À Toulouse, Rennes et Rouen, la mobilisation contre les violences de l’Etat et les projets inutiles se poursuit

Alors que le ministre de l’Intérieur refuse toute responsabilité dans le décès de Rémi Fraisse, la mobilisation contre la violence d’Etat et les grands projets inutiles se poursuit à Toulouse, Rennes et Rouen. Et sur la Zad du Testet, la vie reprend paisiblement, en l’absence de policiers... Récit des correspondants de Reporterre.
À TOULOUSE, LES ÉTUDIANTS SE RASSEMBLENT CONTRE LES VIOLENCES POLICIÈRES ET LES PROJETS INUTILES
- Toulouse, correspondance
Ils étaient plus de mille ce jeudi 13 novembre rassemblés à l’amphithéâtre 8 de l’université Jean Jaurès (anciennement Toulouse Le Mirail). Avec la reprise des cours vient la reprise des mobilisations étudiantes, coutumières dans l’établissement toulousain. Mais en plus des traditionnelles revendications étudiantes, il est aujourd’hui question de Testet, de violences policières, de grands projets inutiles. Hugo, présent durant l’assemblée, raconte : « On a tout de suite voulu poser le débat pour expliquer le lien entre les problèmes d’austérité et de privatisation de l’université et ce qui se passe dans le Tarn ». L’explication est limpide : « D’un côté, ils dépensent des millions pour des grands projets inutiles et pour empêcher les gens de manifester, et de l’autre ils suppriment des filières universitaires, mettent en place une sélection et essayent de privatiser l’enseignement supérieur ».

Contre l’austérité et les Grands Projets Inutiles
Autre nouveauté, la population composant l’assemblée générale : là où l’on retrouve généralement des militants organisés, syndicalistes étudiants et organisations de jeunesse, un étudiant observe : « C’était très varié. Il y avait quelques figures activistes toulousaines, mais beaucoup de gens ont pris la parole ». La discussion a débouché sur quelques rendez-vous, à commencer par la manifestation de ce samedi 15 novembre, à Toulouse, contre les « politiques d’austérité ». Mais également avec un rendez-vous jeudi prochain, le 20 novembre, où un appel est lancé pour « la grève et l’occupation de l’université du Mirail ». Selon Hugo, « on parle d’enraciner le mouvement et d’occuper », dans la continuité des mouvements lycéens du mois d’octobre dans le Tarn et l’amorce de ZAD à Rouen. Enfin, une nouvelle manifestation, appelée cette fois nationalement, « contre les violences policières » pour la journée du 22 novembre.
« Guet-apens » policier et justice expéditive
Malgré la mort de Rémi Fraisse, la violence policière est restée intense. Une nouvelle manifestation était prévue samedi 8 novembre, pour rendre hommage à Rémi Fraisse et contre les violences policières. Sauf que, la veille au soir, le préfet de Haute-Garonne annonce son interdiction. Des tractations de la dernière heure laisseront aux organisateurs, notamment le Nouveau Parti Anticapitaliste, l’espoir de pouvoir marcher malgré tout. Peine perdue. Selon tous les témoignages, cette marche s’est avéré une véritable souricière. « On a fait quelques pas sur les grandes allées, comme cela avait été discuté, et puis, ils ont bloqué toutes les issues et ont commencé à nous gazer, nous frapper, alors qu’il n’y avait aucune violence de la part des manifestants ».

Deux photographes du site Le Journal Toulousain se trouvaient sur place et confirment cette version des faits en précisant que « la seule voiture brûlée, samedi dernier, a été le fait d’une grenade lacrymogène lancée par la police … C’est aussi une réalité. »

Parallèlement, les premières peines de condamnation de justice suite aux premières manifestations sont tombées et particulièrement lourdes. Le cas le plus emblématique est celui de Charlie, clown activiste, présent lors de la manifestation du 1er novembre, et condamné en comparution immédiate à 6 mois de prison dont quatre avec sursis. Une condamnation d’autant plus surprenante que la personne est connue pour être non-violente. D’autres jugements devraient intervenir début décembre, avec cette fois la possibilité de mieux préparer leur défense.
Mercredi soir, plusieurs personnes se sont retrouvées en petit comité devant le monument aux morts de Toulouse avec des bougies et des fleurs pour « honorer la mémoire de Rémi Fraisse ». Le même jour, à l’écart de tout média et de toute publicité, Rémi était enterré par sa famille et ses amis.
Sur la ZAD, la vie est paisible

