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Déchets nucléaires

Bure : sans le prévenir, le tribunal juge l’écrivain Gaspard d’Allens

Mardi 16 octobre, l’écrivain-journaliste et militant anti-Cigéo Gaspard d’Allens a été jugé à Bar-le-Duc. Il n’était pas présent et n’avait pas été prévenu de l’audience. Un procès sans contradictoire, alors que la répression policière et judiciaire s’accentue contre les opposants à la poubelle nucléaire.

Être jugé sans être présent, sans avocat et sans même en avoir été prévenu… L’affaire ne se passe pas dans un régime autoritaire d’Asie centrale, mais au tribunal de grande instance de Bar-le-Duc (Meuse). Gaspard d’Allens, journaliste et militant — coauteur du livre Bure, la bataille du nucléaire aux éditions Le Seuil-Reporterre et opposant au projet d’enfouissement de déchets nucléaires dit Cigéo, mais aussi coauteur de Les Néopaysans — est passé en procès mardi 16 octobre. Sauf qu’il n’a pas été informé de cette audience, et n’a donc ni pu s’y rendre ni se faire défendre par un avocat. Le procureur, Olivier Glady, a requis trois mois de prison avec sursis pour entrave à travaux publics. Le jugement sera rendu le 13 novembre.

Gaspard d’Allens.

Les faits qui lui sont reprochés, ainsi qu’à une femme également jugée ce mardi malgré son absence, à elle aussi, remontent au 23 janvier 2017. Ce jour-là, des engins de travaux envoyés par l’Agence nationale des déchets radioactifs (Andra) pénètrent dans le bois Lejuc, alors occupé par des opposants à la poubelle nucléaire. Officiellement, afin de « remettre en état » les lieux, comme l’a exigé la justice en août 2016 lorsqu’elle a déclaré le défrichement du bois illégal. Mais les occupants craignent les prémices d’une expulsion et s’opposent à l’entrée des véhicules dans la forêt. Un petit groupe bloque ainsi le passage, dont deux personnes à visage découvert : Gaspard d’Allens et Cécile [*] C’est ce que la justice nomme « l’opposition par violence ou voie de fait » aux travaux publics. L’action a été en partie filmée par un journaliste de France 3 Lorraine, emmené par Gaspard, qui officiait à ce moment-là comme « relais média » :


« C’était un blocage symbolique sans violence, nos corps contre leurs machines, raconte Gaspard d’Allens, joint par Reporterre. À cette date, il y avait un grand flou juridique autour du bois : les occupants n’étaient pas expulsables, et la propriété du bois n’était pas claire. » Un mois plus tard en effet, le tribunal de Nancy invalidera la cession du bois Lejuc à l’Andra.

Le 23 janvier 2017, des opposants au projet Cigéo ont fait reculer une pelleteuse mandatée par l’Andra dans le bois Lejuc.

Qu’importe les doutes et la faiblesse du dossier... l’Andra a porté plainte pour entrave à travaux publics contre les deux seules personnes « formellement identifiables ». Puis… plus rien jusqu’au mardi 16 octobre. « Je n’ai pas été auditionné, mon dossier ne m’a jamais été transmis », dénonce Gaspard d’Allens. Lors de l’audience, les magistrats ont fait valoir qu’un courrier lui avait été envoyé à son domicile parisien et que le prévenu était « radicalement introuvable ». Sauf qu’il ne vit plus dans ce logement depuis qu’il a acheté une maison à Mandres-en-Barrois (Meuse), il y a plusieurs années. « Je suis sous écoute, surveillé et filmé quotidiennement par les gendarmes, et ils ne sont même pas capables de trouver ma bonne adresse ? » s’interroge-t-il.

