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Habitat et urbanisme

Séisme au Maroc : les maisons en terre crue critiquées à tort

Les défenseurs de la terre crue partagent tous la même crainte : que la reconstruction ne se fasse qu’en béton.

Jugées trop fragiles, les maisons traditionnelles en pisé sont critiquées après le séisme au Maroc. « Ce n’est pas la terre crue qui est en cause, mais la structure, l’ancienneté ou les malfaçons », estiment des experts.

2 497 morts et autant de blessés. Au Maroc, le bilan humain ne cesse de s’alourdir après le violent séisme qui a secoué le centre du pays dans la nuit du 8 au 9 septembre. Plus de la moitié des victimes ont été recensées dans les provinces d’Al Haouz et de Taroudant, deux zones rurales montagneuses au cœur du Haut Atlas. Des régions où les constructions traditionnelles, en terre crue et en pierre, sont nombreuses. D’où une critique, qui ne cesse de revenir : les maisons en pisé seraient le talon d’Achille du Royaume. Pourtant, plus que le matériau en lui-même, c’est plutôt l’ajout de béton et les problèmes d’entretien qui pèchent, assurent des spécialistes interviewés par Reporterre.

Que reproche-t-on exactement à la terre crue ? Les murs de ces maisons traditionnelles « ne sont pas stables et ne sont pas conçus pour résister aux tremblements de terre », résume Frédéric Léone, géographe spécialisé en gestion et cartographie des risques naturels à l’université Montpellier-III et fin connaisseur du Maroc. Interrogé par Libération, il précise : « On a constaté que les gens surchargeaient les toits des maisons en pisé. Originellement, les toitures sont en solivage, avec des poutres et de la terre. Mais pour se protéger de la pluie, les habitants rajoutent des bâches ou des dalles en béton. Tout cela aggrave la situation lors d’un séisme. »

« À chaque séisme, on dénigre la construction en terre »

Lorsque les familles veulent édifier des étages supplémentaires, elles « posent souvent des dalles de béton sur des murs fragiles, en briques crues, sans fondations, confirme, dans Ouest-France Omar Farkhani, l’ancien président de l’Ordre national des architectes du Maroc. C’est comme si les dalles flottaient. À la moindre vibration, les murs s’effondrent. » Il poursuit : « La plupart des habitants [du Haut Atlas] n’ont pas les moyens de payer des architectes et finissent par construire leurs maisons eux-mêmes, ou avec l’aide de maçons peu qualifiés. »

Des photos à 30 kilomètres de l’épicentre. « Le respect des disposition [du réglement parasismique] ainsi que la qualité de conception et de mise en oeuvre peut faire la différence », selon Oussama Moukmir. Oussama Moukmir / Facebook

Des propos qui agacent Andreas Krewett, ingénieur en génie civil, spécialiste de la terre crue, qui a longtemps vécu au Maroc : « Tous les bâtiments récents, construits notamment autour de Marrakech, n’ont pas connu de dégâts majeurs, souligne-t-il auprès de Reporterre. À chaque séisme, on dénigre la construction en terre, tout en omettant de dire qu’il y aussi de très nombreux bâtiments en béton qui sont par terre. » Même constat chez son collègue Daniel Turquin, qui bâtit des maisons écolos depuis quarante-cinq ans, notamment au Maghreb : « Un Marocain avec qui j’ai travaillé m’a dit que son hôtel en pisé, construit dans les années 1985, n’a eu aucun problème, alors que celui plus récent en béton a beaucoup de dégâts », raconte-t-il.

« On a mis du béton partout dedans et autour de ces maisons »

Pour les deux experts, le problème n’est donc pas la terre crue. « Face à un séisme d’une telle ampleur, peu d’édifices ont résisté près de l’épicentre, rappelle Andreas Krewett. Surtout, la région n’était pas considérée jusqu’alors comme à gros risques, les gens n’avaient pas construit en conséquence. » Un avis partagé par Oussama Moukmir, architecte marocain en écoconstruction, interrogé par Libération : « Ce n’était pas une région sismique, donc les anciens n’ont pas conçu des maisons qui résistent aux séismes », nuance-t-il.

« La terre crue présente pourtant de nombreux avantages, notamment le fait que c’est bien plus facile et moins coûteux à reconstruire. » Oussama Moukmir / Facebook

Les trois spécialistes pointent cependant un « problème d’entretien » de ces bâtiments, lié à l’exode rural, ainsi que de nouveaux usages qui ont fragilisé les édifices. « On a mis du béton partout dedans et autour de ces maisons, note Andreas Krewett. Les remontées d’eau et de sel depuis le sous-sol ne peuvent plus sortir comme avant, et se concentrent dans les murs, ce qui les affaiblit. » La bétonisation, qui imperméabilise les sols, aurait ainsi des effets pervers. « Le pavage des rues empêche les bâtiments de respirer, explique aussi Oussama Moukmir. On a introduit l’eau courante mais, comme il y a des fuites, à la longue cela affaiblit les fondations. La surélévation des étages et la surcharge des toits pèsent sur les piliers, etc. »

L’argile aurait donc bon dos ? « Je suis catastrophé d’entendre les médias mettre systématiquement en cause le pisé, dit Daniel Turquin à Reporterre. Ce n’est pas le matériau qui est en cause, mais la structure, l’ancienneté ou les malfaçons. » Pour lui, ce dénigrement constant de la terre provient avant tout d’un lobbying efficace des cimentiers. « Personne ne se fait du pognon avec la terre, alors qu’il y a de gros intérêts financiers derrière le béton », estime-t-il. Et d’enfoncer le clou : « Quand un bâtiment en béton se casse la figure, on met en cause les hommes et les malfaçons… Pourquoi ce serait différent avec la terre crue, qui existe depuis des millénaires ? »

Une crainte : que la reconstruction ne se fasse qu’avec du béton

De fait, les défenseurs de la terre crue partagent tous la même crainte : que la reconstruction ne se fasse qu’en béton, considéré comme plus solide. « Il ne faudrait pas qu’on rebâtisse tous les villages du Haut Atlas en parpaing », s’inquiète Sylvie Wheeler, artisane terreuse qui travaille avec notamment des Marocains. « Ils vont tout bétonner, il n’y aura plus de village, plus rien, ça va être affreux », assure également Oussama Moukmir.

« La terre crue présente pourtant de nombreux avantages, notamment le fait que c’est bien plus facile et moins coûteux à reconstruire », souligne Sylvie Wheeler. Grosso modo, il suffit de mélanger les débris argileux avec de l’eau pour fabriquer de nouvelles briques prêtes à l’emploi. Elle est aussi très isolante, dans un pays où les étés peuvent être caniculaires, et bien plus écologique que le ciment. « Il faut reconstruire en terre, en respectant les règles sismiques », enchérit Andreas Krewett. Les savoir-faire existent, la loi aussi. Le Maroc s’est en effet doté d’une réglementation parasismique, en particulier pour les édifices en terre. Elle ne s’applique pour le moment qu’aux constructions neuves.

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