Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

ReportageLuttes

Français, ils sont venus lutter à la zad de Lützerath

Écologistes, anarchistes, militantes en situation de handicap : de nombreux activistes ont afflué de France vers Lützerath en Allemagne pour s’opposer à l’expulsion de la zad. Rencontre.

Alors que la zad de Lützerath a été expulsée dans sa totalité par la police et est en cours de démolition, des centaines d’activistes restent mobilisés dans les alentours, venant du « Unser Aller Camp » (« Notre camp à tous ») — un campement à Keyenberg, le village voisin. Mardi 17 janvier, deux mines de charbon ont été occupées durant plusieurs heures par le collectif Ende Gelände, et des actions en solidarité ont eu lieu dans toute l’Allemagne. Greta Thunberg a été arrêtée avec environ 200 autres activistes aux abords de la mine de Garzweiler 2, qui doit bientôt avaler le village de Lützerath. Parmi les activistes sur place, plusieurs personnes originaires de France sont venues « par solidarité ».

Sancho : « Je resterai le temps qu’il faudra »

Sancho, la trentaine, est un activiste du Limousin. Ici, lors de la manifestation d’Ende Gelände à Lutzeräth, le 17 janvier 2023. © Philippe Pernot / Reporterre

Sancho — « Je me rends à toutes les luttes dès qu’il faut défendre des humains ou l’environnement : j’étais à Notre-Dame-des-Landes, à la zad du Carnet ou encore de la Dune, j’ai soutenu les Gilets jaunes… Je manifeste depuis six ou sept ans : l’important, c’est qu’on soit toujours nombreux et solidaires pour défendre des causes, même si elles ne semblent pas nous concerner directement. Si un jour il devait se passer quelque chose chez moi, dans le Limousin, j’aimerais que des gens viennent aussi en soutien. Je suis anarchiste dans l’idée du partage, du vivre ensemble, dans la consolidation des alternatives.

J’ai découvert la lutte de Lützerath l’an dernier en restant dix jours dans la zad. C’était magnifique et vivant, comme une sorte de festival permanent. Participer aux luttes en Allemagne est très intéressant, c’est différent de la France. Le camp est très organisé, il y a beaucoup de structures dédiées au mental, à des tâches précises, et même à l’organisation des prochaines actions… En France, tout est souvent plus spontané, moins organisé. Après, il y a le froid et la boue, il faut se serrer les coudes, mais la météo ne nous fera pas reculer. Je resterai le temps qu’il faudra. »


Suma : « C’est l’action la plus risquée de ma vie »

Suma, la vingtaine, nassée avec presque 200 autres activistes au bord de la mine Garzweiler 2 pendant une action d’Ende Gelände, le 17 janvier 2023. © Philippe Pernot / Reporterre

Suma — « Je suis originaire de France, mais je vis aux Pays-Bas. Je suis à Extinction Rebellion depuis trois ans et c’est ma première fois à Lützerath. J’en ai entendu parler l’an passé, c’est l’une des mines qui produit le plus en Europe, je trouve ça fou qu’ils veuillent l’agrandir. Je suis là pour montrer ma solidarité avec ceux qui vivent ici depuis deux ans.

C’est l’action la plus risquée de ma vie, notamment avec la grande manifestation de samedi [14 janvier]. J’étais en première ligne et j’ai été tapée au visage par des gants coqués, ils visaient mon visage. J’ai reçu beaucoup de coups de matraque ainsi qu’un coup de pied avec des semelles renforcées, ça me fait pas mal de bleus. C’était très dur psychologiquement, j’étais très énervée contre la police. Malgré la fatigue, je suis revenue : Lützerath est tombée, il faut montrer au public notre détermination, ce sont les ultimes actes de résistance qui comptent.

