Panneaux solaires : dur dur de produire sa propre électricité

- © Marianne Tricot/Reporterre
- © Marianne Tricot/Reporterre
Durée de lecture : 13 minutes
ÉnergieTaxes, tarif d’achat… De nombreux obstacles freinent la démocratisation du solaire, que l’autoconsommation soit individuelle ou collective. Et ce, sans compter les arnaques. Enquête [4/4].
C’est l’image rêvée de ce que pourrait permettre le photovoltaïque : une installation sur un toit, sans empreinte au sol, qui couvre une part des besoins résiduels d’un logement, en renvoyant le surplus de production sur le réseau électrique. L’idée est excellente et, selon les projections de RTE, 4 millions de foyers pourraient être ainsi équipés en 2030. Pourtant, l’autoconsommation reste encore trop peu pratiquée en France. Selon Enedis, qui gère le réseau basse et moyenne tension, environ 100 000 foyers étaient raccordés début 2021 en autoconsommation individuelle.
Produire depuis chez soi ne veut pas nécessairement dire autoconsommer. Il y a deux situations : la vente totale, et l’autoconsommation avec vente de surplus. Dans le premier cas, on installe des panneaux chez soi, toute l’électricité produite repart dans le réseau, revendue à EDF qui la paye au foyer producteur.
Dans l’autoconsommation, l’installation photovoltaïque prend directement en charge une partie des consommations quotidiennes. Le réseau national n’est sollicité que ponctuellement pour acheter l’électricité qui manque ou récupérer le surplus non consommé. C’est cette option qui est très majoritairement choisie par les particuliers.
Logique de marché
Durant des décennies, il a été difficile d’envisager par les gestionnaires que des particuliers viennent s’immiscer dans un réseau global de production d’électricité centralisée dominé par de grandes centrales (hydroélectrique, nucléaire ou thermique). On parlait d’autoconsommation pour des systèmes en boucle fermée, quasi autonomes, dans les zones non interconnectées, îles, refuges de haute montagne ou pour des personnes ayant opté pour un mode de vie hors réseau.
Les choses ont heureusement évolué et depuis 2003, EDF est obligée de racheter l’électricité des particuliers. L’impact est « totalement neutre en termes de gestion et de dimensionnement du réseau », dit Hervé Lextrait, directeur du pôle transition énergétique pour Enedis. Pour lui, « la seule différence, c’est au niveau du comptage ».

Auparavant, il fallait en effet installer un second compteur, pour mesure la quantité d’énergie qui entre dans le réseau et celle consommée. « Mais le déploiement du compteur Linky a largement simplifié les démarches. » Le gestionnaire reconnaît que la montée en puissance des raccordements photovoltaïques en 2021 a eu « un effet un peu brutal », mais mise sur « l’agilité » de l’entreprise, qui a encore recruté 800 salariés et 1 200 apprentis en 2020 « pour contribuer à la transition écologique des territoires ».
Car un panneau photovoltaïque ne produit que quand il fait jour, la pointe de production maximale étant en milieu de journée. Or les consommations d’électricité ne coïncident pas avec cette courbe. Les pics de demande se produisent le matin entre 8 et 9 heures (au lever), entre 12 et 13 heures (si l’on est chez soi en journée), à 19 heures (préparation du dîner) et à l’heure du journal télévisé ou en début de soirée. Enfin, certains appareils comme le chauffe-eau électrique sont programmés vers 23 heures, là où la demande sur le réseau est plus faible.
Si elles ne se suivent pas, les courbes de consommation électrique et de production se superposent néanmoins sur une part non négligeable, ce qu’on appelle le « bruit de fond » électrique. Il s’agit de toutes les consommations constantes au cours d’une journée : lumière, frigo, box, écrans, etc. Des consommations pour une partie évitables la nuit, mais qui peuvent s’avérer nécessaires, notamment si la maison est occupée en journée.
Premiers pas vers l’autoconsommation
Certaines associations, comme Solarcoop, poussent justement à l’installation d’une production photovoltaïque de faible puissance, mais capable de couvrir ce « bruit de fond », sans passer par une logique de marché. Cette coopérative d’énergies renouvelables est née en 2021 à la suite d’initiatives citoyennes de parcs photovoltaïques participatifs dans le pays de Mornant, dans le Rhône. Ni installateur, ni promoteur, ni vendeur, cette Scic [1] se veut un « conseil indépendant, sans objectif de dividende », indique Michel Ollivier, son président.
En plus de fournir des conseils aux familles qui reçoivent des propositions commerciales douteuses, elle conseille un équipement léger de 0,1 à 0,3 kilowatt seulement, à brancher directement chez soi et qui compense précisément ce « bruit de fond » de consommation. Ce dispositif n’implique en revanche aucune revente sur le réseau, mais permet de retirer de la facture ce « talon » en essayant de viser un taux d’autoconsommation « supérieure à 70 % ». Attention : ces systèmes à installer soi-même se posent sur « un cabanon » ou même « au sol dans son jardin ».

