Taxer les superprofits : la planification écologique vue par des ONG

La taxation des riches et des entreprises climaticides (ici TotalÉnergies) était au centre de l'action menée par diverses associations écologistes, le 3 octobre 2023. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
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En marge d’une action à Paris visant les riches et les entreprises climaticides, des associations écologistes ont présenté, le 3 octobre, des mesures pour prendre un vrai « virage écologique ».
Paris, reportage
« Je suis à découvert ! » lance une jeune femme, une pancarte « Climate justice » (« justice climatique ») dans les mains, à l’assemblée clairsemée réunie sur l’esplanade des Invalides, à Paris. Face à elle, de faux députés somment des activistes, ayant revêtu pour l’occasion des tenues de pompistes rouge sang siglées « TotalÉnergies », de placer leurs billets de banque dans une caisse peinte en vert, ornée des mots « renouvelables », « agroécologie » ou « rénovation ». L’idée de ce happening, organisé par l’association 350.org au petit matin du 3 octobre : appeler le gouvernement à taxer davantage les entreprises polluantes — notamment TotalÉnergies — afin de financer la transition écologique.
La « taxation des superprofits » est l’un des piliers de la planification écologique alternative mise au point par le Réseau Action Climat, Greenpeace France, 350.org, France Nature Environnement et Oxfam France, présentée à la presse dans la foulée de cette action. Ce programme est une réaction à la « feuille de route » d’Emmanuel Macron pour réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre de la France d’ici à 2030, présentée lors d’une allocution télévisée le 25 septembre dernier.

« On a entendu les propos du chef de l’État, et on a rapidement compris que les changements structurants auxquels nous aspirons ne sont pas là », déplore Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. « On est dans une voiture qui roule vers un mur, on n’a pas besoin de ralentir un petit peu, on a besoin de changer de direction », affirme Elise Naccarato, responsable des campagnes et du plaidoyer climat au sein d’Oxfam France.
Les associations espèrent, avec leur feuille de route alternative, donner des pistes au gouvernement pour prendre le « virage » de la transition écologique. Elles aimeraient notamment que leurs mesures soient reprises lors les débats au Parlement lors de l’examen du projet de loi de finances 2024, prévu cette semaine. « Chaque degré compte, et chaque loi compte », insiste Anne Bringault, directrice des programmes au Réseau Action Climat.

Sobriété « indispensable », malus « réellement dissuasif »...
Premier axe de la proposition des associations : la sobriété. Le 25 septembre, Emmanuel Macron a défendu une « politique de sobriété mesurée ». « C’est un néologisme », s’agace Anne Bringault, qui déplore que l’on entende « moins parler » des économies d’énergie depuis quelques mois. La sobriété constitue pourtant un levier « indispensable » de la transition écologique.
Pour ce faire, la coalition d’associations propose de mettre en place un malus « réellement dissuasif » sur les véhicules les plus lourds : 1 300 kilos pour les voitures thermiques, 1 800 kilos pour les électriques. Selon Michel Dubromel, copilote du réseau énergie à France Nature Environnement, une telle mesure permettrait de « ralentir cette incitation à fabriquer des véhicules électriques très lourds et impactants », qui sont « nettement au-delà de l’entrée de gamme et des véhicules dont Monsieur et Madame Tout-le-Monde ont besoin pour aller au boulot ».

Les associations proposent également de réduire les volumes de production de vêtements (qui représentent 4 % de l’empreinte carbone du pays) de 2,5 % par an. Les pratiques de renouvellement « excessives » des modèles devraient également, selon eux, être interdites. En ce qui concerne les produits animaux, elles défendent la mise en place d’un moratoire sur les fermes-usines.
« Ce serait un signal très fort pour réduire le volume de production des fermes d’élevage », estime Jean-François Julliard, de Greenpeace France. L’agriculture est le deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre du pays, rappelle-t-il. « On n’a rien entendu dans la bouche du président sur le sujet. »
Autre chantier clé : la rénovation énergétique. Lors de sa prise de parole, le chef de l’État a surtout mis l’accent sur le changement du mode de chauffage, en proposant de produire 1 million de pompes à chaleur d’ici 2027. « Ce ne sera pas suffisant pour supprimer les passoires énergétiques, craint Delphine Mugnier, coprésidente du Réseau pour la transition énergétique (Cler). La priorité absolue, c’est d’accélérer la rénovation énergétique performante de tous les logements. »

Il faudrait, selon elle, augmenter le forfait du dispositif MaPrimeRénov’, stopper progressivement les financements aux monogestes de travaux afin d’encourager les propriétaires à effectuer des rénovations ambitieuses, et permettre aux plus modestes de rénover leurs logements avec zéro reste à charge. Le tout en pérennisant les services publics de conseil à la rénovation, contribuant à « rassurer » les ménages.
Un ISF climatique, car « l’argent existe »
Côté financements — le coût de la transition étant estimé à 66 milliards d’euros par an à l’horizon 2030 —, les associations défendent le principe du pollueur-payeur. Avec, en premier lieu, une taxation des superprofits. 8 à 12 milliards d’euros pourraient être amassés grâce à ce levier, selon Elise Naccarato, d’Oxfam France. Elle propose également de conditionner l’octroi d’aides publiques aux grandes entreprises à des critères écologiques (par exemple, une trajectoire de décarbonation cohérente avec les objectifs de la stratégie nationale bas carbone).
La création d’un impôt sur la fortune climatique (ISF) et la fin des exemptions de taxes sur l’aviation sont deux autres leviers recommandés par les associations. « Entre la TVA réduite sur les billets d’avion et l’exemption de taxe sur le kérosène, la fiscalité sur l’aviation est bien plus favorable que celle des transports décarbonés comme le train », dénonce Elise Naccarato.

En taxant davantage le secteur, l’État pourrait selon les estimations d’Oxfam gagner « jusqu’à 7 milliards d’euros par an, pour investir notamment dans le ferroviaire, en ouvrant des petites lignes, en développant le ferroviaire du quotidien, le fret... » « L’argent existe, c’est une question de volonté politique de le mobiliser », assure Soraya Fettih, de 350.org.
Malheureusement, regrette la militante, cette même volonté « semble aujourd’hui manquer ». Jean-François Julliard le reconnaît : parvenir à inscrire ces mesures dans le projet de loi de finances sera une mission difficile. Voire impossible. « Est-ce qu’on fait encore confiance à Emmanuel Macron ? Non. On a été trop déçus. »
Malgré tout, il juge qu’il est de leur « responsabilité », en tant qu’associations écologistes, de continuer à faire pression sur le gouvernement. « Chaque dixième de degré compte, confirme Elise Naccarato. On n’a pas le droit de se dire qu’on attend le prochain gouvernement, on n’a pas le luxe de baisser les bras. » « On ne lâchera pas », certifie Delphine Mugnier, du Clerc.