La catastrophe climatique avance, les sciences du climat aussi

Le détroit de Gibraltar vu depuis l'espace, en 1965, avant près de 60 ans de pollutions et d'émissions de gaz à effet de serre. - © Nasa
Le détroit de Gibraltar vu depuis l'espace, en 1965, avant près de 60 ans de pollutions et d'émissions de gaz à effet de serre. - © Nasa
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Sciences ClimatCanicules, sécheresses, orages... La rapidité du réchauffement climatique en Europe de l’Ouest oblige les scientifiques à adapter leurs modèles.
Depuis deux ans, notre monde bascule visiblement dans le changement climatique, à coup de vagues de chaleur, de sécheresses ou encore d’orages violents. Et si les scientifiques du climat ne sont pas surpris par cette accélération qui correspond à leurs prévisions, de nouveaux résultats, publiés dans le dernier rapport du Giec en août 2021, prennent mieux en compte les observations récentes.
« Dans certaines régions du monde, le réchauffement est plus fort que ce que nous disaient les modèles. En Europe de l’Ouest, en Arctique et Antarctique ou encore en Australie. Des observations qui obligent aujourd’hui les climatologues à revoir leurs modèles climatiques », dit à Reporterre Davide Faranda, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE).

Les nouvelles projections pour la France publiées dans la revue Earth System Dynamics, le 4 octobre, s’appuient ainsi sur l’évolution des températures nationales. Et les résultats sont frappants : le réchauffement climatique au cours du XXIᵉ siècle en France pourrait être 50 % plus intense que ce que l’on pensait. Les chercheurs montrent que l’Hexagone s’est réchauffé de 1,7 °C depuis le début du siècle, contre 1,2 °C en moyenne au niveau global.
Pour faire leurs projections, ils ont utilisé à l’échelle française la méthodologie utilisée par les scientifiques du climat au niveau mondial : contraindre les simulations des modèles de climat avec les données de température observées. Si les nouveaux résultats sont plus cohérents avec la réalité, l’enjeu pour les scientifiques reste de mieux comprendre pourquoi les modèles sous-estiment l’augmentation des températures à l’échelle régionale dans certaines parties du monde. Une gageure tant les mécanismes climatiques et météorologiques sont complexes.
Tornades en France
L’accélération du réchauffement va de pair avec des événements climatiques violents. « Les phénomènes extrêmes se multiplient, à des niveaux sans précédents, comme l’orage qui a touché la Corse cet été [avec des rafales exceptionnelles à plus de 220 km/h] ou la tornade qui a parcouru plus de 140 kilomètres de l’Oise à la Belgique en octobre 2022. Des telles ampleurs — caractéristiques des climats d’autres régions du monde, tels que les États-Unis ou les tropiques — n’avaient jamais été mesurées en France », souligne Davide Faranda. La science a beau les prédire, les événements nous tombent dessus.
« Le dernier rapport du Giec fait état du consensus sur les risques élevés de sécheresse et de vagues de chaleurs, mais on n’est pas capable de prévoir exactement quand elles vont arriver. Or, ces phénomènes, souvent catastrophiques, sont aujourd’hui observables et ils sont arrivés très rapidement. On ne pouvait par exemple pas prévoir la canicule marine qui touche la méditerranée cette année », raconte Wolfgang Cramer, chercheur CNRS à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE). Le 30 octobre 2022, la température de l’eau était encore cinq degrés au-dessus de la normale au large des côtes françaises en Méditerranée.
Canicule en mer
Les canicules océaniques sont justement un domaine sur lequel les recherches se multiplient ces dernières années. « La science avance sur la connaissance des impacts des vagues de chaleur sur l’océan. Des résultats récents montrent que le réchauffement, bien connu en surface, s’étend aussi à des dizaines de mètres en profondeur. Nous comprenons aussi mieux les effets de ces canicules marines sur la baisse d’oxygène dans l’eau de mer et sur la modification des courants », résume Laurent Bopp, chercheur au Laboratoire de météorologie dynamique.
L’ampleur de la canicule méditerranéenne éclaire aussi les chercheurs sur les dégâts touchant les écosystèmes, alors que « les premiers effets sont déjà constatés : une forte mortalité des coraux, des algues et des éponges », selon Wolfgang Cramer.
Ces inondations mortelles « sont bien une conséquence du réchauffement climatique »
Ces dernières années, les sciences du climat se sont également améliorées sur l’attribution des évènements extrêmes au changement climatique. En particulier grâce au travail réalisé au sein du réseau World Weather Attribution. « Ces experts ont pu affirmer rapidement que les fortes inondations en Allemagne et la Belgique en juillet 2021 qui ont tué 220 personnes sont bien une conséquence du réchauffement climatique, tout comme les très fortes températures relevées cet automne », illustre Wolfgang Cramer. Un enjeu important car pendant longtemps les chercheurs ne savaient pas dire avec certitude si un évènement extrême était lié ou non au réchauffement global. Une incertitude qui a fait le jeu des climatosceptiques qui pariaient juste sur la variabilité du climat.
Du côté des émissions, les connaissances sur les sources de méthane s’affinent. Si l’Organisation météorologique mondiale mesure une hausse exceptionnelle des concentrations de méthane en 2020 et 2021, « il reste compliqué d’identifier les sources car il y a beaucoup d’émetteurs : l’agriculture, l’industrie des énergies fossiles mais aussi les processus biologiques dans les zones humides, etc. », pointe Philippe Ciais du LSCE.

