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Étalement urbain

Une annexe de Rungis sur les terres agricoles de Gonesse ? Le doute plane encore

Le Premier ministre a annoncé l’arrivée d’une annexe du marché de Rungis dans le Val-d’Oise, sans préciser s’il allait s’installer sur les terres du triangle de Gonesse. Il a également confirmé la construction de la gare de la ligne 17 du métro du Grand Paris, et proposé la construction d’un campus dédié aux métiers de l’agriculture durable.

Les terres agricoles du triangle de Gonesse, au nord de Paris, vont-elles accueillir le futur marché alimentaire de Rungis ? Le doute plane encore après une conférence de presse donnée par le Premier ministre, Jean Castex vendredi 7 mai. S’il a confirmé l’implantation d’une annexe de ce nouveau marché, baptisé Agoralim, dans le Val-d’Oise, il n’a pas précisé son emplacement. « Je demande à la Semmaris [entreprise gestionnaire du marché de Rungis] de localiser ce projet dans l’est du Val-d’Oise en s’appuyant sur la plateforme logistique située à proximité. Il sera finalisé à la fin de l’automne 2021, après une phase de concertation que j’espère la plus large possible. »

Cela fait déjà plusieurs mois que des rumeurs courent quant à l’implantation d’une annexe de Rungis sur les terres du triangle de Gonesse, en vue de développer la vente de produits locaux, bio et en circuits courts. Pourtant, le site est loin d’être idéal, faute d’accès routiers adéquats.

De plus, construire un entrepôt gigantesque pour vendre des fruits et légumes en circuits courts est un non-sen, observe Gaspard Manesse, porte-parole de la Confédération paysanne d’Île-de-France : « Notre facteur limitant aujourd’hui, c’est la production, pas la commercialisation. Tous les producteurs en vente directe sont débordés et n’arrivent pas à pourvoir à la demande. » Selon les chiffres du groupement des agriculteurs biologiques (GAB), l’Île-de-France est passée en dix ans de 152 à 546 fermes bio, couvrant aujourd’hui 30 000 hectares. Une belle progression, qui reste cependant insuffisante pour répondre à la demande croissante en produits bio et locaux. D’autant que leur surface agricole utile ne représentait que 5,2 % du total des terres cultivées dans la région en 2020.

« C’est comme dire qu’on veut développer les librairies de proximité en ouvrant un entrepôt Amazon »

Pour certains acteurs du monde agricole, ce nouveau Rungis ne permettra pas d’améliorer le taux d’autosuffisance alimentaire régional, qui s’établit entre 6 et 7 %, selon le rapport du haut fonctionnaire Francis Rol-Tanguy.

« La grande majorité de la production en circuits courts se fait directement à la ferme, ou alors dans les petits marchés, sans intermédiaire. Construire un grand entrepôt pour vendre cette production est antinomique. C’est comme dire qu’on veut développer les librairies de proximité en ouvrant un entrepôt Amazon », poursuit Gaspard Manesse.

Dans sa conférence de presse, Jean Castex a déclaré que « la forte croissance démographique francilienne va entraîner une hausse de la consommation des produits alimentaires frais. L’urbanisation croissante en Île-de-France nécessite une nouvelle implantation du marché de Rungis dans le nord de la région pour l’approvisionner dans de bonnes conditions. » Mais pour le porte-parole de la Confédération paysanne d’Île-de-France, le Premier ministre fait fausse route. « Si on veut faciliter l’accès à la vente de produits locaux agricoles sains, il faut recréer une ceinture maraîchère périurbaine en installant des agriculteurs par une politique volontariste sur le foncier et pas en faisant des infrastructures commerciales. »

Un projet « incohérent »

Cette idée serait-elle aussi défendue par Jean Castex ? Dans son discours, le Premier ministre a confirmé la sanctuarisation des 400 hectares de la zone agricole du nord du triangle. Pour la partie sud (170 hectares où devait s’installer EuropaCity), il a évoqué la création d’un « pôle d’attractivité autour de l’alimentation en circuits courts et la production agricole de proximité ».

Une proposition qui pourrait ressembler au projet Carma, porté par le Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG). « C’est possible, concède Bernard Loup, président du CPTG. Carma est aujourd’hui prêt à démarrer, mais il faut une volonté politique pour le lancer. Même si je trouve que c’est incohérent de créer un projet agricole au sud, une zone agricole protégée au nord et, entre les deux, une gare de métro en plein champ ! »

Bernard Loup, président du CPTG, sur les terres de Gonesse en 2020.

Jean Castex a en effet confirmé la construction sur le triangle d’une gare de la ligne 17 du futur métro du Grand Paris express, qui serait mise en service en 2027. Le Premier ministre a affirmé qu’elle permettra de désenclaver la région en aidant les 62 % des actifs du département qui travaillent en dehors du Val-d’Oise et doivent subir les aléas quotidiens des transports publics. Une infrastructure contre laquelle se bat le CPTG, mais qui est soutenue par la présidente de la Région, Valérie Pécresse, ainsi que par quarante-six élus franciliens.

Cette gare se trouve dans la zone centrale du triangle de Gonesse. Une superficie de 110 hectares sur laquelle Jean Castex propose de construire une cité scolaire internationale, où 600 collégiens et 1 500 lycéens se formeraient aux métiers liés à l’alimentation et à l’agriculture biologique. Il a également évoqué la construction d’un internat. Mais ce bâtiment serait alors situé sous le couloir aérien de Roissy, où il est interdit d’édifier des logements permanents. « Ce campus des métiers, c’est une tarte à la crème dont on nous parle depuis longtemps. Mais cela ne va pas justifier une gare qui devait accueillir les 31 millions de visiteurs d’EuropaCity », signale Bernard Loup.

En définitive, le bétonnage des terres de Gonesse va bien se poursuivre, à l’encontre des propositions de la loi Climat, votée le 4 mai dernier, qui prévoit, entre autres, de stopper à l’artificialisation des sols.

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