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ReportageClimat

Arrestation et contrôle d’identité. Délit ? Lutter pour le climat avec un vélo

Admirez les discours et les ronds de jambe de M. Hollande, de M. Fabius, de Mme Royal, au Sommet sur le climat de New York.

A Paris, la police arrête les cyclistes qui roulent ensemble pour montrer qu’un monde sans voitures est possible. Des mots contre le CO2, la police pour défendre les autos.


-  Paris, reportage

Hier, j’ai pris mon vélo. Comme la veille pour me rendre à la marche pour le climat, et comme l’avant-veille pour rejoindre Gonesse où se déroulait le premier Alternatiba Ile-de-France.

Il était 18h00, 22 septembre 2014. La date marquait l’aboutissement d’une importante séquence d’événements autour du climat, en vue du Sommet des Nations Unies sur le climat qui s’ouvre aujourd’hui à New-York. Outre les deux précédents événements, Reporterre avait également couvert le Parking day et le Festival La Voie est libre. Toutes ces manifestations dénoncent les politiques climaticides en cours à travers le monde, politiques auxquelles elles répondent par autant d’alternatives concrètes.

Ce lundi soir, c’était le bouquet final, avec la vélorution. La vélorution, c’est ce mouvement qui promeut l’utilisation du vélo comme moyen de transport en ville tout en dénonçant les privilèges accordés aux voitures ainsi que l’emprise des véhicules motorisés dans le trafic urbain. D’ailleurs, le 22 septembre, c’est aussi la date de clôture de la « semaine européenne de mobilité ». Une semaine qui aura finalement été marquée par… un nouveau pic de pollution en Ile-de-France.

Avant, le 22 septembre, c’était la journée mondiale sans voiture. La création de cette "initiative européenne" a servi à ranger la journée sans auto au placard. Peu importe, la date est restée. Symbolique. Et les militants de la vélorution organisent depuis dix ans, ce jour-là, leur grande masse critique.

Bref, ce 22 septembre promettait d’être un bon reportage. Comme l’année dernière, direction place de l’Etoile. L’allégorie même du règne automobile à Paris. 18 h 29 : les premiers cyclistes répartis à l’embranchement des différentes avenues se lancent par petits groupes.

Comme l’an dernier, l’insertion sur le carrefour nécessite la plus grande vigilance. Toujours pas de ceintures de sécurité ni d’airbags inventés à destination des cyclistes qui tentent de s’engager dans la danse des voitures. Le rapport de force est toujours aussi déséquilibré.

Comme l’an dernier, un peloton finit par se former et se fraye un espace sur les pavés. Les voitures klaxonnent, le traffic ralentit autour de l’Arc de Triomphe. En 2013, c’était un dimanche soir ; fin de week-end, la circulation était moins dense. Cette fois-ci, lundi soir à la sortie du boulot dans l’ouest parisien, la tâche est autrement plus délicate.

Comme l’an dernier, nous sommes tout au plus une petite centaine. Pas assez pour transformer l’endroit en point rouge pour Bison Futé. Dix petits tours de la sépulture, et la ronde prend fin. Juste assez pour le plaisir des touristes japonais dont les flashs crépitent à tout-va. Mais déjà trop pour l’association des anciens combattants en pleine cérémonie officielle autour de la flamme du soldat inconnu.

Comme l’année dernière, la maréchaussée nous redirige instamment vers les Champs-Elysées. Mais l’ambiance est bonne, et l’opération « escargot » à deux roues se déroule sereinement. Organisateur historique de l’événement, Jérôme prend toujours autant de plaisir à offrir « la plus belle avenue du monde » aux vélos. On calque nos allures, vitesse douce 5 km/h, je lui tends le micro, il raconte :

-  Ecouter Jérôme :

Il est 19 h lorsque nous arrivons sur le rond-point des Champs-Elysées. Une femme double brusquement, baisse la vitre de sa BMW coupé et invective le premier cycliste venu : « Je vais faire comment, moi, avec mes enfants, si je mets cinq heures pour rentrer, hein ?! ». Cela fait quinze minutes, maximum, que nous pédalons à petit train vers le jardin des Tuileries, destination du cortège. Comme l’an dernier.

Nous ne l’atteindrons jamais. Une centaine de mètres avant la place de la Concorde, une rangée de fourgons de CRS bloque la route. Les hommes en bleu les précèdent. Une quinzaine. Ils s’élancent précipitamment vers les premiers vélos. Mouvement de panique dans le peloton, quelques échappées prennent les allées boisées. On rebrousse chemin.

