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Référendum ADP : la plateforme du gouvernement a-t-elle supprimé des votants ?

Alors que le recueil des soutiens se clôture demain, le 12 mars, le site du ministère de l’Intérieur dédié au référendum d’initiative partagée contre la privatisation des Aéroports de Paris est toujours truffé de bugs. « Un empilement d’incompétences graves dans une démocratie », dénonce un opposant à la privatisation.

Le compte à rebours bat ses dernières mesures. Les opposants à la privatisation des Aéroports de Paris (ADP) ont jusqu’à jeudi 12 mars, minuit, pour recueillir les signatures de 4,7 millions d’électeurs français nécessaires pour déclencher un référendum d’initiative partagée (RIP). Mardi 10 mars, leur nombre planait aux alentours de 1,07 million selon le collectif ADP RIP (pour Référendum d’initiative partagée).

Un score bien insuffisant pour enclencher le processus démocratique. D’autant que les problèmes à répétition du site internet du ministère de l’Intérieur consacré au recueil des signatures brident les citoyens qui souhaitent y participer.

Ces écueils ne sont pas récents. Dès son lancement, le 13 juin dernier, l’outil a été pointé du doigt pour son interface calamiteuse. « S’ils avaient voulu faire une plateforme anti-ergonomique, ils n’auraient pas fait autrement, fustige Benjamin Sonntag, cofondateur de la Quadrature du Net, nous sommes plusieurs geeks à ne pas avoir réussi à s’inscrire sur cette pétition. Il y a une volonté active de rendre cet outil non-démocratique. » Au point de motiver les internautes à rédiger leurs propres modes d’emploi pour participer. Mais ces tutoriels ne suffisent pas toujours. Car le site du ministère de l’Intérieur est programmé pour comparer les informations saisies avec celles enregistrées au répertoire électoral unique, administré par l’Insee. Une seule différence d’accent, ou l’absence d’un tiret, peut enrayer l’inscription. Ce souci du détail s’explique par la volonté d’empêcher des imposteurs d’endosser d’autres identité pour voter, mais ces mesures pour déjouer la fraude nuisent à la capacité des citoyens à participer au RIP.

Le formulaire de soutien à remplir en ligne.

Thérèse-Marie a eu beau s’inscrire dans le 5e arrondissement de Paris, où elle est enregistrée en tant qu’électrice, une erreur s’affiche systématiquement sur son lieu de vote à chaque tentative d’inscription. Persévérante, elle a tenté la manœuvre à plusieurs reprises, sur différents ordinateurs, en prenant soin de libeller exactement les éléments de sa carte d’électrice. Là résidait son erreur : elle utilise sa carte de 2017, et non de 2019. Sur la plus récente, ses seconds prénoms disposent étrangement d’accents supplémentaires. Une précision au caractère près qui a failli lui faire perdre son droit de participer au référendum.

Thérèse-Marie n’est pas seule à buter sur ces détails. C’est également le cas de Gérard, habitant de la Lozère. Pourtant usager d’Internet depuis 1996, il lui aura fallu de multiples essais avant de trouver la bonne combinaison de ses seconds prénoms. Lui aussi subissait une erreur à tort sur le nom de sa commune. « Quelqu’un qui n’a pas l’habitude d’Internet peut avoir beaucoup de mal », commente-t-il. Maïwenn, jeune active lyonnaise, n’aura elle pas réussi à aller jusqu’au bout du processus. Après une dizaine de tentatives sur le captcha final, elle a échoué à retranscrire les versions écrites et sonores du protocole de sécurité. « J’avais tout réussi jusqu’à cette étape, mais là c’est trop frustrant, j’abandonne », lâche-t-elle, dépitée.

Les homonymes supprimés du registre des signatures : 56.600 soutiens probablement rejetés

L’inefficience du site ne se limite pas aux inscriptions, il met également en danger les données de ses utilisateurs. Place Beauvau affirmait que son outil disposait d’excellentes protections pour empêcher l’aspiration de ses données. Le collectif ADP RIP, qui comptabilise le nombre de participants, prouve facilement le contraire. Pierre, un développeur au sein du collectif, n’a eu aucun mal à accéder aux informations de la plateforme pour dresser un graphique de la participation au référendum. Une personne mal intentionnée n’aurait pas plus de difficulté à récupérer les informations personnelles des votants — nom, prénom, courriel, ville… — pour les utiliser ou les revendre.

