À l’Assemblée nationale, le nouveau groupe saura-t-il défendre l’écologie ?

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PolitiqueMardi 19 mai, 17 députés, élus la République en marche pour la quasi-totalité, ont fondé le groupe parlementaire Écologie Démocratie Solidarité. Ce faisant, ils privent le groupe présidentiel de la majorité absolue et font saillir la défiance d’une partie des marcheurs envers la capacité d’Emmanuel Macron à prendre la mesure de la crise écologique.
Avec la crise sanitaire, le divorce est devenu inéluctable. Mardi 19 mai, la majorité présidentielle s’est fracturée au nom de l’écologie. Dix-sept députés [1], dont six issus du groupe parlementaire de La République en marche (LREM), ont rejoint le tout nouveau groupe parlementaire Écologie Démocratie Solidarité (EDS), coprésidé par Matthieu Orphelin et Paula Forteza. De ce fait, LREM perd la majorité absolue à l’Assemblée nationale, à une voix près. Un symbole fort qui augure de futures batailles, alors que la question d’un plan de relance vert, pour faire face à la récession économique, est plus que jamais d’actualité.
« Après le Covid-19, plus rien ne doit être comme avant, écrivent les députés dans un communiqué. Cette épreuve, véritable ouragan sanitaire, sociétal et économique, a violemment révélé toutes les failles et les limites de notre modèle de développement. » Ils appellent donc à une « transformation sociale et écologique » pour « retrouver le sens de l’essentiel : notre souveraineté alimentaire et industrielle, notre sécurité sanitaire, le respect du vivant ».
L’initiative se veut aussi « un acte de défense du Parlement », selon les mots de la députée et présidente de Génération écologie Delphine Batho, qui a rejoint le groupe. Face aux dysfonctionnements actuels — une majorité aux ordres et un exécutif tout puissant —, les députés souhaitent retrouver une marge de manœuvre pour les deux dernières années de la législature.
« Les décisions qui vont venir dans les prochains mois seront structurantes pour l’avenir du pays et de la planète, nous devons être au rendez-vous », résume Paula Forteza. « Nous voulons être la caisse de résonance de la jeunesse mobilisée en faveur du climat et porter la voix des scientifiques et des territoires », souligne Delphine Batho.

La défection des députés LREM apporte une clarification. Elle révèle aussi l’incapacité d’Emmanuel Macron à convaincre qu’il va engager un tournant écologique, malgré ses discours. Les départs envoient « le signal de la décomposition du macronisme », dit à Reporterre le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Julien Bayou . « C’est la première fois, dans l’histoire de la Ve République qu’un groupe majoritaire perd sa majorité en cours de législature et se fragmente ainsi ».
Qui sont ces députés ? Quel est leur programme ? Quel lien maintiennent-ils avec la Macronie ? Reporterre revient sur ce microséisme politique, dont les tremblements actuels ne sont que « les effets différés de la démission de Nicolas Hulot et des multiples renoncements du gouvernement avec le Ceta [2] ou la flat tax », souligne Delphine Batho, qui fut ministre de l’Écologie sous la présidence de François président Hollande.
Qui sont-ils ?
Hormis Delphine Batho, tous les membres du nouveau groupe ont été élus sous l’étiquette LREM en 2017 et faisaient partie de l’aile « sociale » du mouvement. Ils ont peu à peu fui le navire. Les derniers en date : Martine Wonner, qui a été exclue de la majorité le 6 mai 2020 après avoir voté contre le plan de déconfinement du gouvernement, et Aurélien Taché, qui a claqué la porte, le 17 mai. « En 2017, j’ai quitté le Parti socialiste parce qu’il n’était pas capable de dépasser ses frontières. Aujourd’hui, je quitte LREM exactement pour les mêmes raisons, déclarait-il dans un entretien au Journal du dimanche. Nombre de députés LREM ont cette envie, le groupe parlementaire est devenu un frein. »
Je quitte @enmarchefr. Mes explications dans @leJDD https://t.co/DVALzgg2HH
— Aurélien Taché (@Aurelientache) May 16, 2020
La plupart disent vouloir rester fidèles « aux valeurs » défendues lors de leur élection et reprochent au gouvernement de s’en être éloigné. En mars 2020, Delphine Baggary a critiqué le chef de l’État sur son manque de concertation et l’usage de l’article 49-3 pour la réforme des retraites. En février, Frédérique Tuffnell affirmait, elle, ressentir « une grande frustration du fait du manque d’appétence du groupe pour les sujets environnementaux ». Sur RMC le 28 janvier, c’est Paula Forteza, colistière de Cédric Villani à la mairie de Paris, qui annonçait vouloir quitter LREM : « On est plusieurs, pendant longtemps, à avoir attendu un tournant à gauche et écologique du mandat qui n’arrive pas. »
"Pourquoi je quitte LREM" : la députée Paula Forteza annonce son départ du parti en direct sur RMC https://t.co/84GjLkjTze
— RMC (@RMCinfo) January 28, 2020
En 2019, une autre salve de départ avait déjà amputé le groupe parlementaire LREM. Jennifer de Temmerman s’était opposée à la politique migratoire du gouvernement. Matthieu Orphelin était parti en soulignant l’insuffisance de la politique environnementale de l’exécutif tandis que Sabine Thillaye avait été exclue de LREM pour avoir refusé de céder sa place de présidente de la commission des Affaires européennes, contrairement aux règles internes du parti.
Plutôt que de faire cavalier seul, les différents députés ont décidé de se rassembler. La création d’un groupe parlementaire leur donnera plus de place et de temps de parole pour défendre leurs positions. « Nous sommes 17 aujourd’hui, mais d’autres nous rejoindront dans les semaines prochaines », assure Matthieu Orphelin. Le nombre de membres reste néanmoins bien en deçà des attentes initiales. D’après Les Échos, 58 députés avaient été annoncés au départ. « Les pressions ont été nombreuses », admet, sobrement Paula Forteza, au cours de la conférence de presse de lancement. Mediapart rapporte qu’une députée a été appelée successivement ces dernières 72 heures par une conseillère d’Emmanuel Macron, par Stanislas Guerini, délégué général de LREM, et par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, chacun tentant de la faire changer d’avis. En vain la concernant.
Quel est leur programme ?
Les députés disent vouloir s’appuyer sur les idées de la société civile. Aurélien Taché vante le travail enclenché avec Le Jour d’après. Une initiative portée, pendant le confinement, par 66 parlementaires de différents groupes. La plateforme a recensé 26.000 inscriptions de citoyens et enregistré plus de 8.700 propositions, dont celles de syndicats et d’associations. Le nouveau groupe parlementaire fait aussi l’éloge de la convention citoyenne pour le climat, dont il souhaiterait généraliser la méthode.

