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Autoroutes

Un projet d’autoroute hors de prix fâche Rouen

Manifestation contre le contournement est de Rouen, en 2021. Au total, près de 516 hectares vont disparaître sous le goudron.

Une mobilisation contre le contournement de Rouen est prévue du 5 au 8 mai. Le projet d’autoroute A133-A134 va bétonner moult terres et pourrait être l’un des plus chers de France.

Le muscardin, le grand capricorne, le pic mar et le triton crêté. Ces quatre animaux sont devenus les emblèmes de la lutte contre le contournement de Rouen. Ils seront à l’honneur du 5 au 8 mai lors d’une grande mobilisation contre ce projet routier — au programme : conférences, tables rondes, concerts, pique-nique en forêt... Plusieurs balades naturalistes sont prévues sur le tracé de la future A133-A134, notamment dans la forêt de Bord où certains arbres ont déjà été marqués à proximité du village de Léry dans l’Eure. « Il est possible qu’il y ait une coupe préventive à cet endroit qui est voué à disparaître si les travaux commencent », explique Enora Chopard. Elle est membre de La Déroute des routes, l’un des organisateurs de l’évènement avec Les Naturalistes des terres, Les Soulèvements de la Terre et le collectif Non à l’autoroute A133-A134. Quinze jours après la manifestation contre le projet d’autoroute entre Toulouse et Castres, Reporterre vous fait le point sur ce projet tout autant combattu.

Une idée qui date de... 1972

Comme pour de nombreux projets routiers, le contournement de Rouen est dans les cartons depuis le siècle dernier. Plus précisément en 1972, une époque durant laquelle ravager les campagnes pour y construire des routes était considéré comme un progrès. Cinquante et un ans plus tard, la liaison A133-A134 est plus que jamais d’actualité. Validée en 2021 par Jean Castex, alors Premier ministre, elle n’attend plus que la désignation du concessionnaire à l’automne prochain. Il pourrait alors commencer à couler 41 kilomètres de bitume, construire huit viaducs et dix points d’accès. L’objectif officiel : désengorger la ville de Rouen. « Il s’agit du dernier maillon autoroutier entre le nord de l’Europe et l’Espagne. Il faut absolument désengorger la ville, et soutenir l’activité du port de Rouen, le premier port céréalier d’Europe », a déclaré Vincent Lauda, le président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la Métropole Rouen-Normandie dans un article du Monde.

© Gaëlle Sutton / Reporterre

Désengorger Rouen ? Les opposants n’en sont pas convaincus. « La diminution du trafic pourrait également se faire via des arrêtés préfectoraux qui obligeraient les camions à ne pas passer par la ville », rétorque Enora Chopard. Elle plaide aussi pour le développement des transports en commun.

Autre objectif : « Réduire la pollution atmosphérique. » Pourtant l’enquête publique stipule que cette autoroute va émettre 50 000 tonnes de CO2 en plus par an. « L’argument de la pollution atmosphérique ne tient plus. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le maire de Rouen ne veut plus financer le projet », signale Lydie Rousseau, membre de l’association Non à l’autoroute. « D’autant qu’il ne faut pas oublier l’effet rebond : plus on construit de routes, plus on aura de voitures », rappelle-t-elle.

Une autoroute à prix d’or

886 millions d’euros hors taxes, valeur 2015. Voici l’estimation du coût du projet, publiée dans l’enquête publique. Un chiffre qui n’a jamais été réévalué : les opposants parlent d’au moins 1 milliard d’euros. « Cela pourrait être encore bien supérieur. Au vu de l’inflation dans le secteur du bâtiment, on peut le multiplier par deux ou trois », souligne Enora Chopard. Si ces estimations se révèlent exactes, il s’agirait donc de l’un des tronçons d’autoroute les plus chers jamais construits — avec la nouvelle route du littoral à la Réunion qui atteint le record de 2,6 milliards d’euros.

Pour financer un tel projet, les collectivités ont sorti leur chéquier. L’État va mettre au pot 245 millions d’euros. La Région et le département vont payer respectivement 205 millions et 40 millions d’euros. Un budget en hausse afin de compenser le désengagement de la Métropole de Rouen.

Le reste de la facture, soit environ 45 %, devra être financé par le concessionnaire. Ce dernier compte se rembourser notamment avec des frais de péages estimés à l’époque à 5 euros pour les voitures et 14 euros pour les poids lourds.

Des terres agricoles sous le béton

Reporterre vous avait déjà raconté l’histoire de Myriam Jouanny et Thomas Bertoncini, deux petits maraîchers dont l’exploitation est menacée par ce projet. Au total, près de 516 hectares vont disparaître sous le goudron, dont 142 hectares de forêts. Ce contournement va à l’encontre des objectifs de zéro artificialisation nette et a été critiqué par plusieurs instances officielles. Dans son dernier rapport remis le 24 février, le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) parle d’effets environnementaux « très importants » et suggère au gouvernement « de revisiter le projet au regard de ces divers éléments avant de signer un contrat de concession ». En 2016, l’Autorité environnementale estimait que « le dossier laisse dans une trop grande incertitude, d’une part, les conséquences du projet sur l’extension de la périurbanisation, d’autre part, ses effets escomptés et mis en avant par le maître d’ouvrage, en matière de développement des transports en commun et des modes doux ».

Ces agriculteurs craignent de voir leurs champs coupés en deux ou bordés par le contournement autoroutier. © NnoMan Cadoret/Reporterre

Ce contournement pourrait également ouvrir la voie à de nouvelles constructions. « La configuration du projet facilitera considérablement certains trajets, notamment depuis les plateaux à l’est de Rouen traversés par l’autoroute : l’enjeu de l’étalement urbain et de la périurbanisation supplémentaires induits par le projet, et des destructions de sols associées, est donc important », prévient l’Autorité environnementale. Guillaume Grima, de l’association Effet de Serre toi-même, souligne que de nombreux acteurs économiques pourraient se positionner à chaque nouvelle sortie créée. « Des zones d’entrepôts logistiques, des centres commerciaux, des zones d’activités, et éventuellement des lotissements pourraient à terme voir le jour. Les agents immobiliers pourraient dire à leurs futurs clients "vous êtes proches de l’autoroute, vous pourrez gagner les zones d’emploi rapidement" ».

Des alternatives sans bétonnage

Il serait possible de fluidifier le trafic routier sans pour autant bétonner. Les associations ont réfléchi à de nombreuses alternatives, documents chiffrés et études à l’appui. Pour les camions, il s’agirait de revivifier les autoroutes ferroviaires. Pour les déplacements entre le domicile et le lieu de travail, il faudrait développer les transports en commun, notamment un système d’express ferroviaire métropolitain, lancer une véritable politique d’aménagement pour les vélos ou encore créer des bateaux-bus sur le fleuve. « On ne peut pas culpabiliser les gens qui se sentent prisonniers de leur voiture. Nous voulons les aider à changer et pour cela, il faudra les accompagner », conclut Guillaume Grima.

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