Ses amis racontent comment Maxime a eu la main arrachée sur la Zad

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Cinq jours après la mutilation de Maxime Peugeot, dont la main a été arrachée par l’explosion d’une grenade GLI F4 à Notre-Dame-des-Landes, ses amis ont raconté à Reporterre ce qu’ils ont vu ce jour-là.
- Nantes (Loire-Atlantique), correspondance
Depuis quelques jours, les proches de Maxime regroupés autour du « Collectif du 22 mai » ont quitté la Zad pour se replier à Nantes. Le temps d’encaisser, de réfléchir, de se parler, de penser ensemble ce qui pourrait être juste, utile, pertinent. Et d’essayer de voir leur pote à l’hôpital. Sans succès.
Dans un café du centre, ils sont six. Ils griffonnent un plan, redisant la configuration de ce bout de bocage, le bois, le goulet d’étranglement des haies, expliquant les positions des gendarmes à ce moment-là, revenant sur ce qu’ils ont vu au bout de ce champ où Maxime Peugeot, leur ami, a eu la main droite arrachée par la déflagration de la grenade. Un modèle que les gens qui défendent la Zad ont dû apprendre à connaître, la GLI F4, qui n’en est pas à sa première blessure grave. Une grenade qui peut mutiler.
Difficile de laisser dans l’indifférence le général Richard Lizurey, qui commande les opérations des gendarmes à Notre-Dame-des-Landes, déclarer, la veille de cette rencontre : « C’est un incident qui malheureusement fait partie des choses qui peuvent arriver […] Moi, je regrette que ce jeune homme ait perdu sa main, ce n’est pas du tout quelque chose que l’on intègre d’emblée dans notre opération. Au contraire, notre travail c’est d’abaisser le niveau de violence pour qu’il n’y ait aucun blessé ni d’un côté ni de l’autre. »
Un effet de tenaille sur le mode d’une embuscade
« L’abaissement du niveau de violence » ne caractérise pas vraiment la période qui a précédé le moment où Maxime à eu la main arrachée. Ils et elles sont catégoriques :
Cela faisait 45 minutes que l’affrontement était de moindre intensité. On avait bien conscience qu’ils [les gendarmes] avaient atteint leur objectif, cerner la forêt de Rohanne pour déblayer les décombres de La Chateigne. Ils déblayaient déjà dans la forêt. De notre côté, ce n’était plus offensif du tout.
— On était à vingt ou trente mètres de la ligne de gendarmes. On les titillait par quelques cailloux, qui ne les atteignaient pratiquement jamais. Ou une fois sur trente, peut-être. C’était insignifiant. Ils nous envoyaient des lacrymos de temps en temps.
— Leur supériorité militaire était alors manifeste. Des gens parlaient d’aller manger. Un gars a mis des fleurs dans un étui de cartouche de grenade lacrymogène pour l’offrir aux gendarmes…
— Ils devaient être au moins deux cents gendarmes le long de la forêt de Rohanne et du chemin de Suez. Et plus encore autour de la Wardine. Dans le champ, nous, on n’était qu’une trentaine… Et si l’hélico n’était pas au-dessus de nous à ce moment-là, il avait déjà l’état de la situation. Avec ce survol de l’hélico précédemment et les drones, les gendarmes avaient parfaitement l’info qu’ils n’étaient pas en danger, qu’aucun renfort ne pouvait arriver de notre part pour les mettre en difficulté. D’autant qu’ils occupaient en nombre le secteur. »

En surnombre, les gendarmes maîtrisaient parfaitement le coin, verrouillé sauf du côté de Bellevue.
Trois ou quatre minutes [avant que Maxime ne soit touché], il y a eu une première charge, en face de nous. Une fausse charge, en fait. Ils ont reculé, on a repris notre place. C’est là qu’ont surgi du bois, par surprise, sur le côté gauche, une bonne dizaine de gendarmes qui ont dû lancer les grenades GLI F4 à la main. Une charge qui arrive dans un moment d’accalmie... »
Un effet de tenaille sur le mode d’une embuscade, les gendarmes surgissant du bois qui les dissimulait jusqu’alors.

