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Énergie

Zad de Lützerath : la « traîtrise » des Verts allemands

L'extension de la mine qui doit raser Lützerath a entaché la réputation de Berlin, qui campe sur ses positions. Ici, lors de l'évacuation de la zad le 11 janvier 2023.

Le débat autour de l’extension de la mine qui doit avaler le village de Lützerath, en Allemagne, a abîmé la réputation de Berlin. Et aussi celle des Verts, qui ont déçu certains écologistes.

Greta Thunberg interpellée par deux policiers allemands, une chaîne humaine face au gouffre géant d’une mine de charbon : les images de l’évacuation du hameau de Lützerath, promis à la destruction par l’énergéticien RWE, ont fait le tour du monde. « L’Allemagne se ridiculise » : les mots de Greta Thunberg, la plus célèbre des activistes du climat, ont résonné de l’Inde aux États-Unis, de la Turquie au Qatar, en passant par la France.

L’extension de la mine à ciel ouvert qui borde Lützerath, dans l’ouest du pays, abîme la réputation de Berlin. « D’un côté, extraire du charbon et évacuer les protestataires, parfois par la force ; et de l’autre, plaider pour plus d’ambition lors des conférences sur le climat ? C’est perçu comme de l’hypocrisie », explique Richard Klein du Stockholm Environment Institute au média allemand Climate.

Pour autant, ni les autorités ni la compagnie n’ont l’intention de renoncer au projet. L’évacuation s’est achevée en une semaine, contre six prévues initialement. La phase de destruction du hameau doit durer dix jours. « La mine pourra exploiter le sous-sol de Lützerath à partir de mars ou avril », a affirmé le 16 janvier un porte-parole de RWE au journal local Rheinische Post.

L’accord passé en octobre dernier entre RWE et les autorités prévoit la destruction de Lützerath en échange d’une fin accélérée de l’exploitation du bassin minier rhénan : la date de sortie définitive est avancée à 2030, contre 2038 auparavant. RWE abandonne également son projet de raser cinq villages voisins de Lützerath : Keyenberg, Unterwestrich, Oberwestrich, Kuckum et Berverath, qui comptent au total quelque 500 habitants.

Le parti écologiste sous pression

Signataire de l’accord, le parti écologiste des Grünen est sous le feu des critiques. La formation, qui cogouverne en coalition avec les sociaux-démocrates du SPD et les libéraux-démocrates du FDP, défend un « compromis inévitable » : « RWE a un droit légal à exploiter Lützerath », a expliqué la cheffe des Grünen, Ricarda Lang, le 19 janvier à la télévision publique ARD, faisant référence à de récentes décisions de justice rendues en faveur de la compagnie. En outre, les Verts assurent que le sevrage de l’Allemagne du gaz russe, en raison de la guerre en Ukraine, « nécessite davantage de charbon, de manière transitoire » afin d’assurer « la sécurité d’approvisionnement énergétique » du pays.

Un argumentaire inacceptable pour les militants proclimat, qui mettent en avant des études, comme celle de l’Institut allemand d’études économiques : non seulement l’Allemagne pourrait se passer du charbon de Lützerath, mais elle mettrait en danger ses objectifs climatiques en l’exploitant.

L’extension de la mine de Garzweiler 2 doit bientôt avaler le village de Lützerath. © Philippe Pernot / Reporterre

« Bien sûr, on ne peut pas dire que l’Allemagne va manquer son objectif uniquement à cause du charbon de Lützerath, a déclaré à Der Spiegel Luisa Neubauer, figure du mouvement proclimat outre-Rhin. Mais au rythme où va l’Allemagne, il n’y a aucune marge de manœuvre pour brûler ne serait-ce qu’une tonne de lignite [sorte de charbon particulièrement polluant] au-delà du nécessaire. »

La question divise

Au sein du mouvement, la déception est particulièrement grande. « Si les Verts ne s’opposent pas aux projets fossiles, de quel autre parti pouvons-nous attendre qu’il le fasse ? » interroge Luisa Neubauer. Dans les manifestations à Lützerath, les Verts ont été parfois accusés de « traîtrise ». Et au sein même du parti, la question divise. Plus de 2 800 membres du parti ont demandé l’arrêt immédiat des opérations à Lützerath, dans une lettre ouverte adressée à deux des leurs : Robert Habeck, ministre fédéral de l’Économie, et Mona Neubaur, ministre régionale de l’Économie du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Sans succès.

Lützerath peut-il compromettre l’avenir des Verts outre-Rhin, jusqu’alors en plein essor ? Sur la question du charbon, la population allemande entretient une position ambivalente : si 59 % des Allemands s’opposent à l’extension de projets miniers, 60 % se disent favorables… à un recours accru au charbon.

Pour l’instant, les Grünen ne semblent pas pâtir de leur décision. Certes, la confiance est entamée auprès du mouvement proclimat. Mais tous les sondages réalisés depuis le début de l’évacuation de Lützerath les donnent au-dessus du score qu’ils ont réalisé aux dernières élections outre-Rhin (14,8 % en 2021) : ils obtiendraient aujourd’hui entre 16,5 et 20 % des voix et sont le seul parti de la coalition au pouvoir à progresser. Le premier vrai test aura lieu le 12 février, à l’occasion des élections régionales du Land de Berlin. Le parti écologiste est second dans les intentions de vote, derrière les conservateurs de la CDU et devant les sociaux-démocrates du SPD.

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