Bataille autour du sel bio : les industriels veulent profiter du label

Récolte de sel de mer artisanale à Batz-sur-Mer, en Loire-Atlantique. - Flickr/CC BY-SA 2.0 Deed/elPadawan
Récolte de sel de mer artisanale à Batz-sur-Mer, en Loire-Atlantique. - Flickr/CC BY-SA 2.0 Deed/elPadawan
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La création d’un label bio pour le sel déchire le secteur. Les producteurs artisanaux s’inquiètent d’une récupération du label par les industriels.
Du sel ramassé artisanalement dans des marais salins et du sel extrait des mines souterraines, bientôt tous les deux certifiés avec le label Agriculture biologique (AB) ? L’inquiétude grandit parmi les professionnels de la filière artisanale, de quoi pousser, le 4 octobre, l’organisme de certification Ecocert France à s’y opposer « fermement ».
Le sel bio français serait « une tromperie manifeste des consommateurs, remettant en question la crédibilité et l’image de toute la filière, voire pire, du label Bio dans son ensemble », a certifié Gaëtan Sirven, responsable de programme et de certification chez Ecocert, dans une lettre ouverte adressée à l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao), qui valide les candidatures des certificateurs sur chaque produit alimentaire à labelliser.
Si l’attaque est aussi nette, c’est que le dossier du sel bio s’embourbe depuis plusieurs années. En 2018, l’Union européenne a publié un règlement qui intègre le sel aux filières biologiques. Restait désormais à définir ce qu’est un sel bio. C’est là que les choses se compliquent. Le sel est un minéral et pas une production agricole, motif poussant des élus français à vouloir annuler la décision européenne pour exclure le sel de l’agriculture biologique.
Malgré ces réticences, un cahier des charges européen a été élaboré et soumis à l’avis des acteurs de la filière, dans l’idée d’établir une définition commune. Mais pas facile de se mettre d’accord. Le sel issu de l’extraction minière ne devrait pas avoir sa place dans le label AB, assurait par exemple l’Association française des producteurs de sel marin de l’Atlantique récolté manuellement (AFPS), lors de la consultation du public durant l’hiver 2022.
Elle pointait dans le projet de cahier des charges la possibilité de labelliser la technique d’obtention du « sel en chauffant artificiellement de l’eau salée, sans contrainte quant à l’énergie utilisée. [...] A contrario, pour le sel de mer qui s’évapore naturellement, sans aucune dépense énergétique, la Commission impose que la phase de séchage du sel soit réalisée avec de l’énergie renouvelable ». Pour l’association, « cela n’a aucun sens écologique et crée de fait, une distorsion de concurrence ».
« Une concurrence européenne et internationale déloyale »
Le cahier des charges européen a finalement été soumis au vote du Parlement européen en juillet dernier, qui l’a rejeté. Résultat : à défaut d’un cahier des charges unique, chaque État membre doit désormais rédiger le sien. Nous risquons donc d’avoir dans les étals de nos commerces des sels labellisés AB, mais de nature, origine et aux méthodes de production très variées.
« Un client qui veut s’inscrire dans une démarche respectueuse de l’environnement ira plus facilement acheter un produit AB qu’un produit avec un autre label », précise Tanguy Menoret, président de l’AFPS, qui travaille sous le label Nature et Progrès, une certification bio associative.

L’apparition du logo AB amène donc une nouvelle concurrence industrielle, selon Tanguy Menoret : « La valeur ajoutée sur le marché du sel est du côté des signes de qualité, c’est pour cette raison que les industriels ont voulu se positionner sur ce marché du bio. Avec le refus d’un cahier des charges commun, ils vont désormais négocier à l’échelle nationale pour chaque cahier des charges. »
En Allemagne par exemple, le sel est issu de gisements souterrains, le cahier des charges allemand devrait donc s’adapter à cette particularité. Les cahiers des charges espagnol, polonais, tchèque ou français auront aussi leurs spécificités, mais toutes ces différences seront réunies sous un seul logo vert.
Considérant ce dossier épineux, certains acteurs comme Ecocert préfèrent ne pas y mettre les pieds et prônent le retrait du sel de la réglementation européenne dédiée à l’agriculture biologique. « C’est une position de principe, mais là, il faut être pragmatique », croit Tanguy Menoret.
Face aux craintes de certifier des pratiques écocides et d’un renfort d’une « concurrence européenne et internationale déloyale », la députée Catherine Dumas demandait en septembre dernier un calendrier pour que la France construise « un cahier des charges clair et exigeant ». Le ministère de l’Agriculture n’a pas encore répondu.