Total et le climat : vers une assemblée générale mouvementée

- Tour Total Michelet, à La Défense, à Puteaux. © Mathieu Génon/Reporterre
- Tour Total Michelet, à La Défense, à Puteaux. © Mathieu Génon/Reporterre
Durée de lecture : 5 minutes
Énergie Économie ClimatRéunis en assemblée générale vendredi 28 mai, Total proposera à ses actionnaires une stratégie climat. Mais une trentaine d’entre eux ont déjà annoncé qu’ils voteraient contre ce plan permettant au géant pétrolier de laisser davantage de place aux énergies fossiles.
• Actualisation - Samedi 29 mai 2021 - Récit de l’assemblée générale, qui n’a pas contesté la faible résolution climat présentée par la direction de Total.
• Article - Vendredi 28 mai 2021
Total sera-t-il contraint de revoir sa copie en matière de lutte contre le changement climatique ? La réponse sera en partie donnée ce vendredi 28 mai lors de son assemblée générale. La major pétrolière y proposera notamment le renouvellement du mandat de son président-directeur général, Patrick Pouyanné, et sa nouvelle dénomination, TotalEnergies. Une stratégie climat sera soumise « pour vote consultatif » aux actionnaires, mais une trentaine d’entre eux ont déjà annoncé qu’ils voteraient contre.
Si « cette assemblée est vécue par le groupe comme une validation de la part des actionnaires, un point d’orgue de sa mue et des projets industriels engagés depuis des années », comme l’expliquait début mai à Reporterre Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), il n’y a pas vraiment de « mue ».
C’est ce qu’a révélé Reporterre dans une récente enquête : avec cette stratégie, Total s’enferre dans les énergies fossiles et prévoit d’en augmenter sa production de 15 % d’ici à 2030. La major pétrolière ne s’aligne pas sur une trajectoire de limitation du réchauffement à 1,5 °C comme le stipule l’Accord de Paris, puisqu’elle mise sur une production toujours plus massive d’énergie, refuse d’abandonner le pétrole et est de plus en plus accro au gaz.
Sous pression, Total dépose sa propre résolution
Si l’assemblée générale s’annonce mouvementée, l’entreprise pétrolière, qui a répondu par courriel aux sollicitations de Reporterre, dit vouloir permettre aux investisseurs d’exprimer leur avis sur la stratégie en matière de transition énergétique vers la neutralité carbone qu’il a arrêtée pour la société, « tenant compte de certaines attentes exprimées en ce sens ».
Une référence au psychodrame qui a secoué l’entreprise il y a un an. En avril 2020, onze investisseurs, emmenés par la Banque postale Asset Management, le Crédit mutuel et Meeschaert, avaient déposé une résolution en assemblée générale extraordinaire, dans le but de « modifier ses statuts pour renforcer la contribution de son modèle économique à l’atteinte de l’Accord de Paris sur le climat ». Le 29 mai 2020, 16,8 % des actionnaires de Total avaient voté en faveur de cette résolution climat. Une première, très mal vécue chez Total.

Cette fois, le Conseil d’administration a voulu étouffer la fronde en déposant sa propre résolution. Mais la pression s’est amplifiée à l’approche de l’assemblée générale. Le 18 mai dernier, un premier actionnaire s’est déclaré publiquement contre la nouvelle stratégie climat de Total : OFI Asset Management, un gestionnaire d’actif engagé pour une finance responsable, s’est dit « particulièrement inquiet de noter les projections à la hausse [du groupe] dans le secteur gazier ».
Le même jour, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a envoyé un signal fort au monde de l’énergie et de la finance. Dans un rapport, elle a jugé que tout nouveau projet d’exploration pétrolier ou gazier était incompatible avec l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C.
Le 21 mai, trente-quatre investisseurs de la coalition Climate Action 100+, qui réunit 575 investisseurs gérant environ 44 000 milliards d’euros, ont jugé que la stratégie climat de la major française ne lui permettrait pas d’atteindre la neutralité carbone. Parmi eux, trois investisseurs garants du dialogue actionnarial, avec la direction de Total, sur les enjeux climatiques. Dont la société de gestion française Meeschaert, un actionnaire qui a également annoncé qu’il voterait contre la résolution 14 portant sur le plan climat de Total. D’autres actionnaires de la major, comme les sociétés de gestion La Française et Sycomore, les fonds néerlandais PME et Actiam, ou encore la caisse de retraite complémentaire Ircantec, ont également annoncé qu’ils rejetteraient la stratégie.
« Les investisseurs ne sont pas dupes »
« Total essuie camouflet après camouflet, a commenté dans un communiqué Lucie Pinson, fondatrice et directrice générale de Reclaim Finance. Sa tentative de dissimuler ses velléités d’expansion dans les énergies fossiles derrière une communication bien rodée a échoué. Les investisseurs ne sont pas dupes et cette déclaration après le désaveu de sa stratégie “climat” par un des chefs de file du Climate Action 100+ et d’autres investisseurs montre que l’étau se resserre. »
Lors de l’assemblée générale, la fronde des actionnaires se révèlera-t-elle encore plus large ? L’enjeu est très sensible en interne. Si le vote des actionnaires n’est que consultatif, le vernis vert de Total serait largement écaillé par un vote massif contre sa stratégie. Comme l’indiquait Reporterre début mai, Patrick Pouyanné a lui-même appelé plusieurs investisseurs pour les convaincre de ne pas le désavouer.
Et les nouvelles venues de l’assemblée générale d’Exxon, un autre géant pétrolier, ne seront pas pour le rassurer. Le mercredi 26 mai, un fonds activiste, Engine n° 1, ne détenant que 0,02 % des parts, a réussi à faire élire au conseil de surveillance au moins deux représentants. Comment ? En faisant basculer trois investisseurs institutionnels majeurs, BlackRock, Vanguard et State Street, qui possédaient plus de 20 % du capital de la compagnie. Or, BlackRock est aussi le premier actionnaire de Total. De quoi augurer d’une assemblée générale rocambolesque ?