Après des tirs de lacrymogènes, qui font moins de bruit, il y a eu plusieurs détonations de grenades GLI F4. Combien ? Je dirais deux ou trois. Là encore, c’est totalement disproportionné... »
C’est alors que le drame est arrivé. La grenade a dû tomber aux pieds de Maxime, qui l’a ramassée.
Ensuite,
Au moment où il a montré son bras, deux gendarmes sont arrivés vers lui, l’un deux l’a chopé, l’a mis à terre, et traîné un peu plus loin. Je voyais les jambes de Maxime. On criait sur les gendarmes. Les plus proches devaient avoir conscience qu’ils avaient fait un truc grave : au lieu de nous faire face, le gars au bouclier et son binôme regardaient en arrière, vers Max.
— Nous, on ne l’a pas vu, mais quelqu’un à côté de nous a dit après coup qu’il avait vu les gendarmes cacher le sang en mettant de la terre dessus, et ramasser les bouts de chair. Et ils ont aussi ramassé les restes de leurs grenades. C’est la première fois qu’ils nettoient derrière eux. Ils ne font jamais ça, le reste du temps... »

On a parlé d’une arrestation, qui aurait eu lieu au même moment. À part les gendarmes, personne n’a retrouvé cette personne. La legal team de la Zad, l’équipe de suivi judiciaire des gardés à vue et des poursuites pénales, n’en a pas trouvé trace. Mais tout le monde n’a pas le réflexe de lui donner des nouvelles.
Moi, j’ai vu l’arrestation. Quand les deux gendarmes sont venus vers Maxime, ce gus s’est approché aussi. Un gars qui n’avait jamais rien fait. Zéro projectile, rien. D’autres gendarmes l’ont pris par le pull et l’ont embarqué… »
Pourquoi une telle arme est en service, étant donné sa dangerosité ?
Regroupé dans le Collectif du 22 mai, ce groupe d’amis de Maxime est allé le lendemain du drame à l’hôpital de Nantes, pour tenter de rendre visite à leur ami.
À l’accueil, on nous a dit à quel étage il était, dans le service Réanimation traumatologie. Mais, devant sa porte, il y avait deux gendarmes mobiles. Ils ont contrôlé nos identités, nous ont filmé, ont pris en photo nos cartes d’identité. On n’a même pas pu savoir quel était le cadre légal de leur présence, puisque Maxime n’était pas en garde à vue et qu’aucune procédure n’est lancée contre lui. L’autorisation d’entrer dans la chambre, le médecin du service nous a dit de la demander aux gendarmes, qui, eux, ont dit qu’ils se référaient à l’avis médical… Puis qu’ils le protégeaient contre l’intrusion de journalistes… »
Ils n’ont pas d’avis à donner au sujet de la conférence de presse donnée par la famille de Maxime et leur défenseur, Me Hervé Gerbi. La stratégie de l’avocat, les déclarations de la famille ont leur propre légitimité.
On peut juste dire que Maxime, on l’aime, et qu’on n’est pas là pour une quelconque récupération politique ni pour en faire un martyr. On a fait un texte, « Les véritables questions à se poser face à la mutilation de Maxime », pour donner des éléments en plus, qui peuvent servir la défense. »

Les amis de Maxime ont tenté de mettre en lumière que le vrai problème n’est pas le fait d’avoir ramassé ou pas cette grenade, mais pourquoi une telle arme est en service, étant donné sa dangerosité. La disparition progressive de ce modèle de grenade GLI F4 est envisagé, selon L’Essor de la gendarmerie nationale.
Alsetex, l’entreprise basée en Mayenne qui fournit ces grenades aux forces de répression, ne s’est d’ailleurs pas embarrassée pour présenter la grenade remplaçante GM2 L : la même photo sert aux deux versions, avec TNT (GLI F4) ou avec système pyrotechnique (GM2 L). Pour le fabricant, l’effet est présenté sans la moindre différence…
Pour l’heure, Maxime Peugeot affronte un destin bouleversé par le choix au plus haut niveau d’utiliser des armes qui peuvent mutiler et potentiellement tuer.
Ses amis ont aussi ouvert un compte de solidarité, une cagnotte Leetchi pour tout ce dont Maxime pourrait avoir besoin dans les semaines et les mois qui viennent.
Cette caisse de solidarité sera remplacée dans quelques jours par une cagnotte des parents, spécialement ouverte pour soutenir les frais d’hospitalisation.