Cultiver et manger du cactus, le pari d’agriculteurs

François Schneider désignant l’un des cactus sauvages qui poussent sur les pentes de sa maison à Cerbère. - © Laury-Anne Cholez / Reporterre
François Schneider désignant l’un des cactus sauvages qui poussent sur les pentes de sa maison à Cerbère. - © Laury-Anne Cholez / Reporterre
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Agriculture AlimentationDans les Pyrénées-Orientales, des agriculteurs cultivent des figuiers de Barbarie sans irrigation ni pesticides. Et en plus, le cactus se décline : jus, huile, farine…
Cerbère (Pyrénées-Orientales), reportage
Il faut une délicate dextérité pour éplucher une figue de Barbarie sans se mettre des épines plein les doigts. Expert en la matière, le spécialiste de la décroissance François Schneider attrape un fruit avec une fourchette, plante son couteau dans la peau et le tranche en deux. Apparaît alors une chair orangée constellée de minipépins. On goûte. C’est acidulé, un peu sucré, plutôt étonnant pour les papilles peu habituées.
Cela fait une dizaine d’années que l’enseignant-chercheur François Schneider récolte des figues de Barbarie — aussi appelées nopal — ainsi que des « pales » de cactus, sur les terrasses rocailleuses de Can Decreix, sa « maison de la décroissance » située dans les hauteurs de Cerbère. En 2021, il a ramassé une tonne de fruits et produit 500 bouteilles de jus vendues dans une boutique de cette petite commune des Pyrénées-Orientales. Il fait également sécher les raquettes de nopal afin de les réduire en poudre et fabriquer de la farine.
Dans les montagnes qui bordent la côte Vermeille, ces figuiers de Barbarie poussent partout, sans soin ni eau. Pourtant, peu de gens ont pris l’habitude de les manger et encore moins de les cultiver. La plupart des figues vendues sur les marchés proviennent d’Espagne ou d’Afrique du Nord. « Ce n’est pas ancré dans la culture européenne, on n’a pas l’habitude. Le cactus est plutôt consommé au Maghreb et au Mexique », confirme Boris Igonet.
Ce viticulteur préside l’association Cerbère Cactus, lancée en 2021 avec François Schneider et d’autres passionnés. Leur but : développer la culture du figuier de Barbarie et porter un projet de coopérative de production et de vente. Une idée originale dans un milieu agricole totalement tourné vers la vigne. Le viticulteur assure d’ailleurs que ses collègues le prennent pour un illuminé. « Les planteurs de cactus n’ont pas une bonne image auprès des agriculteurs locaux qui ne pensent qu’à la vigne, assure-t-il. J’en avais planté en bord de route sur une de mes parcelles et une voiture a écrasé tous mes plans. »

Le figuier de Barbarie est une culture alimentaire, cosmétique et pharmaceutique. Dresser la liste de ses bienfaits revient à faire un inventaire à la Prévert. Riche en magnésium, en vitamine C, en antioxydants, il possède aussi des propriétés anti-inflammatoires et antispasmodiques. L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) des Nations unies le considère comme « un atout précieux » pour l’alimentation dans les zones arides. « Quand on lit le document de la FAO, on a presque l’impression que ce cactus guérit toutes les maladies », sourit François Schneider.

Jus, huile, poudre de pépins...
Des bienfaits qu’Anouk Lehideux met en avant sur son site internet L’épineuse. Cette Lyonnaise a décidé de se lancer dans la vente des produits issus du figuier de Barbarie depuis bientôt deux ans. Elle récupère la production de François Schneider et de Boris Igonet pour produire des jus, de l’huile, de la poudre de pépins, ainsi que du nopal. Elle planche aussi sur une boisson sans alcool pour faire découvrir la figue de barbarie à un plus grand public. Elle est également en contact avec la cheffe étoilée Anne-Sophie Pic ainsi que le restaurant Culina Hortus. « En France, ces fruits sont peu connus. Il faut mener un travail de sensibilisation pour montrer leurs bienfaits », explique Anouk Lehideux.
Sensibiliser aux bénéfices du cactus est également l’objectif de Frédéric Bey, du domaine de la Mer blanche situé à Argelès, à une trentaine de kilomètres de Cerbère. En 2015, il a planté 200 pieds de figues de Barbarie sur sa propriété, où il cultive également des agrumes méditerranéens en agroforesterie. Il a créé un laboratoire de transformation avec du matériel dédié dans lequel il fabrique la production vendue par Anouk Lehideux sur son site l’Épineuse. « Je souhaitais faire une culture adaptée au climat méditerranéen et à la sécheresse. Mais aussi offrir quelque chose qu’on ne retrouve pas ailleurs », explique Frédéric Bey. L’an dernier, il a produit deux à trois tonnes de fruits sans aucune irrigation ni produit phytosanitaire. Il croit beaucoup au potentiel de développement de la figue de Barbarie. « On voit arriver de nouvelles variétés, plus sucrées. Je pense que ces fruits vont suivre la même trajectoire que la grenade, que personne ne mangeait il y a vingt ans », continue-t-il.

Quid du potentiel invasif de ces plantes ? Cela concernerait uniquement la variété sauvage (Opuntia stricta) et non la variété cultivée (Opuntia ficus-indica). « Je n’ai pas un seul figuier qui a poussé en dehors des parcelles plantées », dit-il. En tout cas, l’idée plaît : « De plus en plus de gens me contactent. Un ami qui cultive des oliviers va en planter. Un voisin maraîcher m’en a apporté 200 kilos pour que je lui fasse son jus. Et j’ai au moins quatre personnes par an qui viennent en stage », assure l’agriculteur.
La figue de Barbarie sera-t-elle une solution face au réchauffement climatique ? Boris Igonet, préside l’association Cerbère Cactus, l’affirme : « Le jour où on n’aura plus rien à manger, on sera bien contents d’avoir planté des cactus pour se remplir l’estomac. »