Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Climat

Donner un nom aux canicules : l’idée fait son chemin

Climatologues, écologistes, élus… De nombreuses voix proposent de donner des noms aux vagues de chaleur comme on le fait pour les ouragans. L’Organisation météorologique mondiale doute que cela permette de mieux s’y préparer.

« Après Cerbère, c’est la canicule Charon, du nom du passeur des Enfers dans la mythologie grecque, qui enveloppe le littoral nord-méditerranéen », a écrit l’Agence France Presse mercredi 19 juillet. Les vagues de chaleur auraient-elles désormais des noms, à l’instar des tempêtes, des cyclones et des ouragans ? L’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît.

Replaçons le contexte. Pour ce qui est de l’Europe, c’est le service météorologique de l’université libre de Berlin qui nomme les anticyclones, dépressions et ouragans : Alex en octobre 2020, Zeus en 2017, Xynthia en 2010… Pour le reste du monde, c’est l’Organisation météorologique mondiale (OMM) qui est chargée de baptiser les événements météorologiques extrêmes, dès lors qu’ils présentent des vents dépassant 119 km/h et des pluies torrentielles, comme c’était le cas de l’ouragan Katrina en 2005 ou de la tempête tropicale Erika en 2015. Objectif de l’organisation internationale, « aider à identifier rapidement les tempêtes dans les messages d’alertes, car les noms sont beaucoup plus simples à retenir que des nombres ou des termes techniques ».

En revanche, « il n’existe actuellement aucun système ou protocole national, régional ou international convenu pour nommer ou coordonner la dénomination des vagues de chaleur », indiquait l’OMM dans une note technique de septembre 2022. Le service météorologique de l’université libre de Berlin baptise bien les anticyclones, environ cinquante-cinq par an depuis 1954, pour faciliter leur report sur les cartes du Deutscher Wetterdienst, le service météorologique allemand. « Auparavant, ce n’était qu’en interne, mais depuis 2002, (...) chacun peut parrainer une dépression ou un anticyclone et proposer un prénom », a écrit l’université allemande à Reporterre. En cette année 2023, les dépressions portent des prénoms masculins, les anticyclones des prénoms féminins. Mais Reporterre n’a pas réussi à mettre la main sur une quelconque liste de noms d’anticyclones et s’ils sont repris par les médias allemands, ils ne le sont manifestement pas au-delà des frontières. Par ailleurs, un anticyclone ne provoque pas automatiquement une canicule meurtrière.

Séville, en juin 2022. La vague de chaleur survenue fin juillet 2023 a été dénommée Zoé. © Alban Elkaïm / Reporterre

Mais, au fur et à mesure que les vagues de chaleur gagnent en fréquence et en intensité à cause du changement climatique, la question de les nommer ressurgit épisodiquement. En juin 2022, la ville espagnole de Séville a lancé un projet pilote d’un an consistant à classer en trois catégories et à baptiser les vagues de chaleur pour alerter plus efficacement les habitants. C’est ainsi que la vague de chaleur qui a écrasé la ville du 24 au 27 juillet, avec des températures frôlant les 43 °C, a été dénommée Zoé. Lui a succédé fin juin 2023 Yago, vague de chaleur de niveau 3, avec des pics à plus de 40 °C.

Avant cela et de manière beaucoup moins officielle, les médias et réseaux sociaux italiens avaient surnommé Lucifer la vague de chaleur intense qui avait recouvert la péninsule en août 2017. Ce sobriquet diabolique avait été repris pour désigner une autre vague de chaleur en août 2021.

Ce sont d’ailleurs des météorologues italiens qui ont baptisé les vagues de chaleur de cet été Cerbère, le chien polycéphale gardant l’entrée des Enfers dans la mythologie grecque, et Charon. Le nom de Cleon circule également pour désigner l’épisode caniculaire qui frappe actuellement la Grèce, sans qu’il soit aisé d’en déterminer l’origine. Même le service météorologique de l’Université libre de Berlin n’y retrouve plus ses petits (noms) : « Il s’agit du même anticyclone depuis plusieurs jours. On ne comprend pas vraiment pourquoi la vague de chaleur reçoit sans cesse de nouveaux noms. Comme nous l’avons dit, il peut y avoir des particularités régionales », écrit-il à Reporterre. Lui-même avait baptisé Gesa l’anticyclone à l’origine de ces flambées de température en Méditerranée.

« Les gens seront mieux préparés si l’événement a un nom »

Ce travail de dénomination des canicules sera-t-il bientôt mieux coordonné ? Certains scientifiques l’appellent de leurs voeux. « Ne pourrait-on pas baptiser les canicules plus récurrentes, afin de les différencier ? », interrogeait en 2020 le climatologue Christophe Cassou sur Twitter. La même année, un groupe de chercheurs intégré à l’Extreme Heat Resilience Alliance, basée aux États-Unis et en Grèce, proposait également de nommer les vagues de chaleur les plus importantes. Le débat avait repris de plus belle l’année suivante en Grèce, alors que des températures allant jusqu’à 46 °C et près de 600 incendies ravageaient le pays. « Nous pensons que les gens seront mieux préparés à faire face à un événement météorologique à venir si cet événement a un nom, avait déclaré Kostas Lagouvardos, directeur de recherche à l’Observatoire national d’Athènes, cité dans The Guardian. Cela aiderait les gens à comprendre le danger qui se profile tout en permettant aux décideurs de déclencher des politiques qui les protégeraient mieux. » En juin 2022, le docteur en agroclimatologie Serge Zaka, très actif sur Twitter, suggérait lui aussi de nommer les épisodes caniculaires et proposait même, avec humour, quatre noms : Balrog, du nom d’un démon de feu de l’univers de Tolkien et du Seigneur des anneaux ; Sheitan, « diable » en arabe ; Belzébuth, démon de l’Enfer ; ou encore… Cerbère.

« Donner un nom à des vagues de chaleur détourne l’attention du public »

Mais l’OMM traîne des pieds. « Ce qui a été établi pour les cyclones tropicaux n’est pas nécessairement approprié pour les vagues de chaleur, estimait l’organisation dans sa note de 2022. Le découplage de la dénomination et de l’alerte précoce, ainsi que la dénomination inappropriée, pourraient avoir des conséquences négatives involontaires et réduire l’efficacité des avis de chaleur et des mesures d’intervention. » Elle a même enfoncé le clou dans un communiqué, mardi 18 juillet : « L’attribution de noms aux vagues de chaleur ne met pas l’accent sur les bonnes questions. Le fait de donner un nom à des vagues de chaleur singulières détourne l’attention du public et des médias des messages les plus importants, à savoir qui est en danger et comment réagir. »

Des écolos, eux, ont leur avis sur la question. « Alerte vague de chaleur ! Nommons-la canicule TotalÉnergies no1 », appelait l’économiste spécialiste des énergies fossiles Maxime Combes, dans une tribune publiée en juin 2022. « Parce qu’elle est l’une des principales multinationales françaises, qu’elle continue à investir massivement dans les énergies fossiles et qu’elle est une actrice majeure du lobbying anticlimatique en France et en Europe, TotalÉnergies incarne parfaitement une part conséquente de la responsabilité des catastrophes climatiques. Le chaos climatique n’est ni un accident ni une fatalité : les responsabilités sont inégalement partagées. Nommer les responsables est une exigence du temps présent », justifiait-il dans le texte. Une proposition reprise par la députée européenne insoumise Manon Aubry, lundi 17 juillet au micro d’Europe 1.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois d’octobre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende