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Culture et idées

Un regard écologiste sur les Rencontres de la photographie d’Arles

Les 49e Rencontres de la photographie d’Arles se déroulent jusqu’au 23 septembre 2018. Parmi la quarantaine d’expositions, Reporterre en présente neuf qui pourraient attirer un œil écologiste.

  • Arles (Bouches-du-Rhône), reportage

Au départ, les Rencontres photographiques d’Arles étaient essentiellement tournées vers le travail artistique. Elles se sont diversifiées avec le temps et comme, dans la société, l’écologie y est chaque année un peu plus présente.

Matthieu Gafsou, avec son travail sur l’homme augmenté H+ est celui qui, sans doute, vous marquera le plus. Le débat sur le transhumanisme, la possibilité d’améliorer l’humain par la technique touche en effet à de très nombreux sujets. Matthieu Gafsou aborde le thème de manière progressive, en rappelant que les prothèses sont anciennes (attelle, lunettes, lentilles de contact), que d’autres s’ajoutent chaque année sans que nous ayons forcément de recul éthique (pacemaker, médicaments pris en continu, compléments alimentaires).

Matthieu Gafsou lors de la visite commentée de son exposition, le 4 juillet 2018.

Il aborde ensuite des sujets plus polémiques, comme la possibilité de s’implanter une puce ou d’utiliser celle-ci grâce un appareil très répandu qu’est le smartphone (avec déjà comme conséquence un transfert de certaines de nos fonctions de mémoire ou d’orientation). Il fait s’interroger, en images, sur les manipulations génétiques, les exosquelettes, les assistances par appareillage électronique… jusque sur les rêves d’immortalité, avec les laboratoires de cryogénisation. La beauté des photos présentées, l’intelligence des légendes font que l’on sort de là avec de multiples questions en tête. Une exposition qui reste en vous pour longtemps.

Matthieu Gafsou. Avec la transgenèse, des scientifiques ont transféré le gène de la bioluminescence présent chez la méduse « Aequorea victoria » à des souris. Cette propriété est utilisée par les chercheurs comme marqueur permettant d’analyser le développement de tissus ou d’organes, de tumeurs, etc. Fribourg, le 30 mars 2017.

Avec Révoltes intimes, Aurore Valade entre chez les gens pour les interroger sur leurs sujets de révoltes. Avec une mise en scène soignée, faite de pancartes et de textes posés dans la pièce à vivre de chacun, elle résume en une seule image tout un ensemble de pensées qui définissent les personnes rencontrées. Cela permet de faire ressortir des positions contradictoires et donc d’engager la réflexion et le dialogue.

Aurélie Valade, « Révoltes intimes ». Photo prise dans les Pyrénées, au printemps 2017.

Les migrants font l’objet de multiples travaux d’artistes, en photo comme dans d’autres domaines. À Arles, le travail de Frédéric Delangle et Ambroise Tézenas Des Sneakers comme Jay-Z présente une série de portraits d’exilés qui viennent d’arriver à Paris et qui se rendent au centre Emmaüs de la porte de La Chapelle pour y choisir des vêtements. Ils demandent à chaque personne — que des hommes, car le centre n’est pas mixte — son origine, son âge et l’explication du choix de ses vêtements. Ce travail à la chambre photographique se met à une juste distance entre l’intime et le visible. Il entre en résonance avec le travail de Patrick Willocq, qui s’est immergé pendant cinq mois dans le village de Saint-Martory, en Haute-Garonne, où durant l’été 2016, les 950 habitants ont vu arriver 50 migrants. Alors que le village se partage entre les « pro » et les « anti », le photographe propose un travail de mise en scène avec des décors hypertravaillés reconstituant des scènes symboliques de la migration. My Story Is a Story of Hope (mon histoire est une histoire d’espoir) présente entre autres sur un mur entier une représentation d’un pont sur lequel se trouvent des habitants du village qui tendent la main à des réfugiés présents sur un zodiac, l’accrochage de plusieurs dizaines de gilets de sauvetage collectés sur les plages de Lesbos, en Grèce, complète l’installation.

Sinem Dişli, « Tourbillon de sable », 2015. Les barrages sur l’Euphrate ont conduit à une inégalité de la distribution de l’eau entre la Syrie, l’Irak et la Turquie, et l’utilisation insensée de l’eau a entraîné une désertification de la région. L’enrichissement qui a accompagné la construction du barrage du côté d’Urga est en train de transformer ces plaines surirriguées et surcultivées, notamment par le biais des tempêtes de sable qui viennent des régions désertifiées du Moyen-Orient, condamnées à la sécheresse.

Les conflits actuels ou passés sont également source de plusieurs expositions. Olga Kravets, Maria Morina et Oksana Yushko, les deux premières, Russes, la troisième, Ukrainienne, se sont rendues à plusieurs reprises à Grozny, capitale de la Tchétchénie, pour voir comment se poursuit la vie après une guerre sanglante. Grozny, neuf villes présente en neuf chapitres ce qui se passe actuellement du côté des hommes, des femmes, de la religion, des ruines, du pétrole… et toujours de la guerre, car les attentats se poursuivent.

Autre conflit de plus en plus visible, celui qui divise la Turquie actuelle. Une colonne de fumée présente des œuvres photographiques turques qui ne peuvent pas être montrées au pays. Le titre s’inspire d’une immense colonne de sable provoquée par l’érosion des plaines en aval d’un barrage hydroélectrique. Beaucoup de photos de répression, une vidéo symbolique sur l’enfermement, etc.

Taysir Batniji, « Panneau d’agence immobilière à Gaza ».

Taysir Batniji, Palestinien, présente une exposition centrée sur l’immigration de sa famille aux États-Unis. Gaza to America, Home Away from Home présente au moins deux installations remarquables : une reconstitution d’une vitrine d’agence immobilière occidentale avec des annonces… où toutes les photos sont remplacées par des ruines de constructions bombardées par Israël. L’autre est un hommage aux châteaux d’eau photographiés par Bernd et Hilla Becher : même présentation en noir et blanc, mais il s’agit ici des miradors israéliens qui contrôlent les points d’accès à la Cisjordanie.

Le Projet Auroville, de Christoph Draeger et Heidrun Holzfeind présente deux documentaires vidéos d’entretien avec des habitants d’Auroville qui, en Inde, depuis 1968, essaient de construire une ville autour de valeurs humanistes. Les photos qui accompagnent les projections sont médiocres et les films ne donnent qu’une idée misérabiliste de ce qui se passe sur place. Dommage, l’utopie méritait mieux.

Il est possible de terminer son tour d’Arles par l’exposition du moine bouddhiste Matthieu Ricard, qui bénéficie d’une installation luxueuse dans un chapiteau en bambou de 1.000 m2 construit par Simón Vélez, un architecte colombien renommé. Contemplation présente 40 photographies prises dans l’Himalaya, accompagnées de petites phrases de spiritualité. Très reposant, mais aussi très dérangeant quand on voit que l’installation a été financée par Vinci.

Matthieu Ricard, « Contemplation », dans un incroyable chapiteau de bambou.

  • Les Rencontres de la photographie, 49e édition, à Arles (Bouches-du-Rhône), jusqu’au 23 septembre 2018.

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