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Énergie

Chez Total, la fronde des actionnaires pro-climat

TotalEnergies à la Défense à Paris.

Un léger vent de fronde souffle parmi les actionnaires de TotalEnergies devant la stratégie climat catastrophique de la multinationale. Mais cette opposition risque de se trouver minoritaire à l’assemblée générale du groupe, le 25 mai.

L’an dernier, lors de l’assemblée générale du groupe TotalEnergies, l’écrasante majorité des actionnaires étaient restés indifférents à l’urgence climatique. Une résolution climat présentée par la société, pas du tout alignée sur les objectifs de l’Accord de Paris, avait été adoptée à 91,88 %. Qu’en sera-t-il cette année ?

Mercredi 25 mai, lors de son AG, TotalEnergies soumettra à ses actionnaires, pour la deuxième année consécutive, une résolution leur demandant d’approuver sa stratégie sur le climat et la neutralité carbone, dite « Say on Climate ». Cette stratégie, qui cache en réalité une volonté d’expansion dans les énergies fossiles, est vertement critiquée par les ONG écologistes et une minorité d’actionnaires rebelles.

Des résolutions alternatives qui ne font pas le poids

Ces dernières semaines, deux groupes d’investisseurs ont déposé des résolutions alternatives, pour pousser TotalEnergies à viser des objectifs plus ambitieux. L’une, portée par un groupe de douze investisseurs français [1], proposait notamment d’établir un mécanisme de consultation annuelle des actionnaires sur la stratégie climatique sur la base de critères détaillés. L’autre, déposée par onze actionnaires [2], incitait la société à se doter de cibles climatiques alignées sur l’Accord de Paris.

Mais, patatras pour le climat, aucune de ces deux résolutions ne sera mise au vote lors de l’assemblée générale de TotalEnergies. La major a obtenu le retrait de certains actionnaires impliqués dans la première en acceptant de reprendre partiellement les demandes formulées par les codéposants. Elle s’est notamment engagée à publier des objectifs de réduction absolue et relative des émissions de gaz à effet de serre à court — d’ici 2025 — et moyen terme — d’ici 2030. « TotalEnergies a réagi assez vite en intégrant la plupart des points à sa propre stratégie, mais a fait l’impasse sur les plus essentiels, comme la référence à une trajectoire limitant le réchauffement à 1,5 °C », tempête auprès de Reporterre Guillaume Pottier, chargé de campagne pour l’ONG Reclaim Finance.

« La palme de l’obstruction »

La deuxième résolution a été balayée unilatéralement par la société, ce qui a profondément agacé les codéposants. Pour Guillaume Pottier, par cette décision, « TotalEnergies décroche la palme de l’obstruction et refuse de discuter des enjeux climatiques avec ses actionnaires ». Joint par Reporterre, TotalEnergies motive ce rejet par le fait que la résolution « empiète sur la compétence du conseil d’administration de fixer la stratégie de la société » et invite, en vue de « favoriser le dialogue avec ses actionnaires », les porteurs du projet de résolution « à s’exprimer lors de l’assemblée générale sous forme d’une question écrite ou d’une question orale qui sera traitée en priorité ». Les codéposants ont décidé d’interpeller l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour lui demander d’enjoindre à TotalEnergies de réintégrer la résolution à l’ordre du jour de l’AG. Mais l’AMF s’est déclarée incompétente dans ce conflit.

Une seule et unique résolution climatique reste donc à l’ordre du jour de l’assemblée générale : celle portée par la direction de l’entreprise. « Un plan qui n’est malheureusement pas compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C », dénonce Guillaume Pottier. Une étude produite par un groupe de plus de 700 investisseurs représentant plus de 68 000 milliards de dollars d’actifs, conclut par exemple que TotalEnergies satisfait seulement trois des neuf critères pour un plan de transition complet aligné sur 1,5 °C.

Devant la raffinerie Total à Grandpuits, en Seine-et-Marne. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Principale raison de ce décalage : la stratégie de TotalEnergies prévoit une expansion de la production d’hydrocarbures et la hausse de sa production gazière, ce qui l’amènerait à consommer l’intégralité de son budget carbone compatible avec l’objectif 1,5 °C dès 2035, selon une étude de Reclaim Finance. « Et si TotalEnergies communique abondamment sur le développement des énergies renouvelables, en réalité la compagnie consacre toujours 70 % des dépenses au gaz et au pétrole, y compris pour développer de nouveaux projets », observe Guillaume Pottier. Le financement du plus symbolique de ces nouveaux projets fossiles, le plus grand pipeline chauffé au monde nommé Eacop [3], qui provoquera des expulsions d’habitants, l’arrestation de militants, et la destruction de parcs nationaux, est d’ailleurs en passe d’être bouclé grâce au soutien du courtier américain Marsh & McLennan. TotalEnergies vient également d’annoncer qu’il démarrerait en 2025 l’exploitation du champ de Ballymore situé au large du Golfe du Mexique.

Opposants ou complices

Avant l’AG, face à l’inertie de l’entreprise, un vent de fronde a soufflé sur le conseil d’administration de TotalEnergies. Le lundi 9 mai 2022, treize ONG [4] ont exhorté, par une lettre publique, les actionnaires de TotalEnergies à voter contre la stratégie climat de l’entreprise pour « son incompatibilité manifeste avec l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C au-dessus du niveau pré-industriel ». Elles appellent également les actionnaires à s’opposer au renouvellement du mandat de trois administrateurs, « qui portent une responsabilité directe dans la validation et la mise en œuvre de la stratégie climatique défaillante de la société ». « S’ils ne veulent pas être les complices de la stratégie climaticide de TotalEnergies, les investisseurs n’ont pas d’autre choix », juge Guillaume Pottier.

Cet appel n’est pas resté lettre morte. Ces derniers jours, plusieurs investisseurs ont annoncé publiquement qu’ils voteraient contre le plan climat de TotalEnergies. Parmi eux, le français OFI AM ; Meeschaert Amilton, Mandarine Gestion, Sycomore AM, Edmond de Rothschild AM, La Financière de l’Echiquier, ou encore le néerlandais MN Services.

« En 2021, beaucoup d’investisseurs avaient salué le premier Say on Climate de TotalEnergies comme une démarche constructive, même si elle était incomplète », mais « cette année, voter "pour" irait dans le sens de l’inaction climatique », a expliqué Luisa Florez, directrice des recherches en finance responsable d’Ofi Asset Management (AM), dans Les Échos. Ces voix suffiront-elles à enjoindre TotalEnergies d’abandonner sa stratégie fossile ? Très peu probable. La position des grands acteurs financiers, notamment français, pour l’instant silencieux, n’est pas encore connue. « Ils risquent d’apporter une fois encore leur blanc-seing au plan climat défaillant de TotalEnergies », regrette Guillaume Pottier.

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