Au Chili, la droite aux manettes de la nouvelle Constitution

Des Chiliens célèbrent le rejet du projet de nouvelle Constitution, à Santiago, le 4 septembre 2022. - © AFP / Claudio Reyes
Des Chiliens célèbrent le rejet du projet de nouvelle Constitution, à Santiago, le 4 septembre 2022. - © AFP / Claudio Reyes
Durée de lecture : 4 minutes
Dimanche 7 mai, les Chiliens votent pour la cinquième fois depuis la révolte sociale de 2019. Après le rejet de la Constitution écrite par une Assemblée indépendante en 2022, les partis politiques de droite reprennent la main.
Santiago (Chili), correspondance
Dans le centre-ville de Santiago du Chili, en plein automne austral, rien ne laisse présager que dans quelques jours, 15 millions de Chiliens se rendront aux urnes pour élire un Conseil constitutionnel. Les équipes de campagne peinent à distribuer les tracts des 350 candidats. Au total, 50 d’entre eux deviendront conseillers constituants, de juin à novembre 2023, et auront la mission de débattre d’une nouvelle proposition de Constitution.
C’est la deuxième tentative depuis la révolution de 2019 de doter le pays andin d’une Constitution. Le but était de remplacer celle de la dictature de Pinochet, adoptée en 1980, et socle du modèle néolibéral qui a privatisé l’éducation, la santé, les transports et même les sources d’eau. En 2022, l’Assemblée de 155 constituants, majoritairement issus des mouvements sociaux et des partis de gauche, avait présenté un texte ambitieux, instituant un État démocratique de droits sociaux. Contre toute attente, après une campagne marquée par la désinformation et la peur du changement, 62 % des votants ont rejeté le projet, le 4 septembre 2022.
Société civile et peuples originaires mis à l’écart
Cet échec a permis aux partis politiques et aux conservateurs de reprendre la main. Ils ont négocié pendant des mois à huis clos. Ils ont accouché en février dernier d’un nouveau processus constitutionnel. Celui-ci est « élitiste » et « encapsulé », regrette Claudia Heiss, politologue de l’université du Chili, interrogée par Reporterre.
Deux organes ont la mission d’écrire le texte. Une commission de vingt-quatre experts — nommée par le Congrès — rédige actuellement un brouillon de Constitution. Puis le Conseil constitutionnel — élu le 7 mai — prendra le relais pour débattre du préprojet des experts, majoritairement juristes. Enfin, une commission technique veillera au respect des douze « bases constitutionnelles » convenues par les partis politiques, avant même que le texte n’ait commencé à être écrit.

Selon Claudia Heiss, « ce nouveau processus s’éloigne des citoyens et sera moins divers ». Le Conseil « aura trois fois moins de représentants que la première Assemblée : 50 contre 155 ». Par ailleurs, contrairement à 2022, « les indépendants ne peuvent pas participer. Cette élection de 2023 est dominée par les partis politiques ». Quant aux peuples originaires, qui avaient 17 sièges sur les 155 dans la première Assemblée, ils seront probablement absents du Conseil constitutionnel. Seuls deux candidats mapuches ont obtenu les signatures pour se présenter. L’un deux, Alihuen Antileo Navarrete, dénonce « une sorte de génocide électoral, [...] les conservateurs ont passé un accord » pour que les peuples originaires « soient exclus du futur Conseil ».
Un désintérêt grandissant pour la nouvelle Constitution
À la sortie de la gare routière de Valparaiso, sur la côte Pacifique, une trentenaire attrape un tract tendu par un militant. « Je ne sais même pas qui sont les candidats de ma région ! » s’exclame-t-elle. Les enquêtes d’opinion le confirment. « Seulement 31 % des Chiliens s’intéressent à la rédaction de la nouvelle Constitution, contre 60 % en avril 2021 avant l’élection de la première Assemblée », indique un sondage réalisée par Criteria.
Cinq listes sont en compétition, et la division règne. Trois partis du gouvernement progressiste de Gabriel Boric s’allient sous la bannière de L’Unité pour le Chili. Le Parti pour la démocratie, aussi membre du gouvernement, a pactisé avec d’autres partis du centre gauche. La droite traditionnelle de Chile Vamos s’oppose à l’extrême droite de José Antonio Kast, qui n’a jamais été favorable à une modification de la Constitution. La dernière liste est menée par le libéral populiste Franco Parisi. « Selon les pronostics, il y a un virage conservateur dans l’électorat chilien et ils donnent la droite gagnante, analyse Claudia Heiss. Ceci dit, la nouvelle proposition de Constitution, qui sera soumise à référendum en décembre 2023, est susceptible d’être rejetée, surtout si les listes opposées à une nouvelle Constitution obtiennent une majorité au Conseil constitutionnel. »