Une bonne sœur plaque un écolo : récit d’une semaine de bisbilles en Ardèche

La congrégation La Famille missionnaire de Notre-Dame veut construire une église de 3 500 places. Les écologistes s'y opposent. - © Laura Cardin / Reporterre
La congrégation La Famille missionnaire de Notre-Dame veut construire une église de 3 500 places. Les écologistes s'y opposent. - © Laura Cardin / Reporterre
Durée de lecture : 4 minutes
La tension monte à Saint-Pierre-de-Colombier en Ardèche. Alors qu’un terrain commençait à être terrassé pour la construction d’une énorme église, les échauffourées entre écologistes et bonnes sœurs ont fait arrêter les travaux.
Saint-Pierre-de-Colombier (Ardèche), reportage
Une religieuse s’élance, et fait un plaquage à un homme. En pleine Coupe du monde de rugby, cette vidéo filmée par France 3 Régions fait le buzz. Derrière ces images tournées lundi 16 octobre se cache un bras de fer qui dure depuis plusieurs années entre une congrégation religieuse et des défenseurs de l’environnement.
Dans la commune de Saint-Pierre-de-Colombier (400 habitants) en Ardèche, la congrégation religieuse La Famille missionnaire de Notre-Dame compte construire une église de 3 500 places, des logements, un parking... Le permis de construire a été déposé en 2018 et, depuis, s’enchaînent actions en justice, manifestations, occupation des lieux par des écologistes opposés à ce mégachantier destructeur de terres et d’espèces protégées.
Énorme ! La bonne sœur qui plaque un écologiste… du grand spectacle en Ardèche où des religieuses défendent le chantier d’un futur centre religieux face aux militants qui bloquent à cause de l’impact sur l’environnement.
🎥 @ferro_nicolas
☝️plaquage non réglementaire pic.twitter.com/3wSyO7s3LO— Léo Chapuis (@leo_chapuis) October 16, 2023
La semaine dernière, alors que le terrassement d’un terrain commençait, l’affrontement entre les deux camps a franchi un cap. Le 12 octobre, les heurts ont conduit à stopper le chantier. Le 16 octobre, sous l’œil d’une douzaine de gendarmes, une quarantaine de militants se sont à nouveau introduits sur le chantier, provoquant la fureur des religieux. Le fameux plaquage a eu lieu alors que les écologistes tentaient d’arrêter la pelleteuse, tandis que les religieuses formaient une chaîne humaine et chantaient autour de l’engin afin de le protéger. Une trentaine de membres de La Famille missionnaire de Notre-Dame ont ensuite chanté des prières, tantôt en français, tantôt en latin. Vêtus de jupes et pantalons bleu foncé, tous identiques, ils étaient facilement reconnaissables.

« Les gens se sont repoussés dans les deux sens mais il n’y a pas eu de violence, nous n’avons procédé à aucune interpellation », détaille la capitaine de Largentière. Plusieurs militants se disent tout de même sidérés par la situation. Le 17 octobre, Daniel Calichon, habitant du village opposé au projet, a même été transporté aux urgences d’Aubenas à la suite d’une chute provoquée par les bousculades — les bisbilles continuaient en effet hier. « J’ai 69 ans. La personne qui m’a agressé pourrait être mon fils et c’est un religieux qui plus est... C’est inadmissible ! » Pas de quoi entamer sa motivation : « Si le chantier reprend, j’y retournerai », assure-t-il.
Une petite fleur « va nous permettre de faire couler le projet »
Pour l’heure, les opposants ont gagné la bataille : les travaux de terrassement sont à l’arrêt, comme l’a demandé la préfecture. Une victoire à nuancer car depuis quatre ans, le chantier avance. À petits pas certes, mais il avance. Une passerelle a notamment été construite sur le lit de la rivière, de même qu’une aire de retournement le long de la route principale. La bataille qui a lieu sur ce terrain nu est celle de la dernière chance. C’est ici que devraient être construits les bâtiments d’accueil des pèlerins. Et peut-être un jour une église — dont la construction est pour l’instant interdite par l’évêque de Viviers, qui la juge démesurée.
Sur ce terrain subsiste encore la dernière espèce protégée que le collectif Les Ami.es de la Bourges espère encore sauver : le réséda de Jacquin, petite plante parfumée du sud de la France aux fleurs blanches. Sa présence a été constatée en mai dernier par l’Office français de la biodiversité et le Conservatoire botanique national. « C’est un peu notre espèce parapluie... C’est elle qui va nous permettre de faire couler le projet », assure avec optimisme Pierrot Pantel, ingénieur écologue.

Pour les militants, cela ne fait aucun doute : le droit de l’environnement n’est pas respecté. La semaine dernière, l’association Les Ami.es de la Bourges et l’Association nationale pour la biodiversité ont porté plainte pour la destruction de cette espèce et l’altération de son habitat. De son côté, La Famille missionnaire Notre-Dame assure n’avoir jamais constaté la présence de cette espèce protégée et avoir mis en défens les espaces où la plante aurait été vue. Une hérésie pour Pierrot Pantel qui assure que l’ensemble de la parcelle fait partie du biotope du réséda de Jacquin.
Cela est-il susceptible de pousser la préfecture à suspendre définitivement les travaux ? C’est en tout cas ce qu’espèrent les opposants au projet. Jeudi prochain, porteurs de projet et opposants seront reçus, tour à tour, par la nouvelle préfète de l’Ardèche, Sophie Elizéon, pour trouver un terrain d’entente. Joint par téléphone, le service communication de la préfecture explique que cette réunion est organisée dans l’objectif de « trouver une porte de sortie de manière concertée ».