’avis est unanime : ils ne pourront pas continuer d’exploiter ces terres indéfiniment, encore moins se les approprier. « Ils n’ont pas posé d’acte de résistance, on leur demande donc de ne pas oublier qu’ils ont renoncé à ces terres-là », affirme Marcel Thébault. « Il faut quand même rappeler que cela fait dix ans qu’ils ne payent pas de fermage à AGO-Vinci pour l’utilisation de ces terres ! » explique Dominique Deniaud, porte-parole de la Confédération paysanne de Loire-Atlantique, syndicat fortement engagé contre l’aéroport. « Ils ne peuvent avoir le beurre et l’argent du beurre », résume Sébastien. Leur idée serait que, au fur et à mesure, les exploitants actuels de ces terres laissent la place à des agriculteurs qui s’installent.
Ainsi, pour ces 850 hectares, le mouvement anti-aéroport a déjà imaginé un avenir, formalisé depuis 2015 dans un texte intitulé « les six points pour l’avenir de la Zad », soutenu deux jours avant l’abandon par de multiples organisations locales et nationales. Quelques principes simples sont posés. Notamment, le fait que la gestion soit collective et assurée par « une entité issue du mouvement de lutte qui rassemblera toutes ses composantes ». « On a sauvé ces terres du béton, il est légitime qu’on les gère, complète Marcel Thébault. On est les mieux à même de préserver la biodiversité qui y vit, les activités qui s’y sont construites, et d’en faire un lieu ouvert. »

Autre « point » essentiel, les terres encore gérées par AGO-Vinci devront aller à l’installation de nouveaux agriculteurs. « On peut installer dix à quinze fermes », espère Vincent Delabouglise, paysan de Copain 44. « Surtout, on ne veut pas qu’elles aillent à l’agrandissement. Ici, le foncier doit rester un lieu dédié à l’expérimentation agricole, il doit permettre d’entériner une vision de l’agriculture qui va à l’encontre de l’industrialisation », complète Sébastien.
Car c’est un risque, si ces terres retournent dans le giron de la chambre d’agriculture, elles suivront les processus classiques d’attributions des terres. La priorité est donnée aux installations, certes, « mais s’il n’y a pas assez de projets présentés dans les délais, elles iront à l’agrandissement des exploitations voisines », redoute Vincent Delabouglise.

La solution juridique privilégiée par le mouvement serait alors que l’État reste propriétaire des terres et en cède la gestion via un bail longue durée à une structure juridique. Foncière, société civile, modèle « Larzac », peu importe, l’essentiel étant que les décisions soient collectives. Si l’État souhaite vendre, la commission « hypothèses d’avenir » cherche également des solutions pour un achat groupé.
Discours fermes contre espoir de discussion
Reste alors un obstacle de taille : le gouvernement peut-il entendre et accepter cette vision ?
« Est-ce que l’État va s’embarrasser d’une négociation ? s’interroge Raphaël Romi, avocat et juriste en droit de l’environnement. Si l’on se projette sur les autres cas d’abandon de DUP, la rétrocession des terres via un processus classique a été la solution privilégiée dans la très grande majorité des cas. »
Au niveau local, le relais de l’administration agricole, la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique, aimerait aussi que tout rentre dans l’ordre. « Le projet du mouvement d’occupation est contraire à la réglementation et à ce qui se passe dans les cas normaux d’installation agricole, souligne son président, Jacques Lemaître. Ils ont des animaux pas bouclés [1], sans contrôle de ce qu’ils mangent, on ne peut pas accepter cela. Après, si l’État décide de mettre en place une zone expérimentale, ce n’est pas à la chambre d’agriculture de l’assumer. »

Pour l’instant, l’exécutif semble aller dans le sens d’un retour à la normale : « L’État engagera une cession progressive des terres », a affirmé Édouard Philippe lors de son discours du 17 janvier. « L’État n’a pas vocation à les conserver », a ajouté Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement, le 19 janvier à Ouest France, avant d’ajouter : « Nous discuterons avec tout le monde, par principe, à une condition cependant : tous ceux qui ne seront pas détenteurs d’un titre de propriété pour leur terrain à la fin de la trêve hivernale devront être partis. S’ils ne sont pas partis au 31 mars, ils seront expulsés. » Dans le même temps, la préfète Nicole Klein maintient la pression et réaffirme que les 95 squats dénombrés par la préfecture doivent « disparaître ».
Les opposants à l’aéroport sont pourtant confiants. « On demandait trois garanties pour accepter de discuter : l’abandon du projet, la fin de la déclaration d’utilité publique, et pas d’expulsions. On a obtenu les deux premières, et un délai pour la troisième. Donc, c’est ouvert », assure Sébastien. « On a retrouvé des points évoqués en rendez-vous avec la préfète début janvier dans les déclarations d’Édouard Philippe, se félicite Dominique Deniaud. Il y a une écoute de notre projet. »
Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, a même évoqué, jeudi 18 janvier au matin sur Sud Radio, de « faire un certain nombre d’expériences sur des pratiques agronomiques, sur l’agriculture biologique », sur les terres de la Zad.
L’avenir de ce territoire « ne pourra pas se décider en deux mois, abonde le maire de Notre-Dame-des-Landes, Jean-Paul Naud. Il faudrait que l’on constitue un groupe de travail, sous l’égide de la préfecture, afin d’arriver à un accord à l’amiable sur la répartition de ces terres. Il faut éviter une évacuation forcée de la Zad, car cela crisperait tout le monde ».
Après le dégagement de la « route des chicanes » par le mouvement anti-aéroport, vu comme un préalable à toute discussion, la négociation devrait pouvoir commencer.