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EnquêteQuotidien

Aller au travail en auto-stop : bonne ou mauvaise solution ?

Autostop en Belgique (photo d'illustration).

Pour faciliter les mobilités, communes et collectivités investissent dans l’autostop organisé. Plus rassurant pour l’usager, ce système montre pourtant des limites.

Les avez-vous remarqués au bord des routes ? Dans le Loiret, les Ardennes, la Charente-Maritime, l’Aveyron… les panneaux « Arrêt sur le pouce » fleurissent en France. L’initiative, baptisée Rezo Pouce et née en 2010 dans le Tarn-et-Garonne, a bien grandi. Aujourd’hui, plus de 3 000 communes ont rejoint Rezo Pouce. Le principe est simple : le candidat autostoppeur s’inscrit soit dans sa mairie ou à un point relais, soit via l’application Rezo Pouce. Il reçoit alors une carte de membre. Il ne lui reste plus qu’à lever le pouce à une borne, muni d’une pancarte avec sa destination, et d’attendre qu’un conducteur également inscrit sur le réseau (un autocollant Rezo Pouce est posé sur le pare-brise) s’arrête.

« Le temps moyen d’attente est de six minutes et ce, quel que soit le territoire, assure Bénédicte Rozes, directrice générale de Mobicoop, la société coopérative de mobilité avec laquelle a fusionné Rezo Pouce en 2021. Et dans 9 cas sur 10, vous serez pris en moins de dix minutes. » Outre la simplicité, l’autostop repose aussi sur un principe de gratuité, contrairement au covoiturage, où les frais sont partagés. « Le conducteur a prévu de passer par là, il s’arrête pour rendre service. » 

« Qui va s’arrêter ? Que vont penser les voisins ? »

 
Cet encadrement cherche à rassurer les néophytes vis-à-vis d’une pratique popularisée dans les années 1970 et encore très souvent associée à une image de hippies. Rezo Pouce identifie plusieurs freins à l’autostop et vise à les casser : « Qui va s’arrêter ? Que vont penser les voisins ? Combien de temps vais-je attendre ? » La formule rencontre un certain succès. « Dans les territoires où le système est mis en place, lorsqu’un vrai travail de communication et d’animation est mené, ce sont 3 % d’utilisateurs en plus chaque année, au début, affirme la directrice de Mobicoop. On estime qu’entre 8 et 9 % de la population des territoires adhérents sont inscrits à Rezo Pouce. » 

Hausse du prix du carburant, prise de conscience écologique… Le contexte favorise également cette nouvelle forme de mobilité. « De plus en plus de personnes font le choix de n’avoir plus qu’une seule voiture pour des raisons de sobriété. Ils se disent que deux voitures, c’est trop », remarque Bénédicte Rozes. Depuis juillet dernier, les collectivités — confrontées à une certaine urgence — sont plus nombreuses encore à solliciter l’expertise et l’appui de Rezo Pouce.

Des initiatives freinées par le Covid

Pourtant, l’autostop organisé ne fonctionne pas toujours comme sur des roulettes, comme l’ont expérimenté la commune d’Orvault (Loire-Atlantique) ou la presqu’île de Crozon (Finistère). Le gros écueil de ces deux dernières années s’appelle le Covid. « Cocliquo, notre réseau qui était opérationnel depuis 2019, a été grandement mis à mal par les confinements successifs », déplore Pascale Bras, cheffe de cabinet à la mairie d’Orvault.

En tout une dizaine de bornes affichant plusieurs destinations interquartiers ont été installées sur cette commune et celle de Sautron, limitrophe. Là aussi, autostoppeurs et automobilistes volontaires sont invités à s’inscrire en ligne. Les premiers reçoivent un numéro et un aimant à coller sur la borne pour indiquer le lieu de leur destination (pas besoin de préparer une pancarte) ; les seconds apposent un autocollant sur le pare-brise. Une fois pris en charge, l’autostoppeur envoie par texto le numéro du conducteur qui l’a pris en charge « à des fins de statistiques et pour se sécuriser », précise Pascale Bras.

Selon elle, « le dispositif était bien parti, très pratique et permettait de créer des rencontres et du lien social, mais il aurait fallu continuer à l’entretenir, et il nécessiterait d’être relancé ». Une tâche qui demande du temps et de l’implication quand les collectivités se concentrent aussi sur d’autres alternatives de mobilité (réseau de bus, pistes cyclables, covoiturage plus classique…).

