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ReportageQuotidien

À Montpellier, le vélo revendique sa place

Depuis longtemps inadaptée au vélo, la capitale languedocienne s’ouvre timidement à l’accueil de la petite reine. La mobilisation des cyclistes après un mot malheureux du maire a joué un rôle central dans cette « vélorution ».

  • Montpellier (Hérault), reportage

Casque fluo vissé sur sa tête blonde, Léa, 5 ans, descend à vélo l’avenue de La Gaillarde, le regard concentré. Maude, sa mère, la suit de près et lance des petits « freine », « doucement » à intervalles réguliers. Juchée sur une longue bicyclette, elle transporte Siméo, 2 ans, ainsi que les cartables. Le père, Pierre, ferme la marche avec Alana, 3 ans, installée sur le porte-bagage arrière. Le convoi familial dévale la rue, bien rangé sur la droite. Sur cette avenue passante, point de bande ni de piste cyclable. À 8 h 30, les véhicules affluent, formant vite des files d’automobilistes impatients.

La famille Lacoste devant l’école.

Arrivés sur la rue de Las Sorbes, les cyclistes passent sur le trottoir, car la route est trop étroite et encombrée pour les accueillir sans danger. Les piétons se serrent contre le mur, tandis que la petite équipée les double précautionneusement. Dernier obstacle quelques mètres plus loin : le carrefour de l’avenue d’Assas. Voitures, bus et camions assurent un ballet vrombissant continu, interrompu par de brefs passages au vert d’un bonhomme lumineux. Mieux vaut poser pied à terre et se mêler à la foule pédestre. Devant l’école, enfants et parents sont nombreux à garer leur fidèle destrier. Par manque de parking adapté, la plupart des vélos finissent accrochés aux barrières et aux poteaux. Le trajet n’aura duré que cinq minutes, mais « il prend vite des allures de parcours du combattant, dit Maude. Il faut une vigilance constante, surtout avec des petits, mais on ne renonce pas, c’est tellement plus rapide et efficace qu’en voiture ! » La jeune maman effectue tous ses déplacements quotidiens en deux-roues, elle connaît par cœur les itinéraires cyclables de Montpellier. Et son constat est sans appel : « La ville n’est pas faite pour les vélos, il faut être motivé et convaincu pour s’y mettre. »

« Faire une infrastructure pour qu’elle soit utilisée par deux personnes, ce n’est peut-être pas l’idéal » 

En 2017, la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) a noté les agglomérations françaises. Élève médiocre, Montpellier a décroché une mention « plutôt défavorable » aux cyclistes, loin derrière les championnes strasbourgeoise ou nantaise. « On devrait faire aussi bien que ces villes, observe François, usager quotidien des routes montpelliéraines. Il n’y a pas de relief, l’agglo n’est pas si dense, et il fait beau une très grande partie de l’année ! » Un « potentiel énorme » confirmé par Olivier Schneider, président de la FUB, mais gâché par des années de « tout automobile ». « La priorité a été donnée à la voiture, en toutes circonstances, approuve Frédéric Héran, économiste spécialiste des transports. Montpellier était, et elle est toujours, en pleine croissance, avec de nombreuses congestions du trafic, et les autorités ont paré au plus pressé. Il y a eu quelques pistes ou bandes cyclables, mais rien de cohérent. » Ainsi, pour ne pas « gêner » plus les automobilistes, aucune politique globale d’aménagement n’a été pensée pour les vélos. Contacté par Reporterre, le service com’ de la métropole nous a renvoyé un courrier : « Montpellier n’a pas l’historique des villes hollandaises, exemplaires en la matière, il n’y a jamais eu de véritable politique du vélo jusqu’à aujourd’hui, convient-il. On porte un héritage d’aménagements cyclables réalisés “au fil de l’eau”, lors de réfections de voiries ou de nouveaux aménagements, ce qui explique les discontinuités du réseau. »

Fin de piste cyclable.

