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TribuneHabitat et urbanisme

Pour une architecture frugale

Les choix urbanistiques affectent l’environnement à long terme, qu’il s’agisse d’étalement urbain ou d’émissions de gaz à effet de serre. Conscients de leur responsabilité, les auteurs de cette tribune défendent la « frugalité heureuse » en architecture et dans l’aménagement des territoires urbains et ruraux.

Alain Bornarel est ingénieur de l’École centrale Paris, fondateur du bureau d’études Tribu en 1986. Corédacteur de la HQE Haute Qualité environnementale, membre de Iceb et créateur organisateur du OFF du DD, il a reçu en 2007 la médaille d’argent de l’Académie d’architecture ; Dominique Gauzin-Müller est architecte-chercheur, enseignante, auteure et commissaire d’exposition, rédactrice en chef de la revue EcologiK 2007/2016, directrice de collections aux éditions Museo, professeur honoraire de la chaire Unesco-CRAterre, membre de negaWatt ; Philippe Madec est architecte, urbaniste (Paris & Rennes), professeur et écrivain, membre de l’Académie d’architecture et du chapitre Europe du Club de Rome, Global Award for Sustainable Architecture 2012, expert de l’ONU pour Habitat III 2016.


À la mi-janvier, nous avons pris l’initiative d’un Manifeste pour une frugalité heureuse dans l’architecture et l’aménagement des territoires urbains et ruraux. Il se fonde sur quelques certitudes essentielles et impérieuses : face aux dérèglements climatiques, environnementaux, énergétiques et sociétaux, nos domaines d’intervention connaissent de grands bouleversements, et sont appelés à en connaître de plus grands encore. Le temps presse.

Professionnels engagés de l’architecture et de l’aménagement du territoire, nous ne pouvons nous soustraire à cette responsabilité : nos domaines d’action émettent au moins 40 % des gaz à effet de serre pour les bâtiments, et bien plus avec les déplacements induits par les choix urbanistiques, telle la forte préférence pour la construction neuve plutôt que la réhabilitation. Ces choix suppriment, tous les dix ans, l’équivalent de la surface d’un département en terres agricoles. L’engagement collectif et individuel s’impose.

Face à ce mode de développement d’un autre âge qui paralyse la transition écologique et sociétale, des graines de possibles poussent sur toute la planète. Dans notre domaine professionnel aussi, il existe une approche alternative aux visions technicistes, productivistes, gaspilleuses en énergie et en ressources de toutes sortes. Celle que nous appelons « frugalité heureuse » et dans laquelle se reconnaissent les signataires du manifeste.

Réduire au strict minimum les besoins énergétiques par une conception bioclimatique

La démarche frugale vise d’abord à réduire au strict minimum les besoins énergétiques par une conception bioclimatique, tout en construisant des bâtiments agréables à vivre : la frugalité peut être heureuse. Nous savons faire, aujourd’hui, des édifices sains et confortables sans ventilation mécanique ni climatisation, voire sans chauffage.

L’immeuble de bureaux à énergie passive des architectes Baumschlager-Eberle, à Lustenau (Autriche).

Nous savons aussi nous passer de matériaux qui gaspillent les ressources. La construction en bois, longtemps limitée aux maisons individuelles, est mise en œuvre à présent pour des équipements publics d’envergure et des habitations collectives de plus de 20 étages. Les isolants biosourcés, marginaux il y a peu, représentent près de 10 % du marché et progressent de 10 % chaque année. La terre crue, matière de nos patrimoines, sort du purgatoire dans lequel le XXe siècle l’avait plongée. Toutes ces avancées consolident le développement de filières et de savoir-faire locaux à l’échelle des territoires.

La frugalité en énergie, matières premières, entretien et maintenance induit des approches low tech. Cela ne signifie pas une absence de technologie, mais le recours en priorité à des techniques pertinentes, adaptées, non polluantes ni gaspilleuses, comme à des appareils faciles à réparer, à recycler et à réemployer. En réalisation comme en conception, la frugalité demande de l’innovation, de l’invention et de l’intelligence collective. La frugalité refuse l’hégémonie de la vision techniciste du bâtiment et maintient l’implication des occupants. Ce n’est pas le bâtiment qui est intelligent, ce sont ses habitants.

Le bâtiment frugal se soucie de son contexte

Qu’il soit implanté en milieu urbain ou rural, le bâtiment frugal se soucie de son contexte. Il reconnaît les cultures, les lieux et y puise son inspiration. Il emploie avec soin le foncier et les ressources locales ; il respecte l’air, les sols, les eaux, la biodiversité, etc. Il est généreux envers son territoire et attentif à ses habitants. Par son programme et ses choix constructifs, il favorise tout ce qui allège son empreinte écologique, et tout ce qui le rend équitable et agréable à vivre.

Telle est la frugalité heureuse décrite dans le Manifeste, qui a reçu, au 3 février, plus de 1.600 soutiens. Ils viennent, pour l’essentiel, de professionnels (architectes, ingénieurs, urbanistes, paysagistes, programmistes, maîtres d’ouvrage), vivant et travaillant dans des territoires ruraux comme dans de grandes villes.

La « Wa Shan guest house » (Chine) des architectes Wang Shu & Lu Wenyu.

Une quarantaine de personnes morales y ont déjà adhéré, notamment le Conseil national de l’Ordre des architectes (Cnoa) et le Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France (Croaif), des associations de professionnels engagés dans le frugal (Iceb, VAD, e dans l’au, NOE, amàco), des agences d’architecture, des collectifs et des bureaux d’études. Plusieurs élus se sont associés à notre initiative dont Éric Piolle, maire de Grenoble.

Au gré de la diffusion dans de multiples réseaux, ce manifeste est sorti des frontières avec de nombreuses signatures venues d’une vingtaine de pays. En Italie, en Belgique, au Maroc, au Canada… on aspire aussi à une frugalité heureuse.


Pour signer le manifeste.

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