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À l’école du cheval, les vignerons reprennent les rênes

À Saint-Émilion, l’école du cheval vigneron apprend à se servir d’animaux de trait. Une approche moins mécanisée qui plaît aux professionnels de la vigne qui reçoivent cette formation.

Saint-Émilion (Gironde), reportage

Les rires résonnent depuis l’écurie du Château Soutard, située à Saint-Émilion. Les cinq stagiaires patientent autour d’un café pendant que leurs chevaux terminent de manger. Ils commencent aujourd’hui un nouveau jour de la formation « perfectionnement » : 140 heures pendant lesquelles ils se retrouvent trois à quatre jours par mois pour tout connaître du cheval de trait.

L’École nationale du cheval vigneron dresse elle-même ses propres équidés qu’elle reçoit très jeunes, souvent sauvés de la boucherie. En France ce type de cheval est surtout élevé pour sa viande. Mais sa consommation diminuant, cette école représente de nouveaux débouchés pour les éleveurs. D’après une enquête menée en 2020 par l’institut français du cheval et de l’équitation et l’institut français de la vigne et du vin, près de 300 viticulteurs (sur plus de 80 000 exploitations viticoles) ont utilisé des chevaux sur leurs parcelles. Mais 63 % d’entre eux ont dû faire appel à des prestataires extérieurs, et non pas à leurs propres bêtes. D’où l’intérêt pour ces stagiaires d’apprendre à être autonomes avec ces animaux.

Un cheval de trait de la race Percheron sur le domaine. © Alban Dejong / Reporterre

S’ils viennent d’horizons différents, les stagiaires partagent une passion commune : la culture de la vigne. Ils éprouvent le besoin d’un retour à la nature, et veulent préserver les sols. Charles par exemple, est chef d’exploitation sur un domaine à Bergerac. Récemment passé en bio, il souhaite démécaniser au maximum et privilégier la qualité plutôt que la quantité : « Je veux revenir à quelque chose de plus humain, plus en contact avec la vigne. »

Même chose pour Serge, agriculteur : « J’ai des chevaux pour le loisir, mais je voulais passer plus de temps avec eux, lier mes deux passions. Intégrer la traction animale sur mon exploitation est dans la logique de mon travail et de mes valeurs : pas de bruit, pas de gazole, c’est plus vertueux. Je ne compte pas enlever le tracteur pour autant mais diminuer son utilisation. »

Charles, agriculteur, élève de la formation. © Alban Dejong / Reporterre

Avant toute chose, il faut pratiquer. La matinée est dédiée au labour entre les ceps de vigne. Les stagiaires harnachent les chevaux de l’école : Barbara, une Percheronne, ainsi qu’Hector, un Breton. Deux animaux qui connaissent parfaitement leur travail et permettent aux élèves d’apprendre dans les meilleures conditions. La préparation est collective, propice à la pédagogie et au rappel des bases sous l’œil attentif de Franck, le formateur.

Bien effectuer chaque réglage, mettre chaque sangle dans le bon sens… Harnacher correctement son cheval est essentiel pour éviter les blessures. Après une dernière révision des outils, direction la parcelle à travailler. Le groupe se sépare en deux. Une partie reste avec Barbara pour passer le disque, une autre avec Hector pour s’essayer à la décavaillonneuse, le travail le plus physique et technique du travail des vignes. 

Margaux et Inès, élèves en formation s’apprêtent à passer le disque dans les vignes. © Alban Dejong / Reporterre

La décavaillonneuse est un outil traditionnel qui permet de désherber autour des pieds de vigne. Son utilisation est beaucoup plus physique que le tracteur, mais pas moins délicate. Elle permet d’aller beaucoup plus en profondeur dans la terre. « Le cheval a appris à s’arrêter dès qu’il sent une résistance, donc ça permet de ne pas arracher de pied, contrairement à un tracteur qui peut arracher toute une rangée s’il y a une défaillance technique », explique Frank.

« Hector, marcher »

Charles se prête à l’exercice. « Hector, marcher. » Les deux mains sur l’outil, Charles le guide entre les pieds de vigne pendant qu’Hector marche devant, s’adaptant au rythme de son meneur. « Hector est un cheval formidable qui sait s’adapter parfaitement à la personne qu’il a derrière lui », commente Franck.

Charles, passant la charrue décavaillonneuse. © Alban Dejong / Reporterre

De l’autre côté du rang, Inès et Margaux sont avec Barbara pour passer le disque. Un outil qui permet d’aplanir la terre soulevée après le passage de la décavaillonneuse : « La difficulté ici est de maintenir la même tension sur les rênes pour que le cheval aille parfaitement droit », explique Inès, « s’il dévie un peu, il risque de heurter un rang. »

Salariée polyvalente dans un domaine en biodynamie, Inès souhaite réintroduire cette activité, une démarche qu’elle considère bien plus respectueuse de la nature. Le cheval engendre moins de nuisances et respecte plus l’écosystème que les tracteurs qui peuvent tasser la terre et émettent beaucoup de gaz à effet de serre. Il permet en outre de travailler des parcelles qui sont parfois inaccessibles au tracteur.

Ludo, lors de la formation. © Alban Dejong / Reporterre

Pour la Société française des équidés de travail (Sfet), replacer les équidés de travail au cœur de la société française pourrait participer à « une évolution positive de notre système économique et social ». Une évolution qui permettrait de limiter l’utilisation d’énergies fossiles, et qui, en y liant profondément le cheval, changerait également le rapport à la vigne.

Chevaux vignerons et ânes maraîchers

En plus de l’école du cheval vigneron, elle a également créé l’École nationale de l’âne maraîcher. Enfin, l’École nationale du cheval territorial verra le jour dans la commune d’Hennebont (Morbihan) à l’automne 2022. Elle sera dédiée aux communes qui cherchent à utiliser des chevaux pour collecter des déchets, ou entretenir des espaces verts par exemple.

Inuit, cheval de trait de race Comtois. © Alban Dejong / Reporterre

Une fois la formation de l’école du cheval terminée, les stagiaires pourront s’ils le souhaitent acheter un des chevaux de l’école. Inès est particulièrement fan d’Inuit, un jeune Comtois qu’elle voit bien intégrer le domaine dans lequel elle travaille.


Ce petit groupe se retrouvera jusqu’au mois d’octobre avant de pouvoir travailler en binôme avec leur cheval, loin du brouhaha des machines, de manière autonome dans le silence des parcelles, pour ainsi revenir au plus près de la vigne.

© Alban Dejong / Reporterre


Notre reportage en images :


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