L’action est aussi très stressante. Nous avons couru dans la boue sur des kilomètres, avons été chargés par la police et sommes nassés au bord de la mine. Jusqu’ici ça s’est bien passé ; je suis contente que Greta Thunberg soit là, cela nous protège et nous donne un coup de projecteur. »


Cécile Lecomte, “L’Écureuille” : « Avec ma chaise roulante, il est possible de protester »

Cécile Lecomte, surnommée « L’Écureuille », ancienne championne d’escalade en 1997 et maintenant activiste en fauteuil roulant, a escaladé un pont pour bloquer la relève de la police lundi dernier. © Philippe Pernot / Reporterre

Cécile Lecomte, « L’Écureuille » — « Je grimpe depuis que je suis toute petite, je fais des actions nécessitant de l’escalade [sur arbres, ponts, bâtiments] depuis le début des années 2000. J’ai une chaise roulante depuis 2018 : c’est la polyarthrite, une maladie évolutive qui te bouffe les articulations. La plus grande partie de ma vie, et de mon activisme, je l’ai fait sans handicap, et j’essaie de continuer. Je me suis beaucoup engagée à Bure, à Flamanville [contre le nucléaire], contre les trains Castor [des convois radioactifs]. Je suis originaire du Grand Est, mais je vis en Allemagne pour rester proche de toutes ces luttes.

Depuis mon handicap, je participe notamment à des actions contre la non-accessibilité des transports, par exemple contre la Deutsche Bahn à Francfort. Je participe à plein de manifs, des blocages. Pendant la manifestation du 14 janvier, ma chaise roulante était pleine de boue, avant d’être évacuée par les policiers sous les vivats de la foule. Aujourd’hui, les unités spéciales de la police allemande qui m’ont reconnue m’ont même dit : « C’est un honneur de vous avoir évacuée, Mme Lecomte » (rires).

Il y a souvent du respect, ou du moins les policiers ne savent pas quoi faire de nous. Mais, en fauteuil roulant, on est plus vulnérable quand il y a des situations de panique, de foule : on ne peut pas tourner facilement et partir quand il y a une charge. On s’est souvent pris les canons à eau et du gaz poivré, beaucoup d’insultes validistes. Je veux montrer que c’est possible de protester.

Quelque part, je me sens plus bloquée dans la vie quotidienne en ville, avec toutes ses barrières, que pendant l’activisme. Ici, le camp est presque entièrement accessible si ce n’est pour la boue. Et, dans les arbres, j’ai mon système de mouflage [avec une poulie] qui ne demande que très peu de force pour monter. Je peux me tirer toute seule vers les cimes avec ma chaise roulante, je suis libre. »


Magouille : « On est là pour montrer la solidarité dans nos luttes »

Magouille (à d.), assis sur le toit d’un hangar en cours d’évacuation pendant l’expulsion de la zad, le 11 janvier 2023. © Philippe Pernot / Reporterre

Magouille — « Le maintien de l’ordre en Allemagne est vraiment différent : il se veut désescalatif et se joue au contact. Les policiers chargent avec des gants, des matraques et du gaz poivré, mais sans LBD, grenades de désencerclement, barrages de tirs lacrymogènes, contrairement à la France. À Lützerath, ils se contentent d’évacuer les zadistes et ne font que très peu d’arrestations.

En face, les activistes se sont adaptés, et ont principalement adopté la désobéissance civile non violente : ils et elles se laissent porter hors des chaînes humaines sans opposer de résistance physique. La tactique était de retarder au maximum la démolition de Lützerath et de mettre le plus de bâtons dans les roues de la police. En France c’est différent, on se défend plus âprement, car on sait qu’on risque gros, entre ratonnade, arrestation, blessures graves…

Mes copains et moi étions juchés sur le toit de ce hangar, encerclés. On est là pour montrer la solidarité dans nos luttes, créer des liens et apprendre. Les zad allemandes sont très inspirantes en termes d’auto-organisation, de consensus, des espaces sûrs pour personnes racisées et non genrées. Les cabanes dans les arbres, plus difficiles à évacuer, se généralisent en France aussi, et la tactique des différents cortèges utilisés aux mégabassines ressemblait beaucoup aux actions anticharbon d’Ende Gelände. »

Alors que les alertes sur le front de l’environnement se multiplient, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les dernières semaines de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela.

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre ne dispose pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1 €. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

Abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre
Fermer Précedent Suivant

legende