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Au Chili, le peuple et les autochtones ont désigné l’Assemblée constituante

Un scrutin historique s’est joué ces 15 et 16 mai au Chili : les citoyens ont déterminé qui seront les 155 membres de la future Assemblée constituante, chargée de rédiger la nouvelle Constitution réclamée lors de la révolte sociale de 2019. Et pour la première fois, dix-sept sièges ont été accordés aux peuples autochtones, longtemps méprisés par l’État.

Valparaíso (Chili), correspondance

Un week-end électoral historique s’est joué au Chili : les 15 et 16 mai, les Chiliens étaient appelés aux urnes pour élire les membres de l’Assemblée constituante. Après avoir approuvé à 78,28 % le principe d’une nouvelle Constitution lors du référendum d’octobre 2020, le peuple chilien a élu les 155 membres de l’Assemblée, qui ont douze mois pour rédiger le nouveau texte. Les candidats hors partis ont obtenu le plus de votes (46,24 % des suffrages, 48 sièges), devant la liste de la droite unie du président Sebastián Piñera (20,56 %, 37 sièges). La droite n’atteint pas le tiers des élus, ce qui lui aurait permis de mettre son veto aux réformes décidées par la Constituante. Elle est dépassée par la gauche (25 sièges pour le Parti communiste et 28 sièges pour celle de centre gauche). 17 sièges étaient réservés aux peuples autochtones.

En août 2022, un autre référendum — au vote obligatoire cette fois-ci — approuvera ou rejettera la nouvelle Constitution.

L’écriture d’une nouvelle Constitution pour en finir avec l’ère Pinochet et le système néolibéral installé pendant sa dictature, les Chiliens l’ont arrachée au gouvernement du président milliardaire Sebastián Piñera après des semaines de mobilisations violemment réprimées fin 2019, et ayant provoqué la mort d’au moins vingt-sept personnes et des centaines de mutilés, selon un rapport accablant de l’Organisation des Nations unies (ONU). Ils ont également obtenu que l’Assemblée constituante soit paritaire et multiculturelle.

Pour la première fois, une Constitution va donc être rédigée par autant de femmes que d’hommes [1] et par des représentants des neuf peuples originaires du Chili [2], qui ne sont pas reconnus dans la Constitution actuelle. Ainsi, 17 des 155 sièges ont été réservés aux peuples autochtones longtemps méprisés, et toujours réprimés par l’État chilien. Les peuples autochtones, qui ont fortement participé aux manifestations de 2019 pour demander plus de droits et une reconnaissance de leurs terres ancestrales, représentent 12,8 % des Chiliens (soit un peu plus de 2 millions de personnes) qui se sont civilement reconnus comme des « originaires », d’après un recensement de 2017. Seuls ces derniers, inscrits comme « électeurs d’origine autochtone », pourront voter pour les candidats indigènes.

« Une Assemblée constituante maintenant ! » demande cette Chilienne lors d’une manifestation en 2019. © Marion Esnault/Reporterre

« C’est un peu une élection dans l’élection, dit à Reporterre Gabriela Calderón, candidate pour le peuple diaguita. On nous a assignés des règles différentes aux candidats non autochtones, comme si on était des candidats locaux et non nationaux. Évidemment, nous faisons campagne sur nos territoires autochtones pour qu’aillent voter les membres de notre communauté, mais les enjeux sont nationaux ! Pour la campagne électorale, nous avons reçu 173 083 pesos chiliens de l’État [près de 200 euros] par candidat, alors que ceux des partis politiques ont reçu jusqu’à 6 850 000 pesos chiliens [près de 8 000 euros]... Il y a de quoi rire ! »

Cette inégalité de traitement [3] est l’une des raisons pour lesquelles des candidats autochtones ou des défenseurs des peuples originaires ont choisi de se présenter avec des partis politiques. C’est le cas de Manuela Royo, avocate et candidate dans l’Araucania, un territoire du peuple mapuche situé à 670 kilomètres de la capitale Santiago : « Pour assurer la reconnaissance d’un État multiculturel et des droits de la nature, il faut que nous soyons en lice en dehors des listes autochtones. Car au-delà des revendications sociales pour une éducation gratuite, une santé publique ou des retraites dignes, les deux protagonistes de la révolution d’octobre 2019 étaient les représentants de la lutte féministe et les peuples originaires. Deux aspects particulièrement invisibilisés au Chili et qui sont maintenant au cœur du processus constitutionnel. »

« Tous nos conflits tournent autour de l’eau et du secteur minier. »

Le peuple mapuche — dont le drapeau flottait dans les manifestations en octobre 2019 — a bénéficié de sept des dix-sept sièges dédiés aux peuples originaires. Les Mapuches sont les autochtones les plus nombreux au Chili et comme les huit autres ethnies reconnues, ils luttent depuis des décennies pour la protection de leur culture et de la Pachamama, la « Terre mère ». Chaque peuple originaire au Chili vit un conflit socio-environnemental, que ce soit avec les entreprises minières, forestières ou agro-industrielles.

Une question qui est d’ailleurs au cœur du programme de Gabriela Calderón, la candidate diaguita : « Tous nos conflits tournent autour de l’eau [qui est privatisée et dont l’accès n’est pas garanti à tous par la Constitution actuelle] et du secteur minier. Dans notre pays, la législation a marchandisé l’eau sans considérer les peuples qui habitent les territoires. Notre spiritualité est affectée : pour nous, les montagnes ou les fleuves sont des êtres divins et vivants avec lesquels nous cohabitons. Avec cette nouvelle Constitution, nous voulons un changement de paradigme : passer d’une vision anthropocentrique à une vision écocentrique. »

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