Les villes du réseau Rezo Pouce. Capture d’écran/Rezo Pouce

Même constat sur la presqu’île de Crozon. « La période du Covid a stoppé net notre élan, déplore Armel Ménez, l’un des créateurs du réseau Octopouce, né d’une initiative associative. Mais je suis convaincu que nous étions assez proches d’une solution. » Au-delà du coup d’arrêt lié aux confinements, il reconnaît plusieurs erreurs qui ont pu nuire au développement du réseau.

Tout d’abord, l’obligation de s’inscrire sur un site web alors que « cet accès n’est pas donné à tous dans un contexte rural ». Ensuite, la difficulté à animer le réseau pour qu’il se développe. Enfin, la question des infrastructures s’est révélée cruciale. « Dans les ronds-points, il est impossible de s’arrêter. Nous avions émis l’idée d’utiliser les abris ou arrêts de bus. Bien répartis, ils étaient l’endroit idéal, se souvient le créateur d’Octopouce. Sauf que le Code de la route interdit de se garer à ces arrêts. » Impossible pour la commune de déroger à cette interdiction. 

Octopouce a également pâti d’avoir été implanté sur l’ensemble des sept communes de la presqu’île, un grand territoire. « Les panneaux d’arrêt étaient trop dispersés, le maillage pas assez dense. On s’est aussi aperçu à l’usage que certains panneaux n’étaient pas forcément au bon endroit. Mais une fois installées par la collectivité, ce qui prend des mois et coûte de l’argent, ces bornes ne peuvent plus être déplacées. » 
 
Sylvie Landriève, codirectrice du Forum vies mobiles, un institut de recherche sur la mobilité, confirme qu’il ne faut pas négliger l’investissement : abris, stationnements à créer, éclairage à prévoir, etc. Se pose une autre difficulté : « Les bornes d’arrêt doivent être installées dans des lieux facilement accessibles à pied, mais souvent, ces zones ne sont pas celles où a lieu le trafic. Et inversement, là où le trafic se fait, dans des lieux de contournement routier, par exemple, le piéton aura du mal à y accéder. Ou seulement au prix d’un aménagement important de la collectivité. »

« L’autostop organisé ? Pas mieux que l’autostop libre »

L’autostop organisé est loin d’être la solution des petits trajets du quotidien, pense Jacques Toulemonde, président de l’association AutosBus dans la région de Bourg-en-Bresse. « On a beaucoup travaillé sur cette alternative. Et on s’en est lassé, explique celui qui s’intéresse depuis des années aux questions de mobilités alternatives. Notre conclusion, c’est que l’autostop libre fonctionne très bien pour les allers-retours du quotidien, si on sait s’y prendre. Et que l’autostop organisé, quand ça réussit, ça ne fonctionne pas mieux que l’autostop libre. »

Faut-il alors privilégier le covoiturage courte distance qui ne nécessite pas l’installation d’arrêts matérialisés ? Pas forcément, estime Sylvie Landriève, qui étudie actuellement la pertinence de ce système : « On a des raisons de penser que l’autostop organisé serait plus efficace que le covoiturage courte distance. » Celui-ci, qui repose sur une réservation et le partage des frais, à l’image du covoiturage longue distance type BlaBlaCar, pâtit du manque de spontanéité : sur des trajets courts et quotidiens, c’est une perte de temps pour le covoitureur — souvent contraint par des horaires de travail — s’il doit attendre ou faire un détour.

Selon Jacques Toulemonde, la formule idéale résiderait plutôt dans les « lignes de covoiturage spontané », un mix entre autostop et covoiturage. L’agglomération de Chambéry a lancé sa première ligne en 2018 : comme pour les itinéraires de bus, des arrêts sont installés sur des tracés définis. L’usager choisit sa destination directement à la borne via des boutons-poussoirs et celle-ci s’affiche sur le panneau lumineux. Pas besoin de préinscription ni d’application, et c’est gratuit. Aujourd’hui, neuf lignes sont développées.

« Plusieurs centaines de trajets par mois sont comptabilisés, explique Béatrice Quinquet, responsable des services à la mobilité du Grand-Chambéry. Même si le système a été un peu freiné par le Covid, il n’a jamais été à l’arrêt, et il est en pleine phase de croissance. » Preuve de ce succès, le prototype conçu à Chambéry — « nous avons soigné le mobilier pour mettre en valeur cette démarche écoresponsable » — a depuis été développé par la jeune entreprise Ecov, « devenue une référence en matière de covoiturage spontané ». Faire du stop est devenu simple comme appuyer sur un bouton.

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