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Quotidien

Cantine : le menu végétarien quotidien bientôt illégal ?

Un nouvel arrêté ministériel pourrait imposer une quantité minimale de viande et de poisson dans les cantines. Un résultat de la contre-offensive de l’industrie agroalimentaire contre les repas végétariens à l’école.

Pourra-t-on encore proposer une option végétarienne tous les jours à la cantine en 2023 ? Alors que plus de 200 villes proposent d’ores et déjà un tel menu en restauration scolaire, un nouvel arrêté « pourrait mettre en péril la possibilité de proposer cette option [...] dans les cantines du premier degré », a alerté Greenpeace dans un communiqué, le 30 novembre. L’arrêté incriminé — dont la précédente version date de 2011 et qui est encore en débat — définit la « qualité nutritionnelle des repas servis en restauration scolaire ».

En d’autres termes, à quelle fréquence et dans quelle proportion servir les différents types d’aliments pour combler les besoins nutritionnels des enfants. Un enjeu de taille pour le secteur agroalimentaire, quand on sait que près d’un milliard de repas sont servis en restauration scolaire en France chaque année.

Débats tendus autour de l’équilibre nutritionnel

Depuis plusieurs mois, syndicats de la restauration collective et de diététiciens, lobbies de l’agroalimentaire, ONG environnementales se retrouvent au sein du Conseil national de la restauration collective (CNRC), une instance gouvernementale rattachée au ministère de l’Agriculture. L’un des objectifs est d’établir une définition de ce fameux équilibre nutritionnel, permettant de répondre aussi aux cahiers des charges contraints des cantines (en termes de budget ou de commande publique par exemple). « Les débats sont acharnés. Très riches et très denses », confirme la diététicienne Marie-Line Huc, présidente du Club Expert Nutrition et Alimentation (Cena). En particulier sur la question de la fréquence de viande et de poisson.

Et leur sort semble tranché puisque, selon la députée Nupes Francesca Pasquini, « le CNRC vient de remettre ses travaux au ministère ». Selon Greenpeace, les ministères de l’Agriculture, de la Transition écologique et de la Santé continuent à « imposer une fréquence minimale obligatoire de consommation de viande et de poisson » chaque mois. Ainsi, « dans les établissements où l’option végétarienne doit être choisie au trimestre ou à l’année — soit la quasi-totalité des cantines de maternelle ou primaire —, cette fréquence ne pourrait pas être respectée », explique l’ONG.

Concrètement, si l’arrêté stipule qu’il convient de proposer chaque mois (quatre semaines) « au moins quatre repas » contenant une portion protidique de viande, les établissements devront alors inclure chaque semaine au moins un repas carné. Cela ferme donc la porte aux régimes végétariens. Imposer une fréquence minimale de viande et poisson mettra de fait dans l’illégalité les établissements scolaires proposant un menu végétarien tous les jours.

Gilles Daveau : « Il faut réapprendre à cuisiner les légumineuses, leur refaire une place. » Pixnio/CC0

Cette orientation semble d’autant plus surprenante que les lois Egalim et Climat et Résilience ont imposé au moins un repas végétarien hebdomadaire et l’expérimentation du repas végétarien quotidien en restauration collective. « La tendance actuelle est à la réduction » de la viande et du poisson, confirme Marie-Line Huc, estimant qu’une telle rédaction serait étonnante. Même réaction de la part du référent restauration scolaire de l’Association des maires de France, Gilles Pérole. « On a l’habitude d’avoir des réglementations schizophréniques », ironise-t-il.

En outre, un rapport de l’Anses [1] publié fin 2021 a soutenu le repas végétarien en précisant qu’il est tout à fait possible d’atteindre l’équilibre nutritionnel : « L’augmentation du nombre de menus sans viande ni poisson ne modifie pas le niveau de satisfaction des apports en nutriments, au regard de l’atteinte des références nutritionnelles. Il n’est donc pas pertinent de proposer de ce fait une fréquence maximale de menus sans viande ni poisson », écrit-elle. Elle précise même que, quel que soit le régime envisagé — avec ou sans viande —, les apports en protéines des jeunes Français sont trop importants, battant en brèche l’idée reçue selon laquelle un régime végétarien ne répondrait pas aux besoins des enfants en protéines.

Greenpeace demande aux trois ministères concernés (Agriculture, Transition écologique et Santé) de revoir leur copie et de modifier le nouvel arrêté, afin que les villes qui proposent déjà une option végétarienne quotidienne et celles qui, chaque semaine, décident de franchir le cap et d’offrir ce choix à leurs élèves, puissent continuer à le faire.

« Il faut réapprendre à cuisiner les légumineuses »

Pour l’association, l’industrie de la viande n’est sans doute pas étrangère à ce revirement. Le lobby agroalimentaire est en effet très présent au sein du CNRC, comme l’avait raconté Reporterre.

Sur le terrain, les cuisiniers de la restauration collective manquent également de formation aux repas végétariens. « Autant avec la viande, il est facile d’atteindre les objectifs en termes de fer, de zinc ou de sélénium, souligne Marie-Line Huc, autant c’est délicat dans le cadre du menu végétarien. Pour proposer une alternative végétarienne, les collectivités doivent travailler avec des professionnels de la nutrition et former leurs cuisiniers. » La diététicienne craint également « une flambée des produits ultratransformés ».

Les cuisiniers pourraient ainsi être tentés de remplacer le steak haché ou la cuisse de poulet par des nuggets de soja ou un steak végétarien. Un écueil qu’il faut absolument éviter, avertit Gilles Pérole : « L’arrêté devrait limiter la fréquence des produits ultratransformés. Oseront-ils ? Ces produits sont une bombe à retardement, comme les pesticides ou les perturbateurs endocriniens. »

Pour le formateur en restauration collective Gilles Daveau, « le vrai problème est que nos repas manquent de diversité et que la viande y est surreprésentée ». Il plaide pour une transition alimentaire qui permette de créer un nouvel imaginaire autour du repas. Sortir de la structure « entrée, plat avec viande et garnitures puis dessert » pour repenser l’intégralité du repas. « Définir un repas par l’absence d’un aliment est contre-productif. Il faut réapprendre à cuisiner les légumineuses, leur refaire une place, souligne-t-il. Intégrer du houmous en entrée ou un gâteau de pois chiche en dessert, et sortir du plat fait de graines que les enfants n’aiment pas. »

Et pour changer les habitudes alimentaires, il faut travailler sur « tout l’environnement de la cuisine », avec un potager pédagogique, de la sensibilisation, des ateliers culinaires, propose Gilles Daveau. À Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), la ville de Gilles Pérole, les enfants mangent 100 % bio et végétarien quasiment un jour sur deux. La régie municipale s’approvisionne auprès des maraîchers locaux, employés de la ville. Ils mangent des légumes locaux et de saison tous les jours. Conséquence : l’empreinte carbone du secteur alimentaire de la ville a diminué. Mieux, depuis la mise en place du bio et du végétarien à la cantine, 87 % de la population a fait évoluer ses habitudes alimentaires, explique l’élu. La preuve qu’en matière d’alimentation, les enfants peuvent aussi être ceux qui éduquent les parents.

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