« On n’avait jamais vu cela » : un été hors norme pour les agriculteurs

Des vignes attaquées par le mildiou dans le vignoble Bordelais : les pluies tropicales ont favorisé le développement du redoutable champignon. - © Fred Lataste / Hans Lucas via AFP
Des vignes attaquées par le mildiou dans le vignoble Bordelais : les pluies tropicales ont favorisé le développement du redoutable champignon. - © Fred Lataste / Hans Lucas via AFP
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AgricultureFruits brûlés, moissons retardées et mildiou dans les vignes : les arboriculteurs, viticulteurs et céréaliers ont dû composer avec des phénomènes extrêmes cet été.
En bas, au village de Voutezac, le thermomètre de la pharmacie affichait jusqu’à 40° C, ce 23 août. Florence Gachet n’a pas vérifié, mais sur les hauteurs, là où sont plantés ses pommiers et ses poiriers, il doit faire quelques degrés de moins car il y a un peu d’air. L’arboricultrice corrézienne ne chôme pas en ces jours de canicule : la récolte des pommes a déjà commencé. « Nous devons faire le boulot de 7 heures en 4 heures, nous raconte-t-elle au téléphone. À cette période, les journées sont plus courtes, et on ne peut pas trop décaler nos horaires de travail. On doit concentrer la récolte avant 11 heures. C’est épuisant. » Ce qui implique plus de cueilleuses et cueilleurs. « Or, nous n’avons pas le personnel sous la main, d’autant que la maturité des fruits a tendance à accélérer avec cette chaleur. » Dans toute la France, l’été 2023 a été marqué par des surprises climatiques : températures caniculaires mais aussi averses orageuses ont bouleversé le travail des arboriculteurs, viticulteurs et céréaliers.
Des pommes déclassées en raison des brûlures
La canicule exceptionnelle que vit une bonne partie du pays en cette fin août affecte particulièrement les agriculteurs en cette période de pleine maturation des pommes, poires et raisins. Heureusement, le pic de chaleur ne devrait pas durer au-delà de la semaine. « Les conséquences seront moindres que lors d’une canicule de trois semaines, se rassure l’agricultrice bio. Mais on observe déjà des pommes dont une partie de l’épiderme est brûlée. La chair peut être abîmée assez profondément. Ces pommes ne pourront pas être vendues en pommes de table mais seront juste bonnes pour faire du jus. » Autre conséquence de cette canicule tardive : une nouvelle attaque de carpocapse, ce papillon dont les vers pénètrent dans le fruit. Ce sera la troisième ponte de masse cette année. Certes, il existe des méthodes de lutte efficaces, mais « ce sont encore des frais et du temps supplémentaires », se désole Florence.