Ainsi, pendant longtemps, les Montpelliérains s’en sont accommodés, développant, à l’instar de Maude, d’ingénieuses stratégies. « Je fais des détours pour éviter les carrefours dangereux, je coupe par les voies de tram ou les trottoirs, je connais les heures où des camions de livraison seront garés sur les pistes », énumère-t-elle. Chacun se débrouillait au mieux. Jusqu’à ce 20 octobre 2018, quand le maire de la ville et président de la métropole, Philippe Saurel, a lâché, en marge de l’inauguration d’une route sans piste cyclable, que « faire une infrastructure pour qu’elle soit utilisée par deux personnes, ce n’est peut-être pas l’idéal ». Immédiatement, cette phrase maladroite a déclenché l’ire des cyclistes. Sur Twitter, Bruno, ancien motard converti à la bicyclette a lancé un hashtag, #JeSuisUnDesDeux, devenu vite viral. Dans la foulée, un appel à manifester fut diffusé, et le 10 novembre, ils étaient plus de 1.200 à franchir l’arc de triomphe montpelliérain, dans une vélorution joyeuse et déterminée. « Je n’avais jamais vraiment milité avant, témoigne Nicolas Le Moigne, vélocipédiste de longue date et l’un des organisateurs de ce rassemblement. Mais là, je me suis dit stop, il faut enfin que les élus considèrent le vélo comme un moyen de transport à part entière. » L’association locale Vélocités, endormie depuis plusieurs années, a quintuplé le nombre de ses adhérents, tandis que les stickers « Je suis un des deux » ont fleuri sur les vélos, mais également sur le mobilier urbain. Un compte Twitter et une carte interactive ont été créées afin de répertorier, de manière participative, les « aménagements incohérents », les « demandes de parking », les « demandes d’entretien », ou les « véhicules ou objets gênants ».

Carte interactive des « aménagements incohérents », des « demandes de parking », des « demandes d’entretien », ou des « véhicules ou objets gênants ».

Face à cette effervescence citoyenne, Philippe Saurel est monté au créneau, et a défendu son bilan : 22 km de zones utilisables à vélo depuis son arrivée à la tête de la ville en 2014. Un chiffre qui a laissé sceptique la plupart des intéressés, et pour cause : étaient comptabilisées des bandes cyclables considérées comme dangereuses par les usagers, des équipements pour les balades, dans des parcs, et des zones 30, qui ne correspondent à aucun investissement spécifique pour l’usage du vélo.

« Le temps où les élus pouvaient faire comme si les cyclistes n’existaient pas est révolu » 

Pas de quoi faire redescendre la contestation, d’autant plus que le maire a récidivé le 16 mars dernier, avec une nouvelle bévue. Ce samedi-là, jour de la Marche pour le climat, plusieurs cyclistes avaient peint des logos de cyclistes sur le bitume de l’avenue de Toulouse, marquant ainsi l’absence de piste sur cette artère désignée comme « le danger numéro un pour les adeptes du vélo à Montpellier ». Pas du tout de goût de l’édile, qui les fit effacer fissa, s’engageant à faire dresser un procès-verbal. « On est retourné les peindre avant la marche et on a organisé un die-in sur le trajet du cortège : des centaines de personnes se sont allongées par terre pour dénoncer le risque que présentait le manque d’infrastructures cyclables », raconte Nicolas Le Moigne, membre de l’association Vélocités, devenue fer-de-lance des mobilisations.

« Plus rien ne sera jamais comme avant le 10 novembre, estime-t-il. Le temps où les élus pouvaient faire comme si les cyclistes n’existaient pas est révolu, on est là et on ne lâchera pas. » Le vélo est en passe de devenir un enjeu central des élections municipales à venir, les écolos et le mouvement citoyen « Nous sommes » s’étant emparé de la question. La métropole s’emploie donc à passer au pignon supérieur. Fin décembre, les élus communautaires ont adopté un schéma directeur des mobilités actives, doté de 80 millions d’euros sur dix ans consacrés à la réalisation d’aménagements cyclables.

Carte interactive des « aménagements incohérents », des « demandes de parking », des « demandes d’entretien », ou des « véhicules ou objets gênants ».

Insuffisant, selon le porte-parole des Verts locaux, Manu Raynaud : dans une interview au site E-métropolitain, il a regretté un manque d’ambition et d’objectifs clairs : « À titre de comparaison, la métropole de Bordeaux s’est dotée d’un plan vélo, adopté dès 2012, puis actualisé en 2016, avec pour objectif de passer à 15 % de part du vélo d’ici 2020, dit-il. Et elle y a consacré un budget de 18 millions par an, qui a déjà permis la création plus de 150 km de pistes cyclables durant ce mandat. » Du côté de la métropole montpélliéraine, on promet un plan plus concret d’ici quelques mois, et on avance prudemment le chiffre de 9 % de cyclistes en 2024, soit trois fois plus qu’actuellement. Ce pourcentage, à confirmer donc, correspond à l’objectif national fixé par la loi Mobilité.

« Désormais, les cyclistes sont impatients, ils attendent des gestes forts, pas des paroles, observe Olivier Schneider, qui a participé à une des réunions préparatoires à ce plan vélo montpelliérain. Le maire a compris qu’il fallait faire quelque chose, mais il n’a pas de projets prêts à être réalisés. Tout ça ne se fait pas un jour, surtout quand il n’y a jamais eu de réflexion globale. » Frédéric Héran a pour sa part rencontré les services techniques de la métropole début mars : « Les agents pataugent, ils en sont au début, la compétence vélo ne s’improvise pas du jour au lendemain, complète-t-il. Grâce au plan vélo de l’État, il est possible de faire financer des aménagements importants, mais il faut pour cela déposer un dossier de financement et ils n’ont rien de préparé, ils vont au plus pressé pour faire des propositions. »

« Le vélo coûte moins cher à l’individu et moins cher à la collectivité » 

Mais par où commencer ? L’idéal, explique l’économiste, « c’est de tout faire avancer en même temps » : « On se déplace à vélo parce qu’il y a des pistes cyclables continues, mais aussi parce qu’on peut facilement se garer, réparer son engin, détaille-t-il. Il faut aussi se sentir encouragé, par des élus qui font de la bicyclette, par exemple. » Dans son programme le Système vélo qu’elle propose aux collectivités, la FUB insiste également sur le développement de l’intermodalité train-tram-vélo avec des espaces pour stocker les deux-roues dans les rames, l’instauration d’aides à l’achat de vélos, sans oublier des programmes d’apprentissage du vélo à l’école, ou de sensibilisation dans les entreprises. Mission impossible ? « Ce n’est pas évident de faire tout en même temps, convient M. Héran. Dans ce cas, il faut commencer par identifier et traiter les principaux points de blocage, qui sont spécifiques à chaque ville. » Ainsi, Montpellier pourrait, d’après lui, supprimer les 2x2 voies en centre-ville, afin de regagner de l’espace sur les voitures : « À Nantes, toutes les voies radiales sont passées de 4 à 2 voies, avec un aménagement cyclable et piéton, illustre-t-il. Les automobilistes ne peuvent plus doubler, mais c’est très bien, ils deviennent plus raisonnables. »

Le Système vélo de la FUB.

Autre idée-choc du chercheur, « interdire les deux roues motorisées dans le centre piéton de la ville, et rendre payant le stationnement aux scooters et motos ». D’après lui, Vincennes et Charenton-le-Pont « ont obtenu des résultats extraordinaires » avec cette mesure. « Les deux-roues motorisées sont extrêmement dangereux, à Paris, ils sont impliqués dans plus de 50 % des accidents, poursuit-il. Il faut les cadrer. De nombreuses villes dans le monde l’ont fait, et s’en portent mieux. » Des mesures ambitieuses, mais indispensables à la transition écologique, de l’avis de François : « Quand on pédale, on lutte concrètement contre le changement climatique. On n’émet rien, on est aussi moins exposé aux polluants que quand on conduit une voiture, affirme-t-il. Le vélo coûte moins cher à l’individu et moins cher à la collectivité. »

Coûts comparés des modes de transport, d’après Frédéric Héran, économiste spécialiste des transports.

Signe que la mobilisation cycliste porte ses fruits, Philippe Saurel a annoncé, jeudi 28 mars, que l’aménagement de la désormais fameuse avenue de Toulouse serait proposé pour l’appel à projets national du plan vélo. Le service com’ nous a également précisé que dès 2019, « 3,8 millions d’euros sont engagés pour construire des pistes cyclables », ainsi que la création de places de stationnement vélo un peu partout en ville. « #JeSuisUnDesDeux est parti d’une phrase un peu tirée de son contexte, poursuit le courrier, mais, finalement, c’est bénéfique car cela a ouvert un dialogue qui n’existait pas à ce niveau-là auparavant. » Et permis d’amorcer une petite vélorution dans la capitale languedocienne.

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