Les actionnaires de Total choisissent les dividendes plutôt que le climat

L’assemblée générale du géant pétrolier a approuvé la grande majorité des résolutions présentées par sa direction, y compris la résolution 14 concernant sa faible stratégie climat. Total distribuera 7,6 milliards d’euros de dividendes.
« C’est une assemblée importante, historique même », a assuré le PDG de Total, Patrick Pouyanné, en ouvrant l’assemblée générale des actionnaires, vendredi 28 mai. Un numéro d’autosatisfaction de près de trois heures, durant lequel il a été question de pétrole, de gaz, mais aussi de climat et de transition énergétique.
À la demande de ses actionnaires, et plus précisément du gérant d’actifs français Amundi, la société avait déposé pour la première fois une résolution demandant d’approuver sa stratégie sur le climat et la neutralité carbone. Une stratégie critiquée par les ONG parce qu’elle laisse la part belle aux combustibles fossiles, et par certains actionnaires comme OFi, Messchaert, Federated Hermes ou le fonds MN qui ont voté contre, ou encore Crédit Mutuel, qui s’est abstenu. Le détail des votes, et notamment les abstentions, n’a pas été publié par la société.
Une résolution adoptée à presque 92 %
La résolution a néanmoins été adoptée à 91,88 %. Un score inférieur à la plupart des autres résolutions, mais qui montrent qu’une majorité écrasante des actionnaires reste de marbre. Les fonds BlackRock et Amundi, qui détenaient au 31 décembre 2020 5,9 % et 8,9 % du capital, ont voté pour. « Total a répondu positivement à nos demandes, concernant le dépôt d’une résolution climat et l’indexation de la rémunération des dirigeants aux objectifs climatiques. Donc c’est important pour nous de les soutenir, c’est aussi une question de psychologie », assure-t-on chez Amundi, qui gère les actions détenues par les salariés du groupe.
La société a paru néanmoins gênée par certaines questions. Le mode de retransmission en direct lui a aussi permis de sélectionner celles auxquelles elle voulait bien répondre. Ainsi, une question déposée par Federated Hermes et Meeschaert a été écartée par Total. « La forme n’était pas respectée », a assuré le PDG. La question avait été déposée par coursier au siège de Total. Or le groupe voulait… un recommandé. La question émanait pourtant des copilotes du mouvement Climate Action100+, qui regroupe les investisseurs actifs sur les enjeux climat. Elle demandait notamment au groupe de s’engager en valeur absolue sur ses émissions de CO₂, plutôt qu’en intensité carbone. Une requête également relayée par les ONG, que le groupe n’a pas commenté.
Toujours de nouvelles explorations pour de nouveaux puits
Sur le fond, Total n’a pas eu l’air de se sentir concerné par le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie. Qui conclut à la nécessité de ne pas rechercher de nouveaux gisements de pétrole pour modérer le réchauffement climatique à 1,5 °C. Total, au contraire, continue d’explorer les tréfonds du sous-sol pour découvrir de nouveaux puits, et s’en explique. « La production de pétrole baisse naturellement de 4 à 5 % par an, parce qu’il y a moins de pression dans les puits de pétrole. Sans nouveau projet, il est fort probable que le prix du pétrole atteindra de nouveaux sommets », prévient le dirigeant de la société.
Pourtant, le pétrolier ralentit ses investissements d’exploration. Le groupe y consacre 500 millions d’euros par an, contre 1,5 milliard il y a cinq ans. « La moitié des investissements que nous faisons sont consacrés au maintien des activités, et l’autre moitié à la croissance, dont 50 % aux renouvelables et l’électricité, et 50 % au GNL. Priorité est donc donnée aux renouvelables et à l’électricité », affirme le dirigeant. Si la formule est répétée à l’envi, les chiffres soulignent le contraire, seulement un quart des investissements étant consacrés aux renouvelables et à l’électricité, principalement produite à partir de gaz. Les renouvelables ne représentent qu’une petite part des investissements du géant pétrolier.
« Total va être vert avec des barils noirs qui permettent de continuer à verser les dividendes »
Total a aussi été interrogé sur la pertinence de conserver des dividendes aussi élevés. Soit 7,6 milliards d’euros, malgré une perte de 7 milliards. « Le maintien des dividendes est un acte très fort de confiance dans les fondamentaux de la société », assure le dirigeant. Là encore, l’analyse est discutable : en bourse, la confiance se traduit sur le cours de bourse plus que sur le dividende. Ce qui permet à un groupe comme Tesla de ne verser aucun dividende et de réinvestir dans les projets les plus fous de la société.
S’ils sont restés endormis sur le sujet climat, les actionnaires de Total ont en revanche peu apprécié la résolution du conseil d’administration visant à augmenter la rémunération du dirigeant. Qui atteignait déjà 5,8 millions d’euros en 2020, actions comprises.
Seulement 60,27 % des actionnaires ont voté pour, ce qui représente le plus faible score de l’assemblée générale. Après des explications alambiquées sur la faiblesse de la part de la rémunération variable de son PDG, le conseil d’administration a en effet décidé d’augmenter sa rémunération fixe de 10 % en 2021. Ce qui augmente mécaniquement la part variable, qui représente tout de même 180 % du fixe. Sur ce variable, certains actionnaires avaient réclamé une indexation aux objectifs climat. Mais seulement 40 % de ces 180 % seront effectivement liés à des objectifs climats et RSE.
En résumé, le vert attendra. C’est d’ailleurs le président de Total qui le résume le mieux en conclusion de l’AG : « Total va être vert avec des barils noirs qui permettent de continuer à verser les dividendes. » Avec un rendement de 6,7 % sur un an, l’entreprise la plus polluante de France reste aussi une des plus rentables.