Les esprits se reprennent autour du rond-point, quelques mètres derrière. Il n’y a pas eu de violence physique. Simplement l’intimidation : quelques CRS qui déclenchent subitement leur course ont réussi à effrayer les cyclistes pacifiques. On parlemente, on explique l’enjeu de la mobilisation. La surprise de l’attaque n’a pas engendré de virulence particulière. L’ambiance est plutôt calme, quelques sourires s’esquissent devant l’absurdité de la scène. Un CRS dit d’une voix presque doucereuse : « On ne veut pas vous empêcher de faire du vélo, juste vous rediriger pour ne plus bloquer la circulation ».

Peu à peu, les CRS nous dirigent vers le couloir de bus de l’avenue Matignon. Peu à peu, ils se font plus nombreux. Peu à peu, ils nous encerclent. Peu à peu… nous voilà parqués. Une manœuvre de kettling – cette technique policière d’encerclement de plus en plus utilisée dans la régulation des manifestations. Sournoisement, la pieuvre a refermé ses tentacules sur les petits agneaux à vélo. Une gestion froide, méthodique.

Il n’y a même pas une esquisse de rébellion. D’abord parce que la non-violence est un principe cardinal de ce genre de mobilisation. Y a-t-il plus pacifique qu’une grande manifestation à vélo ? Ensuite, parce que la sidération a pris le dessus. Nous sommes nombreux à être restés pour regarder, essayer de comprendre. Mais pouvait-on seulement imaginer que nous finirions par être arrêtés… ?

Nous sommes une cinquantaine, soixante grand maximum. Arrêtés, là, à ciel ouvert, exposés aux yeux des passants. Parfaitement dociles, bons benêts écolos, derrière le cordon des CRS. Et nous allons rester là, accoudés à nos guidons, sans aucune explication. Longtemps.

Le temps de voir passer les huit fourgons de CRS devant nous. A raison de cinq places à l’intérieur de chacun de ces fourgons, vous faites le calcul. Oui, chacun des cyclistes avait presque droit à son CRS.

Le temps de profiter de l’humour policier : « Alors, il est où Miguel Hindurain, maintenant ? » Le temps de ressasser. De se dire qu’au fond, on le sait, il n’y a plus rien de surprenant, que l’Etat-policier continue à se mettre en place dans l’indifférence, comme au Testet, comme à Notre-Dame-des-Landes, comme à la Ferme-usine des Mille Vaches, comme dans tant d’autres luttes et places de la vie quotidienne.

On croise Isabelle, une ancienne amie, retraitée, engagée dans différents projets écolo. Elle est atterrée. « Alors, comme ça, on peut incendier des bâtiments publics en Bretagne sans être trop inquiétés, mais par contre, faire du vélo sur la voie publique avec des copains… ? » Oui, on le sait : la mansuétude du pouvoir politique à l’égard de certains tranche avec la disproportion de la répression à l’égard d’autres.

Sauf que c’est toujours une vraie meurtrissure. Sauf que cela ne peut pas devenir ordinaire. Qu’est-ce qu’on lui dit, à la petite fille qui vous regarde, les yeux grands ouverts, à travers la vitre du bus qui vous longe ?

Au bout d’une demi-heure, des policiers viennent finalement relever votre identité. On interroge la nature du délit. Réponse : « Vous avez créé une gêne à la circulation, avec des banderoles. Les banderoles, c’est interdit, c’est considéré comme une manifestation. Or une manifestation, il faut la déclarer au préalable ». Pourtant cet événement se tient chaque année, au même endroit, à la même date… « Eh bien, je vous conseille de changer d’endroit. Ne serait-ce que pour le respect des anciens combattants. Car là, il y avait une cérémonie à l’Arc-de-triomphe que vous avez perturbée… ». Une nouvelle demi-heure, et nous repartirons, au compte-goutte, la nuit tombante…

Hier, j’ai pris mon vélo, pour faire mon métier. Hier, j’ai pris mon vélo parce qu’il faut couvrir ce genre d’initiatives, qui portent des combats mais aussi des espoirs. Mais personne n’en parle : y avait-il d’autres journalistes que ce photographe de l’AFP, à moto… ?

Hier, j’ai pris mon vélo, parce que ça avait du sens. Hier, j’ai pris mon vélo et j’ai été traité comme un petit terroriste à roulette. Et demain ? Demain, je reprendrai mon vélo.

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