« Il s’agit d’une justice expéditive et d’exception » 


Me Étienne Ambroselli, avocat habituel des opposants au projet Cigéo et présent ce mardi 16 octobre à Bar-le-Duc pour défendre une autre personne, s’est dit « atterré ». Apprenant par hasard la veille la tenue du procès, il en a demandé le report au motif que l’accusé ne le savait pas et donc qu’aucun avocat n’avait eu accès au dossier. Selon Me Ambroselli, le procureur, Olivier Glady, avait accepté cette requête et l’avocat ne s’est donc pas précipité pour prévenir Gaspard d’Allens. « Mais le procureur a finalement retourné sa veste et demandé à ce que l’audience ait lieu ! » explique-t-il. La juge aurait donné son accord au motif que « le problème [était] connu, et qu’il n’y [avait] pas de raison de remettre à plus tard ». « Il s’agit d’une justice expéditive et d’exception, ajoute l’avocat. Statuer sur une affaire sans que la personne mise en cause soit présente, sans qu’un avocat puisse plaider, c’est une atteinte grave au droit de la défense et à un procès équitable. » Il a demandé la relaxe pour Gaspard et Cécile, tandis que le procureur a requis trois mois de prison avec sursis. Le tribunal rendra son jugement le 13 novembre prochain.

Présente également dans la salle du tribunal, Juliette Geoffroy, de l’association d’opposants Cedra, décrit une audience tendue, « avec beaucoup de suspensions de séance, des incartades et des provocations du procureur, la présence oppressante des gendarmes » : « Ce qui se passe ici n’arrive nulle part ailleurs, c’est symptomatique de la dérive autoritaire de la répression contre les opposants à Cigéo, et c’est ultra inquiétant. » Contactée par Reporterre, l’Andra n’a pas souhaité réagir à cette audience.

Le 23 janvier 2017, dans le bois Lejuc. Un mois plus tard, le tribunal de Nancy invalidera la cession du bois Lejuc à l’Andra.

« C’est une entrave à la parole, avec une volonté claire de m’intimider », estime Gaspard d’Allens, qui se présente comme un journaliste militant. « Pendant deux ans, j’ai voulu aider à rendre visible cette lutte qui se passe loin des grands médias, dans l’indifférence presque totale, et avec une répression brutale », précise-t-il. Il a notamment écrit un livre-reportage sur la lutte contre les déchets nucléaires, aux éditions Le Seuil-Reporterre.

Pour la Coordination Stop Cigéo, qui réunit plusieurs associations d’opposants, « cette violation évidente des droits de la défense n’est qu’une goutte d’eau de la politique de karcher répressif qui vise à "nettoyer" intégralement toute forme de contestation à Bure ». Car ce procès n’est qu’une énième procédure à l’encontre d’un activiste anti-nucléaire. À la suite du saccage de l’hôtel-restaurant de l’Andra en juin 2017, une instruction pour association de malfaiteurs a été lancée, et sept personnes ont été mises en examen. En parallèle, les procès se succèdent à un rythme soutenu : ce mardi 16 octobre, dix autres opposants anti-Cigéo étaient également jugés, la plupart pour outrage. « Pour détruire ce mouvement de résistance vieux de 25 ans, il y a déjà eu plus d’une cinquantaine de procès, écrivent les associations dans un communiqué. Des centaines de mois de sursis distribués, près de 2 ans de prison ferme, 26 interdictions de territoire, 7 personnes interdites de se voir et rentrer en relation, et ce pour des années, dans le cadre d’un contrôle judiciaire dans une instruction pour "association de malfaiteurs", des milliers d’euros d’amende, une vingtaine de perquisitions réalisées en Meuse, à Paris, en Isère, une trentaine de gardes à vue — dont celle, le 20 juin 2018, de l’avocat Me Étienne Ambroselli —, un escadron de gendarmes mobiles installé sur place depuis l’été 2017. Chaque jour, les habitants de Bure et autour sont suivis, fichés, filmés, et contrôlés, et parfois à plusieurs reprises en l’espace de quelques heures. »

« Ce procès grotesque marque une nouvelle étape dans la criminalisation des opposants, analyse Gaspard d’Allens. Cette attaque contre un journaliste militant intervient après de très nombreuses autres poursuites... jusqu’où ira-t-on dans la dérive autoritaire ? »

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