La Corrèze fait partie des départements classés en vigilance canicule orange depuis le 18 août. « À 35 °C, les arbres atteignent leur seuil de stress thermique. On commence à observer des dégâts sur les fruits, comme le brunissement de la face exposée au soleil. Ces fruits vont être déclassés pour la vente en étalage, et réservés à la compote ou au jus. Pour les arboriculteurs, c’est une baisse de revenus », confirme Serge Zaka, agroclimatologue. Dans les régions où la canicule est la plus durable, les fruits risquent même de tomber : l’arbre va se protéger en se mettant en arrêt physiologique, et se délester de ses fruits. « Tombés au sol, ils ne sont alors plus commercialisables en raison du risque de bactéries et de moisissures. Pour les agriculteurs, c’est une perte de rendement, et plus largement une perte de calories pour nourrir les hommes. »
Le mildiou a décimé 90 % des vignes du Bordelais
Du côté de la vigne, la chaleur extrême peut provoquer un éclatement des grains de raisin et leur dessèchement, même si le cep est un peu plus résistant que les arbres fruitiers. Son seuil de stress thermique se situe plutôt à 40 °C, estime Serge Zaka. « On observe ici et là l’échaudage de certaines grappes, mais globalement, il reste pour le moment difficile d’évaluer l’étendue des dégâts de cet épisode inédit. On n’a pas encore assez de recul », juge l’agronome. Il souligne que les neuf canicules survenues après un 15 août en France se sont toutes produites après l’an 2000. « Le risque d’être confronté à une canicule tardive pendant la maturation des fruits et légumes augmente. À cela, il faut ajouter la hausse du risque des canicules précoces, c’est-à-dire avant le 1er juillet. »
Florence Gachet cultive aussi un peu de vigne sur ses terres en Corrèze. Si la chaleur entrave là aussi l’organisation des vendanges, le maigre rendement attendu sera avant tout lié au mildiou qui a décimé quasiment toute la production. « Jusqu’au 10 août, nous avons eu beaucoup de pluie, avec de gros orages », explique l’agricultrice. Pour Serge Zaka, l’été 2023 a en effet été « très particulier, avec des pluies d’orage presque tropicales », des conditions idéales pour le développement du redoutable champignon. Même atmosphère tropicale dans la région de Bordeaux : « De mémoire de viticulteur, on n’avait jamais vu cela : le mildiou n’épargne personne cette année et prend des proportions inégalées », détaillait la Chambre d’agriculture de la Gironde dans un communiqué diffusé le 12 juillet dernier. 90 % des vignes ont été touchées à plus ou moins grande échelle dans le Bordelais. « C’est un poids climatique supplémentaire pour les agriculteurs », juge Serge Zaka.

Autres régions, autres mauvaises surprises climatiques pour les agriculteurs : dans le nord et l’ouest de la France, durant tout l’été, les averses pluvieuses se sont succédé. Une aubaine pour les maraîchers, comme Jonathan Chabert, également porte-parole de la Confédération paysanne des Côtes-d’Armor : « La saison 2023 a été plutôt simple pour nous, avec de la pluie un jour sur deux ou un jour sur trois », constate-t-il, se remémorant qu’en 2022, il avait vu ses légumes brûler sous ses yeux. « C’était terrifiant. »
L’été 2023, lui, restera comme un moment très compliqué dans les mémoires des céréaliers bretons et nordistes. Les moissons ont été très fortement perturbées par ces pluies incessantes. « Les céréaliers ont dû décaler la moisson de trois semaines. Elle n’est d’ailleurs pas encore terminée partout. C’est une situation qui est assez rare. Il y avait une forte crainte que les céréales versent [se couchent] dans les champs. Le rendement ne sera pas non plus au rendez-vous, avec seulement 23 à 26 quintaux à l’hectare », constate le porte-parole de la Confédération, qui craint une possible spéculation sur le cours des céréales et des conséquences sur l’agriculture bio déjà en crise.
Des figues de barbarie à la place de l’abricot du Roussillon ?
La météo continue de faire des siennes puisque, dès samedi, la canicule va céder le pas sur une grande partie du pays à un temps frais, avec parfois des baisses de 20 °C. « Quand on passe de 40 °C à 12 °C deux jours après, cela perturbe le métabolisme des arbres, ils sont perdus », estime Florence Gachet. Serge Zaka confirme : « Les arbres sont fragilisés par les extrêmes dans les deux sens. Quand, sur plusieurs années, on enchaîne du gel tardif, des pluies intenses, des canicules longues ou encore des épisodes de forte sécheresse, l’arbre accumule du stress climatique et au bout d’une dizaine d’années, il peut finir par mourir. »
Selon lui, on assiste aux prémices d’une sortie de la biogéographie, c’est-à-dire de l’aire de répartition, de certains végétaux cultivés ou non. Certaines variétés d’arbres vont ainsi peu à peu migrer et être remplacées par d’autres variétés, ou d’autres espèces. Serge Zaka cite ainsi le cas de l’abricot du Roussillon dont la culture sera bientôt plus adaptée à la haute-vallée du Rhône, dans la région toulousaine ou dans le Bordelais. À la place, dans la plaine du Roussillon, cultivera-t-on un jour des figues de barbarie ?