Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

ReportageNature

À l’école de la montagne, les jeunes urbains apprivoisent les cimes

L’aube se lève sur le bivouac de la Bastille, à Grenoble, en mai 2022.

Le fort de la Bastille, qui domine Grenoble, accueille désormais une aire de bivouac. Le but de cette « passerelle entre la ville et la montagne » : sensibiliser à l’écologie. Reporterre y a passé la nuit avec dix ados.

Grenoble, reportage

Le soleil est au plus haut du ciel lorsque l’équipe rouge parvient au sommet du fort de la Bastille. Bâti sur les contreforts du massif de la Chartreuse, l’ancien édifice militaire culmine à près de 500 mètres d’altitude et domine la ville de Grenoble (Isère). Entre ville et montagne, dix adolescents âgés de 11 à 16 ans s’apprêtent à passer deux jours d’aventure. Le thème : Koh-Lanta, célèbre émission de télé-réalité française. En plus des épreuves de course d’orientation, de dessin ou de parcours d’obstacles, le weekend s’articule autour d’une nuit au grand air, une première pour plusieurs de ces adolescents.

« Pour les motiver, il fallait qu’il y ait un enjeu. Ils n’en ont rien à faire de venir bivouaquer à la Bastille ! Ils veulent vivre une aventure », rigole Eddy Yansounou, l’un des cinq animateurs encadrant le groupe et responsable du secteur jeunesse de la MJC Théâtre Prémol.

« C’est ici les cabanes où on dort si on gagne ? », demande Angy, 12 ans, en déballant son pique-nique. Sur l’esplanade de la Bastille, quatre cabanes imaginées par les étudiants de l’École nationale d’architecture de Grenoble et six emplacements de tente ont en effet été installées au début du mois. Elles sont ouvertes à la réservation jusqu’au 2 octobre, gratuitement ou à prix modique, pour les groupes encadrés comme pour le grand public. Le projet s’inscrit dans le cadre du mandat de « capitale verte de l’Europe » détenu par Grenoble pour l’année 2022. « Ce bivouac, ce n’est pas un projet touristique de cabanes insolites. C’est un projet éducatif, explique Pierre-Loïc Chambon, directeur de la mission Montagne de la ville, en charge du projet. C’est une expérimentation initiée dans l’idée de créer une passerelle entre la ville et la montagne »,

Ce samedi 14 mai, Aboubacar, Safir, Pierre, Phinéas et les autres inaugurent le site. Ils viennent des MJC Théâtre Prémol et Anatole France, implantées au cœur de quartiers prioritaires de la ville : le Village Olympique, la Villeneuve, Mistral, Lys rouge…


« Les épreuves commenceront à 5 h 30 demain matin », annonce Kathleen Jamardo, directrice du centre de loisirs de la MJC Théâtre Prémol. « C’est mort », répond Calvin, 16 ans, qui vient d’arriver au bivouac après une heure de marche sur le sentier qui s’élève en lacets depuis le centre-ville. « Mais il fait encore nuit à 5 heures ! », s’exclament les autres. Tandis que les animateurs mettent en place les épreuves de l’après-midi, Younes, 12 ans, s’asperge généreusement de parfum, bientôt imité par Ciltia, 14 ans, qui sort un flacon de sa trousse de maquillage. Au même moment, Angy montre à ses copains le petit couteau qu’il a emporté avec lui : « S’il y a des ours, on pourra se défendre. » De prime abord, les uns et les autres roulent des mécaniques mais on sent poindre l’appréhension d’une nuit dans la nature. « Je veux pas dormir dehors », murmure ainsi Pierre, 13 ans, lorsque son équipe perd une épreuve. « Il y a un écart immense de représentations entre les pratiquants d’activité de montagne et les non-pratiquants, souligne Pierre-Loïc Chambon. Pour de nombreux Grenoblois, la Bastille, ce n’est pas la montagne. » « Alors que pour ceux qui ont toujours habité en ville, la Bastille, ça devient énorme comme une montagne », complète Leïdja Prevost, responsable du secteur adolescence de la MJC Anatole France.

