À Poitiers, le procès qui fait trembler les mégabassines

Chantier de la mégabassine de Priaires (Deux-Sèvres), le 9 septembre 2023. - Twitter/Les Soulèvements de la Terre
Chantier de la mégabassine de Priaires (Deux-Sèvres), le 9 septembre 2023. - Twitter/Les Soulèvements de la Terre
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Sur fond de conflit d’intérêts, le chantier de la mégabassine de Priaires, dans les Deux-Sèvres, devait être fixé sur son sort le 24 octobre. Le tribunal de Poitiers a renvoyé sa décision au 30 octobre.
Poitiers (Vienne), reportage
Réunis au tribunal administratif de Poitiers le 24 octobre pour débattre d’un possible conflit d’intérêts sur la mégabassine de Priaires (Deux-Sèvres), pro et antibassines ont bataillé sur la nouvelle ligne de front juridique de l’eau en Poitou-Charentes. D’un côté, une association antibassines, l’Apieee, demande la suspension du chantier. De l’autre, les avocats de la commune et de la Coopérative de l’Eau, porteuse du projet, s’affairent à délégitimer ce recours en justice pour en décourager d’autres.
Troisième des seize réserves de substitution censées permettre de réduire les prélèvements l’été en stockant de l’eau pompée en hiver, la bassine de Priaires située sur la commune de Val-du-Mignon affiche un stockage de 167 000 m3 d’eau, soit quarante-quatre piscines olympiques [1]. Parmi les quatre exploitations agricoles bénéficiaires, la Gaec L’Eole, dont l’une des gérantes se trouve être Marie-Christelle Bouchery, maire de la commune et signataire par délégation du permis de construire.
« La construction de la bassine bénéficiera directement à la maire en augmentant la valeur de son terrain et en sécurisant son approvisionnement en eau », a résumé l’avocate de l’Apieee, rappelant qu’un tiers du volume total était destiné à la Gaec (soit un peu plus de quatorze piscines olympiques). Et d’ajouter de multiples manquements au droit de l’environnement : absence d’étude d’impact, de consultation publique, d’étude sur la zone Natura 2000… Le tout serré dans un dossier examiné dans des délais record au cœur de cet été : demandée le 25 mai, l’autorisation de travaux a été accordée le 4 août et le chantier initié dès le 28 août.
Un « acharnement » de l’association
Face à l’association, la défense a troqué le droit de l’environnement pour le droit des associations. En ouverture, l’avocat de la mairie a détaillé dix minutes durant la non-conformité supposée des documents fournis par l’Apieee : statuts, comptes-rendus des délibérations… « Moi ce document-là, vous me donnez cinq minutes et je vous le refais sous Word ! » a-t-il péroré en agitant les pans noirs de sa robe théâtralement.
Faisant écho à son confrère, le conseil de la Coop de l’eau a critiqué d’un ton grave glissant vers l’agacement « l’acharnement » de l’Apieee. Des observations assorties de demandes de sanctions financières totalisant 5 000 euros à même de neutraliser toute action ultérieure.
De l’avis des deux avocats, le conflit d’intérêts relevait d’une incompréhension : la maire n’aurait d’autre mission que de confirmer la décision de l’État, agissant en simple « passeuse de document ». Une réponse suscitant « un vrai malaise », selon l’avocate de l’Apieee, qui a rappelé les prérogatives des élus locaux dans l’aménagement de leur commune. Quant aux pièces manquantes, il suffisait de se référer à l’étude globale sur le projet de la Coop de l’eau, « survalidée » a insisté l’avocat du gestionnaire. Et de couper court : « Je ne voudrais pas faire perdre son temps à Monsieur le président de la Coop de l’eau ici présent. »
Deux bancs derrière les avocats, l’exploitant à la tête du projet des bassines des Deux-Sèvres Thierry Boudaud écoutait en effet les débats les yeux baissés, se massant le crâne. Dans la même salle, trois semaines auparavant, deux projets de quinze bassines prévues en Vienne et en Charente avaient été annulés sur des arguments (surdimensionnement et non prise en compte de la ressource en eau) qui pourraient bien ruisseler vers la Coop de l’eau.
Loin de la guerre de clocher, une décision en faveur de l’Apieee constituerait une mauvaise nouvelle autant pour la maire de Val-du-Mignon que pour les mégabassines dans leur ensemble. Suspendant les échanges, le juge des référés a réservé sa conclusion au lundi 30 octobre.