Les députés ont élaboré quinze propositions qui vont du soutien aux investissements des collectivités locales en faveur de la transition écologique jusqu’au revenu universel pour les plus de 18 ans. « La résilience des territoires » est également une priorité. Le plan de réindustrialisation qu’ils proposent devra « inciter à la relocalisation des entreprises », le soutien de l’État sera conditionné à « des contreparties sociales et écologiques fortes » et les accords de libre-échange ne seront pas ratifiés « sous leur forme actuelle ». En bref, l’inverse de ce qu’a fait jusqu’à présent le gouvernement, soutenu par le groupe majoritaire.
Dans les prochains mois, une proposition de loi sur le respect du vivant et le bien-être animal sera déposée à l’Assemblée nationale. Les députés ont aussi l’ambition d’inscrire la préservation de la biodiversité et du climat dans la Constitution.
Leurs premiers votes seront scrutés avec attention. Car les députés du nouveau groupe n’ont pas tous brillé, dans le passé, par leurs positions écologistes. Lors du vote du Ceta, le 23 juillet 2019, cinq d’entre eux avaient voté pour sa ratification, six s’étaient abstenus, quatre seulement avaient voté contre et deux étaient absents.
Sur les bancs de l’Assemblée, au sein du groupe la France insoumise, on ne se fait pas trop d’illusions. « Je les côtoie depuis trois ans en commission du Développement durable. Ces députés proposent d’abord une écologie d’accompagnement, une sorte de capitalisme vert », estime, sans ménagement le député Loïc Prud’homme. « C’est une vision très scientiste, Cédric Villani défend l’intelligence artificielle, Émilie Cariou a été membre du conseil d’administration de l’Andra (l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs) ». Du côté d’EELV, Julien Bayou aimerait que le groupe clarifie sa position vis-à-vis d’Emmanuel Macron. Or, sur ce point, l’ambiguïté demeure.
Quels liens gardent-ils avec la Macronie ?
Le groupe dit vouloir « dépasser les clivages et les postures », « ne pas imposer de dogme », « sortir des oppositions stériles ». Il ne sera ni dans l’opposition ni dans la majorité. « Nous souhaitons construire avant tout des majorités de projet avec toutes les forces démocrates du pays, explique le député Hubert Julien-Lafferière. Nous pousserons et soutiendrons les décisions à la hauteur des enjeux, mais saurons nous opposer dans tous les autres cas. »
Le « ni ni » du groupe s’apparente au « en même temps » macronien. Émilie Cariou n’a pas quitté le parti LREM et ne souhaite pas le faire. Certains continuent de cultiver des liens étroits avec la majorité. « C’est plus des retrouvailles qu’une séparation, on renoue avec nos valeurs de 2017 », confie ainsi la députée. Delphine Batho assume cette diversité : « Il n’y a pas de confusion entre nos organisations politiques respectives, et notre travail parlementaire en commun. »
Au sein de la Macronie, l’initiative ne semble pas trop faire peur. Du moins officiellement. Le président de l’Assemblée, Richard Ferrand, a raillé sur France 2 « les tribulations de la vie parlementaire » tandis que sur LCI Jean-Yves le Drian, le ministre des Affaires étrangères, a déclaré que « la majorité n’était pas en danger, loin de là ». LREM peut, en effet ,compter à l’Assemblée sur le groupe du Modem.
« Nous serons jugés sur nos actes, sur notre capacité à faire des coalitions et à innover, au service de l’écologie », veut croire Matthieu Orphelin. L’exercice pratique va arriver très vite, avec le projet de loi de finance rectificative.