Paradoxalement, c’est sur la zone humide du Testet que la situation est la plus calme. La tempête médiatique est retombée, aucun policier ne se trouve à proximité de la zone, et la principale occupation quotidienne est de vivre et construire. Après les hommages et le recueillement, les opposants ont entrepris une opération de nettoyage du ruisseau du Tescou de tous les résidus des combats des semaines passées, déchets de grenades lacrymogènes en tête. Mais cela ne suffit pas à occuper les énergies des militants. Alors, on construit toujours et encore. Un peu partout, les campements s’étendent, se développent.
Après des mois et semaines de tension permanente, les uns et les autres peuvent apprendre à se connaître, à vivre ensemble, comme dans toute communauté humaine. Si la menace de l’évacuation plane, depuis le 3 novembre dernier et les déclarations de Ségolène Royal, beaucoup n’y croient pas et espèrent bien tenir le camp pour la durée de l’hiver. L’argument de la vieille dame ne pouvant pas rentrer chez elle s’est révélé inexact, comme l’a raconté Le Canard Enchainé.
À deux pas de là où se trouvait le campement Gazad, non loin du lieu des affrontements du 25 octobre, une branche verte repousse sur un tronc d’arbre abattu. « Au printemps, ça va repartir », nous dit-on.
À RENNES, MODESTE MOBILISATION
- Rennes, correspondance

Jeudi 13 novembre après-midi, près de deux cents personnes ont défilé dans les rues de Rennes pour s’opposer aux violences policières. Puis, en début d’après-midi, trois cents personnes se sont réunies en assemblée générale à l’université Rennes 2 : « Il ne faut pas laisser de porte de sortie au gouvernement, pas de revendication du type la démission de Cazeneuve », le ministre de l’Intérieur ; « Oui, parfois la violence est nécessaire, s’il n’y en avait pas eu à Notre-Dame-des-Landes, les travaux auraient commencé ! », le débat s’articule sur la suite à donner au mouvement. Le débrayage qui suit dans les salles de l’établissement puis dans les lycées n’est pas concluant, peu d’élèves et étudiants rejoignent le cortège.
Les mots d’ordre « La police mutile, la police assassine » sont scandés à travers la ville. Au bout de deux heures, la mobilisation se termine par un sit-in à proximité du commissariat de St-Anne, le quartier des soirées rennaises. La majeure partie des manifestants sont des étudiants, ils dénoncent « la psychose que les autorités tentent d’instaurer pour faire une distinction entre bons citoyens et casseurs ». La veille (mercredi), l’université avait fermé ses portes à cause d’un appel à une assemblée générale, qui a été reportée à jeudi.
Le samedi 8 novembre, une manifestation avait rassemblé trois cents personnes malgré l’interdiction de la préfecture et le déploiement des forces de l’ordre.
LA ZAD DE ROUEN EST DE RETOUR
- Rouen, correspondance

Emmanuel a choisi de suivre ce mouvement, non en tant que journaliste ayant un regard distancié sur l’événement, mais en tant que personne qui y est engagée.
A Rouen, la mobilisation ne faiblit pas. Malgré l’expulsion vendredi dernier de la ZAD installée pendant trois jours près du palais de justice, une nouvelle journée d’action était organisée jeudi 13 novembre. Sur les murs de la ville et sur internet circulait une invitation en vue d’un rassemblement suivi d’une « surprise party ». Le rendez-vous était donné à 10 heures au Palais de justice, afin de laisser penser aux policiers que la place allait être réoccupée. Opération réussie car une vingtaine de camions de police entourait l’espace qui accueillait la ZAD urbaine de Rouen. Sans surprise, les forces de l’ordre ont bloqué le cortège constitué d’une centaine de personnes. Mais loin de se laisser abattre, le groupe s’est dirigé vers l’objectif réel décidé quelques jours plus tôt : l’esplanade située en face du musée des Beaux arts, totalement délaissée par la police.
Au moment où les manifestants arrivaient sur la place, deux camions sont venus se garer, remplis de matériel de construction. Aussitôt, une chaîne humaine s’est mise en place pour acheminer palettes et outils vers l’emplacement prévu de la nouvelle ZAD urbaine. Malgré le subterfuge, les policiers sont arrivés au bout de quelques minutes avec l’intention claire de ne pas laisser les cabanes se réinstaller sur la place publique.
Les manifestants qui n’étaient pas occupés à construire se sont installés de sorte à protéger les bâtisseurs. Cela n’a pas empêché les policiers de charger, frappant à coups de matraques, sans distinction ni retenue, des lycéens et adultes pourtant clairement inoffensifs. La scène a indigné des passants, eux-mêmes écartés sans ménagement.
Une fois la place évacuée, les manifestants se sont rassemblés pour déambuler pendant près d’une heure dans les rues aux cris de « Remi, Remi, on t’oublie pas », « Police, police, on t’encule », « Pacifistes, pacifistes » ou encore « Etre flic ou gendarme, c’est un métier de bâtard ». Après une heure de déambulation sans tags ni bris de vitrines, les manifestants ont été bloqués par un cordon de CRS au milieu d’une artère principale.
Ils ont réagi en levant les bras ou en s’asseyant par terre, réaffirmant leur refus d’en découdre et de répondre aux violences policières par la violence. Un guitariste rockeur accompagné d’un percussionniste est même venu se placer avec son ampli entre les manifestants et les policiers, offrant aux passants et aux caméras de télé un spectacle surréaliste. Une fois le mini concert terminé, les quelques cent cinquante manifestants présents se sont constitués en assemblée. Visiblement contents de la mobilisation du jour, ils se sont quittés après avoir décidé d’un nouveau rendez-vous, vendredi matin au Palais de Justice.