Le bivouac de la Bastille se compose de quatre cabanes et six emplacements de tente. © Pauline Boulet / Reporterre

C’est précisément dans le but de réduire cette fracture culturelle qu’a été imaginé le projet. Pierre-Loïc Chambon rappelle que « pour la grande majorité des Grenoblois, la montagne souffre de représentations très négatives : c’est l’accident, c’est le danger ».

En 2003, la Ville a donc créé le programme Jeunes en montagne, qui permet chaque année de faire découvrir l’environnement montagnard à plus de 400 jeunes grenoblois. Depuis trois ans, le programme s’est élargi avec Familles en montagne. Le bivouac à la Bastille, lui, fait figure d’intermédiaire pour tenter d’atteindre un public qui n’aurait jamais osé s’aventurer hors des sentiers battus. « La question à se poser c’est : est ce qu’on va vers les gens ou est-ce qu’on attend dans notre tour d’ivoire qu’ils viennent jusqu’à nous ? », résume Pierre-Loïc Chambon.

« Une éducation à la citoyenneté, à la solidarité, au partage et à la sobriété »

Une poignée de gardiens de refuge a ainsi été mandaté par la Fédération française des clubs alpins de montagne (la FFCAM), partenaire du projet, et se relaiera sur les lieux six jours sur sept afin d’accompagner les visiteurs et transmettre leurs connaissances du milieu montagnard. « La fédération souhaite que la montagne joue son rôle d’école de la vie, dit Gilles Chappaz, chargé de développement du comité Hautes-Alpes. On n’y apprend pas qu’une pratique sportive. C’est d’abord une éducation à la citoyenneté, à la solidarité, au partage et à la sobriété. Tout ceci se corrèle avec les enjeux environnementaux majeurs que sont l’érosion glaciaire, l’effondrement de la biodiversité et le dérèglement climatique », particulièrement visibles en altitude. Cet été, les groupes encadrés pourront assister à différentes animations pédagogiques, de l’observation du ciel étoilé et sensibilisation à la pollution lumineuse avec l’association Auroralpes à la découverte des rapaces nocturnes avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Grenoble et la vallée du Grésivaudan vus depuis la Bastille, avec le massif de Belledonne en arrière-plan. © Pauline Boulet / Reporterre

Il n’est pas encore 5 heures ce dimanche 15 mai et le bivouac est plongé dans le noir. Eddy Yansounou plie déjà ses affaires et le frottement de son duvet recouvre le frémissement de la ville qu’on entend au loin, derrière le pépiement des oiseaux. Comme les autres animateurs, il a dormi à la belle étoile pour garder un œil sur les adolescentes et adolescents. Discrètement, il prend la route pour aller chercher des pains au chocolat frais pour leur petit-déjeuner. À 5 h 45, Phinéas, 15 ans, et Elouen, 14 ans, encore emmitouflé dans son duvet, émergent de leur tente. Un quart d’heure plus tard, Younes et Angy, moins délicats, réveillent leurs voisins à grands coups de pieds dans leur tente et autant d’éclats de rire. « La vie de ma mère, on a trop bien dormi », s’exclame Younes dans un sourire.

6h30, les adolescents attendent l’heure du petit-déjeuner. De gauche à droite : Elouen, Calvin, Kristjan, Phinéas (de dos), Saphir, Ciltia, Angy, Younes et Aboubacar. © Pauline Boulet / Reporterre

Ils se sont levés avec le soleil pour une épreuve bonus qui pourrait faire gagner leur équipe à l’issue de ce week-end Koh-Lanta. Les yeux encore gonflés de sommeil, ils tentent de répondre aux questions de Kathleen Jamardo : « Comment s’appelle le massif situé en face de nous ? En quelle année les femmes ont-elles voté la première fois en France ? Parmi ces plantes, laquelle ne se mange pas ? »

Leur enthousiasme laisse espérer un week-end réussi. Reviendront-ils en montagne ? Iront-ils un jour plus loin, en refuge ou en haute altitude ? Qu’importe. Ils ont découvert un milieu qui ne leur était pas familier, pour la plupart d’entre eux. « On ne protège bien que ce qu’on connaît bien et ce qu’on apprécie », rappelle Pierre-Loïc Chambon.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende