Arié Alimi : « Les violences policières sont la conséquence d’un pouvoir peu légitime »

Pour Arié Alimi, la brutalisation du maintien de l’ordre est liée à un transfert de technologies déjà expérimentées dans les quartiers populaires. - © Nnoman Cadoret/Reporterre
Pour Arié Alimi, la brutalisation du maintien de l’ordre est liée à un transfert de technologies déjà expérimentées dans les quartiers populaires. - © Nnoman Cadoret/Reporterre
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Des marches contre les violences policières ont lieu partout en France ce samedi 23 septembre. Pour l’avocat Arié Alimi, ces violences sont représentatives de la capacité de l’État « à s’abstraire de ses propres lois ».
Membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme, Arié Alimi est avocat et défend des victimes de violences policières. Il vient de publier L’État hors-la-loi - Logiques des violences policières(La Découverte).
Reporterre — La marche de ce 23 septembre est-elle emblématique de la perte croissante de légitimité de l’État décrite dans votre livre ?
Arié Alimi — Elle en est plutôt la conséquence. Comme l’écrivent Hannah Arendt ou Walter Benjamin, la violence politique apparaît et s’exprime de manière disproportionnée quand le pouvoir politique est peu légitime et faible.
Dès lors, les manifestations contre ces violences, qui sont une réaction populaire, sont une conséquence de cette perte de légitimité de l’État. Le gouvernement Macron en est un exemple historique concret : le président n’a qu’une très faible légitimité.
Pourquoi parlez-vous d’un « État hors-la-loi » ?
Depuis la révolution française et la pensée des Lumières, qui est née de la résistance à l’arbitraire monarchique et à l’arbitraire des privilèges, notre démocratie repose sur l’idée que l’État ne peut pas s’abstraire de ses propres lois. Ainsi, les représentants de l’État doivent être soumis aux mêmes règles que le reste de la population.
Pourtant, depuis plusieurs années, nous constatons le contraire : ce qui définit l’État est sa capacité à s’abstraire à la marge de ses propres lois, et même à franchir allègrement la légalité. On peut même se demander si le franchissement de la légalité n’est pas devenu un marqueur étatique.
Les violences policières en sont un bon exemple. Il ne devrait pas y avoir de pouvoir d’exception mais, pourtant, c’est bien ce que demandent les policiers, qui réclament un régime d’exception en matière de détention provisoire, de présomption de légitime défense, etc.
Au fond, ils exigent ce que l’État veut faire croire à tout le monde depuis toujours, à savoir qu’il y aurait un monopole de la violence légitime. Rien de tel n’existe pourtant dans le droit, il n’y a que le droit qui nous régit.
Vous établissez une typologie des violences policières : ethno-raciales, politiques, lors de contrôles routiers. Pourquoi est-il important de les distinguer ?
Pour arriver à faire admettre au plus grand nombre l’existence même des violences policières, il faut décrire ce que sont ces violences. Pour cela, il faut les rationaliser, comprendre leurs fonctions sociales, leurs clivages, les transferts de l’une à l’autre.
Par exemple, les violences policières ethno-raciales, qui ont majoritairement lieu dans les quartiers populaires, recoupent largement les violences qui surviennent lors des contrôles routiers : là où les premières, qui ont un lien très fort avec l’expérience de l’occupation et de la colonisation, ont pour fonction sociale de maintenir la ségrégation sociale et territoriale dans ces quartiers, les secondes touchent quasi exclusivement les personnes noires ou arabes, et relèvent d’un nouveau contrôle social des flux de circulation.
« Les violences policières politiques témoignent d’une brutalisation du maintien de l’ordre »
De la même manière, les violences policières politiques témoignent d’une brutalisation du maintien de l’ordre, qui est liée au transfert de technologies déjà expérimentées dans les quartiers populaires — le LBD 40, par exemple — mais aussi à l’intervention d’unités déjà présentes dans ces mêmes quartiers : la BAC ou encore la BRAV-M.
Je voulais donc proposer un début de réflexion à ce propos, de façon à ce que le plus grand nombre, notamment dans la recherche, s’empare de ce sujet fondamental aujourd’hui, et qui le sera encore plus dans les années à venir.
Il est évident que, ces prochaines années, le réchauffement climatique va aller de pair avec des mesures liberticides. C’est d’ailleurs pour cela qu’en ce moment, la violence s’abat particulièrement sur les mouvements d’écologie politique.
À ce propos, les mouvements écolos font-ils suffisamment alliance avec les quartiers populaires ?
Il y a des expériences très intéressantes et importantes, par exemple Verdragon. Mais non, globalement, il n’y a jamais eu de véritable convergence des luttes. Je ne suis même pas sûr qu’elle pourra se faire car il y a des histoires différentes, des antagonismes.
Le mouvement écolo est blanc et plutôt bourgeois et, quand on vit dans un quartier populaire, on n’a pas la même sensibilité quant au vécu de la ségrégation, des discriminations permanentes. C’est peut-être dans le ressentiment des personnes vivant dans la ruralité et les territoires, qui est un ressentiment fortement vécu dans les quartiers populaires, qu’émergera la nécessité de lutter en commun. Pour l’heure, hélas, tout cela s’exprime dans un vote populiste et nationaliste.
Vous écrivez ceci : « Je pense que le droit, arme de répression façonnée par l’État, peut devenir un outil de justice pour les victimes, combattre la violence et transformer l’État. » De quelle manière ?
Le droit est outil répressif : il a été créé par l’État pour conserver le pouvoir, permettre la violence, voire pour empêcher que les violences policières ne soient poursuivies. Cela étant dit, un outil peut changer de main et donc de fonction.
Le droit est aussi une partition : au même titre qu’une partition musicale, il y a celui qui l’écrit, l’État, le législateur, et celui qui l’interprète, à savoir le juge. En tant qu’avocat, on peut orienter le juge, qui est un être humain avec sa subjectivité, vers une interprétation différente de celle voulue par l’État.
Enfin, le droit est une langue : il y a quelque chose de commun à toutes les cultures et à toutes les langues dans le droit. Je pense que c’est cette langue commune qui permettra peut-être d’envisager une expérience de démocratie pure. C’est une chose que je constate en tant qu’avocat : quand je poursuis des policiers ou que je lutte contre les violences policières, le droit me permet de retourner le stigmate.