Les risques ? « C’est comme avec la majorité des “data breach” [les violations de données] : vulnérabilité accrue des personnes affectées, fichage marketing ou politique... » pointe Pierre. D’autant que le site du ministère de l’Intérieur collecte certaines données sans que la logique n’apparaisse pertinente : les signataires sont obligés d’entrer leur courriel, sans que ce dernier ne serve à leur envoyer une confirmation que leur signature a bien été prise en compte.

Outre la sécurité, le collectif ADP RIP a mis à jour un autre problème qui alimente l’inquiétude des participants : les noms homonymes seraient régulièrement supprimés du registre des signataires. « Sur la liste publique, certains noms sont des homonymes. Soit c’est la même personne enregistrée deux fois, soit ce sont deux personnes avec des noms identiques. Dans tous les cas, le ministère de l’Intérieur les valide, les publie, puis les supprime », dit Pierre. En tout, environ 56.600 soutiens ont probablement été rejetés selon le collectif ADP RIP. Le collectif liste également les multiples défauts subis par le site gouvernemental au fil des mois. Dans l’inventaire des erreurs : des mises à jour de plus de huit heures, en pleine journée et sans les avoir annoncées à l’avance, des bugs du formulaire de vérification d’identité, l’impossibilité temporaire pour les habitants de Paris d’apporter leur soutien… Autant de bévues qui empêchent régulièrement de nouvelles inscriptions.

Capture d’écran de la courbe de participation établie par le collectif ADP RIP.

D’autant qu’il est extrêmement difficile de vérifier si une signature a bien été prise en compte. Sans confirmation par courriel, il est obligatoire de faire valoir une demande sur le site à l’aide du récépissé récupéré en fin d’inscription. Gare à ceux qui auraient oublié de le télécharger, ils n’auront pas la possibilité de vérifier l’état de leur demande. Et même en sa possession, il n’est pas certain qu’ils parviennent à vérifier que leur nom est bien inscrit : une partie des récépissés ont été mal formatés, et il faut donc savoir où insérer un espace supplémentaire dans leur numéro d’identification pour pouvoir les utiliser.

« Il y a un empilement d’incompétences graves dans une démocratie »

Difficile de croire que ces erreurs auraient empêché 4,7 millions de Français de voter pour le référendum. Difficile également d’en nier l’impact. Impossible cependant de quantifier la part des citoyens dont la signature a été refusée. « On est en droit d’attendre qu’un site gouvernemental fonctionne, soupire Thérèse-Marie. Comment ne pas se laisser décourager surtout, et ne pas renoncer ? » Face à ces défauts à répétition, les opposants s’interrogent : le gouvernement a-t-il mis en place les moyens nécessaires à la bonne concertation des citoyens ? « Le site a été conçu en 2014, il y a des éléments qui d’un point de vue développement n’ont pas été mis à jour, dit Pierre. La vraie question est d’avoir accès au cahier des charges donné aux programmeurs : est-ce que les instructions ont été malhonnêtes ? Ou est-ce simplement un manque de moyens et de compétences ? »

Interrogé lundi 9 mars sur l’accumulation des problèmes liés à sa plateforme internet par Reporterre, le ministère de l’Intérieur n’a pas encore fourni de réponse. Néanmoins, face au tollé provoqué lors du lancement du site internet, le secrétaire général adjoint du ministère de l’Intérieur, Alain Espinasse, avait alors reconnu « un problème de paramétrage », sur l’un des serveurs hébergeant le site, tout en affirmant qu’il avait été résolu dans la journée. Il avait également admis que le site était « moins ergonomique » que souhaité. Neuf mois plus tard, le manque d’amélioration continue pourtant de frustrer les opposants à la privatisation. Pour Benjamin Sonntag, le constat est clair : « Il y a un empilement d’incompétences et de volonté de nuire qui sont graves dans une démocratie. Des démocrates auraient fait attention à la crédibilité et à l’utilisabilité de cette plateforme. Démocratiquement, c’est un échec. »

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