Stopper Lafarge et l’industrie du béton : une question de survie

Lors du bloquage d’un site fabrication de béton à Gennevilliers (92). - © NnoMan/Reporterre
Lors du bloquage d’un site fabrication de béton à Gennevilliers (92). - © NnoMan/Reporterre
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Entre son financement de Daech et son rôle dans le bétonnage de l’environnement, le cimentier Lafarge est un danger pour notre planète et ses habitants, écrivent les activistes dans cette tribune.
La presse a révélé la semaine dernière, via le dévoilement d’une note interne de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), que l’État avait connaissance d’un accord financier passé entre le cimentier Lafarge et Daech dès l’été 2014. Alors que l’on s’indigne de part et d’autre à juste titre à ce propos, nous, activistes issu⋅es de divers mouvements et organisations environnementales, estimons nécessaire de creuser un peu le problème et de revenir sur les moyens d’y répondre. En effet, Lafarge ne se contente pas, au vu et au su du gouvernement français, de financer le terrorisme. Lafarge est en guerre contre la planète et ses habitant⋅es. À l’époque de la 6ᵉ extinction de masse, l’industrie du béton est elle-même une arme de destruction massive qu’il convient de démanteler. Nous avons donc commencé à le faire.
Mardi 29 juin dernier, lors de l’action Grand Péril Express, sur le port de Gennevilliers (Ile-de-France), plus de 400 personnes ont occupé simultanément quatre infrastructures majeures alimentant le Grand Paris en béton, dont trois appartenant à Lafarge Holcim. Elles ne se sont pas contentées cette fois de bloquer provisoirement les sites, mais les ont à proprement parler « désarmés ». Diverses actions collectives se sont en effet déployées pour neutraliser les matériaux, inonder ou bétonner des machines, ensabler des réservoirs d’engins… De multiples altérations souvent plus discrètes et créatives ont également été effectuées aux quatre coins des sites. Il s’agissait d’interrompre le redémarrage de la production pendant plusieurs jours après notre départ et de démultiplier le coût financier du blocage. Après deux ans d’actions régulières d’ampleur contre les bétonneurs et vu leur surdité criante face à la détresse et à la colère des jeunes générations, il fallait passer un seuil.

Alors que la Cour de cassation, saisie par d’anciens salariés syriens constitués parties civiles, vient de reporter jusqu’à septembre sa décision sur la possible mise en examen du cimentier pour sa collaboration avec l’État islamique, et alors que des révélations sur les implications de Lafarge dans diverses affaires de pollution des eaux et de troubles à la santé publique ne cessent de paraître, il est crucial de rappeler que sur ces dossiers aussi, l’État fait volontairement la sourde oreille, en complice éclairé de ces scandales.
Cette alliance constitue une vision politique. De Gonesse à Saclay, de Saint-Colomban aux Sucs, Vinci, Bouygues, Eiffage, Lafarge Holcim et consorts continuent de nous couler sous le béton et les grands projets inutiles, à la demande des aménageurs institutionnels et avec leur appui renouvelé. À l’heure de la 6e extinction de masse, leurs engins, silos et malaxeuses nous tuent en toute impunité.
Le béton engloutit 25 m² de terres françaises par seconde
À l’échelle mondiale, la construction est en effet responsable de 39 % des émissions de CO₂. En France, ce secteur est à la fois le premier consommateur de ressources naturelles minérales, le second émetteur de gaz à effet de serre, et le premier producteur de déchets. En France, la surface de terres englouties sous le béton est d’un potager de 25 m² toutes les secondes, soit un stade de foot toutes les cinq minutes, ou un département tous les sept ans. L’artificialisation des sols joue un rôle majeur dans la disparition des espèces, et dans des catastrophes sanitaires comme la pandémie mondiale actuelle, ou naturelles comme les inondations meurtrières qui viennent de toucher l’Allemagne ou la Belgique. Nous ne voulons plus des innombrables morts causées directement par ces industries et nous ne pouvons plus rester immobiles face à des politiques qui nous privent d’avenir.
Face à l’ampleur du désastre écologique et social, nous appelons au soulèvement pour le vivant, et considérons comme absolument légitime et nécessaire de passer à des gestes plus conséquents afin de continuer à désarmer concrètement l’industrie du béton. Comme le propose le géographe suédois Andreas Malm dans son essai récent Comment saboter un pipeline : « Une raffinerie privée d’électricité, une excavatrice en pièce : saborder des biens n’est pas impossible après tout. La propriété n’est pas au-dessus de la terre : il n’y a pas de loi technique, naturelle ou divine qui la rendre inviolable dans la situation actuelle. »