Ces petites installations permettent de faire un premier pas vers l’autoconsommation, car augmenter la puissance installée amène à toucher du doigt plus finement nos besoins énergétiques du quotidien, l’heure et la manière dont on utilise l’électricité. Cela demande une certaine flexibilité dans son quotidien, un sens aigu de l’organisation et ajoute aussi (ou l’oublie souvent) une charge mentale supplémentaire pour maximiser le démarrage des équipements énergivores en fonction des heures de production solaire. Or, comme pour les autres questions écologiques, cette charge, directement liée au travail domestique, est pour l’heure surtout assurée par les femmes.
Reste qu’une fois adaptée aux pratiques du foyer et prise en compte dans le mode de vie, une installation de 3 kilowatts-crêtes (kWc) en autoconsommation adaptée et bien orientée ne peut permettre sur l’année de couvrir que 25 à 30 % de la consommation globale.
Pourquoi 3 kWc ? Parce que les dispositifs d’aides ne permettent pas aux installations en autoconsommation de conserver leur intérêt au-delà. Ce chiffre correspond à un seuil, presque arbitraire, provenant d’une étude réalisée au début des années 2000 par l’association Hespul, pour le compte de la région Rhône-Alpes. « On avait évalué à 3 kWc la puissance nécessaire pour fournir les 3 000 kWh de consommation annuelle hors chauffage dans la région », explique Mélodie de l’Épine, coordinatrice du pôle photovoltaïque de l’association. Sauf que cette évaluation est devenue un seuil de calcul, et même une importante barrière.
Un système décourageant
Pour un foyer qui autoconsomme, il existe deux modes de financement : d’une part une prime à l’installation, en fonction de la puissance installée, et d’autre part un tarif d’achat de l’électricité produite en surplus.
Problème, franchir cette frontière des 3 kWc de puissance fait basculer l’ensemble de l’installation dans des conditions tarifaires bien moins favorables. Le tarif d’achat global diminue, la prime de 380 euros baisse de 100 euros au-delà des 3 kWc, la TVA grimpe de 10 à 20 % et les revenus tirés de la production photovoltaïque deviendront imposables. Dès lors, au motif louable d’éviter tout effet d’enrichissement excessif comme durant la période 2006 à 2011, le système décourage toute volonté d’accroître les capacités à produire de l’électricité autoconsommée au-delà de 3 kWc, selon Solarcoop.
Pour « démocratiser le solaire », certaines entreprises tentent de plus en plus de proposer des offres d’autoconsommation clés en main. Mais cette fois, pas question d’aller proposer aux particuliers d’entrer dans la mécanique compliquée des tarifs de rachat.
Voici en vidéo l'une des installations solaires que nous avons récemment réalisées en Alsace avec 18 modules @qcells ML-G9+ full black ☀️ #panneausolaire #photovoltaique pic.twitter.com/mmgg84zPCl
— InSunWeTrust (@InSunWeTrust) February 22, 2022
La start-up In Sun We Trust, filiale de l’entreprise norvégienne Otovo, propose par exemple des offres de location longue durée (LLD) : un modèle économique qui rappelle celui de l’automobile, avec un contrat sur vingt ans, avec des facilités de devenir propriétaire au bout de dix ans, pour un loyer mensuel qui est normalement inférieur au montant des économies réalisées.
Le tout avec des « parcours digitaux » et une analyse à distance à partir d’un « cadastre solaire », qui permettra d’évaluer sans visite sur place l’installation adéquate en fonction de l’orientation, du type de tuiles ou de la pente. Le système est attirant, mais ne peut remplacer une observation fine du mode de vie du foyer et des marges d’évolution à sa portée, pour mesurer si l’autoconsommation est vraiment intéressante.
Le collectif peine à s’imposer
Autre piste pour massifier l’autoconsommation : viser le collectif, en mutualisant les productions et les usagers. Car dans un immeuble, tout le monde ne mange pas ou ne se lève pas à la même heure, et la production photovoltaïque sera d’autant mieux utilisée qu’il y a plus de consommateurs. On parle alors de « foisonnement ».
Si des expérimentations existaient depuis des années, cette notion d’autoconsommation collective n’a été introduite qu’en 2016 dans le Code de l’énergie. En 2019, le rayon pris en compte pour considérer qu’il s’agit bien d’une action collective a été étendu à 1 km de distance et une puissance cumulée de 3 MW, soit jusqu’à 200 foyers.

