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Transports

18 vols en mai : l’hyperactif jet privé de Bernard Arnault

Le compte Instagram @laviondebernard calcule les émissions de CO2 rejetées par le jet privé de Bernard Arnault, milliardaire patron de LVMH. Ses créateurs veulent ainsi « rendre visible l’injustice climatique ».

Le patron de LVMH, groupe de luxe, est décidément une source intarissable d’inspiration. En 2019, le site de conversion de monnaies Mataf avait lancé un outil qui calcule en combien de secondes Bernard Arnault — troisième fortune mondiale — gagne votre salaire annuel. Le 18 mai, un compte Instagram s’est concentré sur le jet privé du milliardaire (sa fortune est estimée à 148 milliards d’euros en 2022). @laviondebernard permet de suivre ses trajets afin de « rendre visible l’injustice climatique par un exemple simple », disent les créateurs du compte Instagram contactés par Reporterre« un garçon et une fille de moins de 30 ans » préférant rester anonymes. « Les principaux responsables du réchauffement climatique (individus, pays) sont aussi ceux qui en souffrent et en souffriront le moins. Le transport aérien représente [certes] seulement 2 ou 3 % des émissions de gaz à effet de serre [1], mais c’est en fait une minorité de la population qui est responsable de la majorité des émissions du secteur. »

Capture d’écran du compte @laviondebernard.

Le principe est simple : en utilisant les données de vol disponibles publiquement sur OpenSky-Network et en se basant sur la consommation moyenne de carburant utilisée par ce modèle de jet privé Bombardier Global7500, alias F-GVMA, @laviondebernard calcule les émissions de CO2 générées par ces différents voyages. Rien que pour le mois de mai 2022, l’avion de LVMH a émis 176 tonnes de CO2 au gré de dix-huit vols… dont un trajet Londres-Londres de 10 minutes le 28 mai. Ce dernier a rejeté 200 kilogrammes de CO2 sachant qu’en moyenne un Français émet 11,5 tonnes de CO2 par an. Cet objectif issu de la stratégie nationale bas carbone pour 2050 vise à limiter le réchauffement climatique à 2 °C dans le cadre de l’accord de Paris de 2015. Pour Charlène Fleury, coordinatrice de la campagne aviation pour l’association écologiste Alternatiba, @laviondebernard est un « super travail de vulgarisation, très important, qui, en donnant des ordres de grandeur, permet de mettre en évidence le fait que les inégalités sociales sont un moteur de dérèglement climatique ». Ainsi, le mode de vie du milliardaire est non seulement climaticide mais, en plus, « il sape l’action collective : on n’a pas forcément envie de faire des efforts pour le climat quand on voit que Bernard Arnault est en train de cramer la planète. Il faut donc s’attaquer d’abord aux plus riches pour trouver des solutions qui soient justes socialement ».

Lire aussi : Aviation : 1 % de la population mondiale responsable de la moitié des émissions de CO2

Si les créateurs du compte expliquent effectuer le « suivi de l’avion, pas de Bernard » et ne pas savoir en soi si « des personnes spécifiques sont à bord » de celui-ci, les trajets du jet privé de LVMH sont tout de même des symboles de « l’injustice climatique ». « Ce genre d’information est en général cachée par les grands pollueurs, qui maîtrisent parfaitement leur image », disent-ils. Alors que faire ? Ils souhaitent une « action politique forte » : « La transition écologique passera par les petits gestes, mais pas uniquement. Les petits gestes ne serviront pas à grand-chose s’il n’y a pas un bouleversement des structures qui dominent notre modèle économique. »

Il faudrait « un appareil législatif plus contraignant », dit Charlène Fleury à Reporterre. Déjà, « si le kérosène était taxé, cela permettrait de changer un peu la donne : cela aurait des effets à la fois sur l’aviation commerciale mais aussi sur le business des jets privés ». Elle précise que le calculateur @laviondebernard « ne prend en compte que le CO2, et pas forcément l’impact des autres gaz à effet de serre » — comme les oxydes d’azote (NOx) rejetés en altitude par les réacteurs. [2]

« Il faut s’attaquer d’abord aux plus riches pour trouver des solutions justes socialement »

En 2018, 50 % des émissions de CO2 liées à l’aviation dans le monde étaient le fait de 1 % de la population, et ce alors que, cette même année, seulement 11 % de la population mondiale avait pris l’avion au moins une fois.

D’après des statistiques de l’Ebaa (Association européenne de l’aviation d’affaires), les vols en jet privé en Europe ont augmenté de 22 % en 2021 par rapport à 2019. Le secteur a profité de l’arrêt forcé de l’aviation commerciale durant la pandémie de Covid-19. Ces voyages-là sont 5 à 14 fois plus polluants que les vols commerciaux, selon cette étude de l’ONG belge Transport & Environment. On voit mal comment l’industrie aéronautique atteindra la neutralité carbone d’ici 2050, un objectif que l’Association internationale du transport aérien (Iata) annonçait en octobre 2021.

Les voyages en jet privé sont 5 à 14 fois plus polluants que les vols commerciaux. Pixabay / CC / Vali Greceanu

Bernard Arnault n’est pas le seul à apprécier les trajets en jet. Le 10 avril dernier, pour aller voter à la présidentielle, l’ancien Premier ministre Jean Castex effectuait un vol aller-retour Vélizy-Villacoublay-Perpignan, générant ainsi près de 5 000 kilogrammes de CO2.

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