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Vélo, agriculture, télétravail... Les pistes pour réinventer la montagne

Chaque année, les durées d'enneigement diminuent. Ici, le pic du Midi d'Ossau et le pic Peyreget dans les Pyrénées-Atlantiques.

Alors que la saison de ski touche à sa fin, le chercheur Olivier Bessy revient dans cette tribune sur l’urgente transition des territoires montagnards.

Olivier Bessy est chercheur au laboratoire Transition énergétique et environnementale, sociologue du sport, des loisirs et du tourisme.



La saison de ski touche à sa fin, avec un constat : un déficit d’ennneigement record. Malheureusement, avec le réchauffement climatique, cette situation va se répéter, et précipiter la fin de ce modèle de développement montagnard qu’est la mono-industrie de la neige et du ski.

Des stations tentent bien de contourner cette diminution de l’enneigement avec des solutions techniques. Mais cette stratégie relève d’une vision à court terme. Le coût des machines utilisées, qu’il s’agisse des enneigeurs (même devenus plus économes en eau et énergie) ou du snowfarming (culture de la neige), est exorbitant et contribue à augmenter le déficit d’exploitation des stations. De même, les fortes tensions actuelles sur l’eau et l’énergie rendent impossible la poursuite de ces usages technophiles.

Sans compter que ce modèle ne tiendrait pas sans une perfusion permanente d’argent public : la station de Gourette, dans les Pyrénées-Atlantiques, bénéficie ainsi, dans le cadre de sa requalification, d’un plan d’investissement de 30 millions d’euros jusqu’en 2025, financé par le département, pour rehausser le front de neige de 1 400 à 1 600 mètres d’altitude et construire le nouveau télésiège des Bosses.

Aller vers des « stations en résilience »

Favoriser le passage de « stations en résistance » vers des « stations en résilience » est aujourd’hui une nécessité : en 2030, l’industrie touristique du ski ne sera plus soutenable écologiquement, ni économiquement, ni culturellement. Les travaux scientifiques sur l’augmentation des températures en altitude du fait du dérèglement climatique, tels ceux du Giec, ne nous laissent aucun espoir : entre 1 et 2 °C supplémentaires d’ici à vingt ans signifie une diminution inéluctable des surfaces et durées d’enneigement.

Pour adapter leur territoire, certaines communes proposent déjà d’autres activités touristiques que le ski : randonnées, trails, circuits vélos... Pxhere/CC0

Dans les années 1960, les stations de ski ont permis aux territoires de montagne de résister à l’exode rural. Les retombées économiques de cette conversion ont permis à de nombreux territoires de vivre, si ce n’est de s’enrichir comme les grandes stations alpines.

Aujourd’hui, pour survivre en moyenne montagne, il ne faut plus penser la station comme étant le moteur économique d’une vallée mais la considérer comme une activité parmi d’autres, incluse dans un territoire plus vaste. En fait l’idée est d’imaginer la montagne l’hiver comme elle est pensée l’été, avec des pratiques récréatives de nature, de bien-être et de découverte du patrimoine, qui pourront mettre en désir les différents lieux, et attirer des visiteurs toujours plus demandeurs de ressourcement et d’authenticité.

Retrouver une montagne vivante

Dans cette optique, il est nécessaire d’améliorer les liaisons entre les différents sites et de renforcer les projets à l’échelle valléenne, intervalléenne et transfrontalière. Dans la vallée d’Ossau, par exemple, les stations de Gourette et d’Artouste pourraient être associées pour proposer une offre plus riche et variée, avec randonnées, trails, circuits vélos, séjours balnéo, yoga ou relaxation...

La mise en valeur du petit patrimoine (églises, lavoirs, portes…), comme la proposition d’hébergements insolites et responsables sont aussi à encourager, de même que la création d’événements participatifs et identitaires. Le tissage de synergies plus fortes avec l’Espagne, notamment la vallée de Tena, la station de Formigal et le village de Sallent de Gállego, reste à penser dans une dynamique transfrontalière.

Parallèlement, il nous faut retrouver une montagne vivante, avec son agriculture, son pastoralisme, sa sylviculture, et donc favoriser l’installation de nouveaux artisans de la terre en développant une politique d’aides adaptée. Il faut aussi redévelopper tous les services en matière d’éducation, de soins et de loisirs qui ont pu disparaître avec la baisse de la démographie. Des tiers lieux pourront favoriser le lien social et faciliter le télétravail des nouveaux venus, comme le Cocotier(s) en gestation à Arudy, commune des Pyrénées-Atlantiques.

Pour Olivier Bessy, il est urgent de recréer une montagne vivante en y développant notamment le pastoralisme. Flickr/CC BY 2.0/AD 04

On peut aller encore plus loin en mobilisant l’intelligence collective afin de ne pas seulement « consommer » la montagne en hiver et en été, mais l’habiter avec bonheur toute l’année. En vallée d’Ossau, par exemple, une itinérance sensorielle et récréative, baptisée « Regards d’Aussau », a été élaborée par les étudiants du master tourisme de l’université de Pau sur une voie verte nouvellement créée entre le bas et le haut de la vallée de Buzy à Laruns.

Réorienter les investissements

D’autres activités sont à développer autour des énergies renouvelables et hydroélectriques, de l’économie numérique et du patrimoine matériel et immatériel (chants, danses, contes, costumes, artisanat…) afin de s’inscrire dans la transition écologique et attirer de nouveaux habitants.

Pour fonder un nouveau modèle de développement territorial et envisager un avenir durable pour la montagne, il est nécessaire d’éclairer au plus juste les prises de décision et de réorienter les investissements. Quoi de plus utile alors qu’une instance de concertation et de réflexion réunissant l’ensemble des acteurs concernés (politiques, économiques, touristiques, environnementaux, socioculturels…) autour d’experts qualifiés ?

Il n’est jamais aisé d’accepter « la destruction créatrice », même si on la sait nécessaire. Elle engendre inéluctablement controverses et conflits. Mais il faudra parvenir à les dépasser, car il est urgent d’entrer dans une transition territoriale responsable.

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