Mais aujourd’hui, cette solution demeure encore moins développée que l’autoconsommation individuelle. Déjà parce qu’elle implique souvent des copropriétés, au temps de décision beaucoup plus lent, voire nécessitant l’accord des propriétaires, les uns étant occupants, les autres simples bailleurs. En 2021, ce sont sur l’ensemble du pays 77 opérations qui ont été réalisées, soit un peu plus de 1 000 foyers. Et encore, « la moitié de ces opérations d’autoconsommation collective sont le fait de collectivités sur leur propre patrimoine », déplore Alexandra Batlle, chargée de développement pour le bureau d’études Tecsol et membre du groupe de travail sur l’autoconsommation de la Plateforme verte.
« Un frein fiscal et tarifaire dissuasif »
Cette association de promotion de la transition écologique regroupe des professionnels de l’habitat, du social et de l’énergie, et a récemment réclamé une fiscalité réduite sur le solaire « pour édifier un bouclier vert contre la précarité ».
« En autoconsommation collective, explique Alexandra Batlle, on va payer plein pot les taxes, dont la TVA, alors que l’autoconsommation individuelle en est exonérée. » C’est « un frein fiscal et tarifaire dissuasif », relève Fatima Naili, juriste du cabinet De Gaulle, Fleurance et Associés. Selon elle, « la directive européenne sur l’énergie a créé un cadre favorable exonérant l’autoconsommation de taxes pour un “usage propre” ». Mais la France ne l’a permis que pour l’autoconsommation individuelle.
Et difficile de faire bouger les lignes, car si l’énergie dépend du ministère de la Transition écologique, les taxes, elles, relèvent des douanes, et donc du ministère de l’Économie. Pour qui le sujet est loin d’être prioritaire. Pourtant, l’exonération de taxes pour l’autoconsommation collective, pour environ 1 million d’euros par an, permettrait selon Alexandra Batlle d’abaisser de 10 % le montant total de la facture des foyers participant à une telle opération collective.
De nombreux pièges commerciaux à éviter
En plus de son coût, le solaire sur des logements individuels n’est pas aisé à mettre en œuvre. L’un des obstacles réside dans les pratiques commerciales des installateurs eux-mêmes. De nombreux articles ont été rédigés ces dernières années sur des arnaques qui, même minoritaires, ont donné une très mauvaise image du secteur du photovoltaïque. Et le problème persiste : attention notamment aux offres malhonnêtes sur les réseaux sociaux.
Parmi les escroqueries les plus courantes, on trouve le devis gonflé à cinq chiffres (>10 000 euros) pour une installation standard de 3 kWc, là où une telle installation ne devrait pas dépasser 8 000 euros. Autre tromperie : le commercial qui vante un retour sur investissement en moins de dix ans — alors qu’il en faut réellement entre douze et vingt selon la région (sauf dans certaines zones du Var). L’autoconsommation n’est pas exempte de promesses non tenues, puisque sa rentabilité dépend fortement des usages au quotidien et du bon dimensionnement de l’installation.
En matière de travaux, les bonnes pratiques sont toujours les mêmes : demander plusieurs devis, travailler uniquement avec des professionnels certifiés (RGE, QualiPV), ne jamais signer dans l’urgence et toujours se méfier d’une offre qui parait particulièrement alléchante. Un site dédié créé par le ministère de la Transition écologique permet d’évaluer sommairement une proposition commerciale en fonction des caractéristiques de son logement.
Factures et autorisations
Autre rappel : la principale source d’économie sur sa facture reste l’isolation complète (sol, toiture, murs) et la rénovation énergétique de son logement. Dans un contexte de tension sur l’énergie, il est facile de se laisser convaincre, mais les panneaux photovoltaïques ne peuvent qu’apporter un léger complément et nullement couvrir toute la facture.
Une fois passés tous ces obstacles, reste une dernière étape : obtenir l’autorisation pour faire les travaux. Les architectes des bâtiments de France, qui dépendent du ministère de la Culture, appliquent une politique au mieux conservatrice, parfois complètement hors-sol par rapport aux enjeux contemporains. La doctrine française en matière paysagère est particulièrement lourde et surtout prescriptive.
Là où l’Autorité environnementale ou les commissions agricoles émettent seulement des avis consultatifs, le service d’urbanisme, lui, décide si le projet est conforme et s’il n’entraîne pas de « covisibilité » avec un patrimoine classé à 500 mètres de distance [2]. Pour les monuments historiques, la restriction s’applique même lorsque le monument est visible à l’œil nu, même au-delà de 500 mètres de distance. Dans tous les cas, il est conseillé de contacter ces services en amont de tout projet, pour éviter toute mauvaise surprise.
[4/4 Au sol ou sur le bâti ? La bataille du solaire] — L’énergie solaire est une piste essentielle pour se passer des énergies fossiles. Si son développement a tardé en France, les projets aujourd’hui se multiplient. Avec un enjeu de taille : manger des terres agricoles ou couvrir des zones déjà bétonnées. Reporterre a mené une enquête en quatre parties.