Mais des résultats récents permettent d’identifier un nouveau coupable. « Grâce aux images satellites, on est capable de voir de nouvelles sources. On a ainsi identifié un superémetteur de méthane, les accidents des sites gaziers et pétroliers », dit ce spécialiste des émissions, un des auteurs de l’étude publiée en février 2022 : « Ils représentent à eux seuls 10 % des émissions du secteur gaz et pétrole. Une information importante dans les bilans des émissions car ces volumes étaient attribués à d’autres sources. »
Les images satellites permettent aussi aujourd’hui de mieux estimer les changements de biomasse dans les forêts, donc leur contribution au stockage du carbone. À partir des données satellites, les scientifiques réalisent des cartes précises, à l’échelle régionale ou globale, de l’évolution des couverts forestiers, avec une précision plus grande que les inventaires forestiers. « Globalement, les quantités de carbone séquestré sont moins importantes que ce que prévoient les inventaires », remarque Philippe Ciais.
50 ans d’émissions
Le chercheur pointe également les nombreuses publications sur les tourbières, ces puits de carbone qui stockent près de 500 milliards de tonnes de CO₂, « soit 50 ans d’émissions au rythme actuel ». Une bombe si elles étaient dégradées, notamment pour la mise en culture. Le drainage, en exposant la terre des tourbières directement à l’oxygène de l’air, entraîne une dégradation rapide de la matière organique qui libère le carbone. « Un phénomène qui peut suffire à changer le bilan GES [gaz à effet de serre] d’une région », conclut l’expert.
Spécialiste du bilan carbone océanique, Laurent Bopp rappelle aussi que la science ne rime pas avec toujours plus de certitudes. « Les océans fixent 25 % du CO₂ dans l’atmosphère, mais l’incertitude augmente sur l’évolution de ce puits de carbone qui pourrait ne pas continuer à fixer une aussi grande proportion de CO₂ », prévient le chercheur.

Concernant la cryosphère, ce qui résistait encore à la fonte a lâché. Gerhard Krinner, chercheur à l’Institut des géosciences de l’environnement et spécialiste de la cryosphère nous fait part de deux observations récentes. Dans l’Himalaya d’abord, l’anomalie du Karakorum n’en est plus une. « Les glaciers de cette région à la frontière entre le Pakistan, l’Inde et la Chine étaient les seuls à gagner en masse. C’est fini, ils reculent aujourd’hui comme les autres », raconte le chercheur.
Et le seul compartiment de glace qui n’était pas encore touché par le changement climatique a basculé cette année : « La couverture des glaces de mer en Antarctique, cette couche de glace qui se forme en hiver, a fortement diminuée. Cette disparition était prédite par les modèles, mais c’est la première année qu’elle est observée. »
Une catastrophe qui se précise
« Un argument de plus utilisé par les climatosceptiques pour dire que les prévisions ne se vérifiaient pas en Antarctique qui tombe », remarque le chercheur. Quant à l’augmentation plus rapide du niveau de la mer, « elle était déjà annoncée. Aujourd’hui, elle se confirme par les observations », résume Gerhard Krinner. Selon le rapport spécial du Giec sur l’océan de 2019, le niveau marin a augmenté de 3,6 mm par an sur la dernière décennie. Mais d’ici à la fin du siècle, il pourrait augmenter chaque année de 1,5 cm.
L’accélération des évènements climatiques extrêmes ces derniers mois réalise donc globalement les prévisions des climatologues. Prévisions qui s’affinent justement avec les observations récentes d’un changement climatique aujourd’hui bien à l’œuvre. Quant à l’observation de notre vulnérabilité à un réchauffement global de 1,2 °C, elle en dit long sur ce qui nous attend.