Contre les projets routiers climaticides, la résistance s’organise

Dans la communauté d’agglomération Paris-Saclay, une passerelle piéton-cycle est créée sur l’A10 reliant Villejust à Saclay. - © Mathieu Génon/Reporterre
Dans la communauté d’agglomération Paris-Saclay, une passerelle piéton-cycle est créée sur l’A10 reliant Villejust à Saclay. - © Mathieu Génon/Reporterre
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Transports Autoroutes LuttesÀ l’occasion d’un week-end de rencontres, une dizaine de collectifs se sont retrouvés pour échanger sur le discours et les modes d’action contre les projets routiers « inutiles et polluants » aux quatre coins de la France.
Montpellier (Hérault), reportage
À Montpellier, une dizaine de collectifs venus de Grenoble, Toulouse, Orléans, Nîmes, Le Pertuis (Haute-Loire) ou encore Céret (Pyrénées-Orientales) étaient présents les 21 et 22 mai pour poser les bases d’une coalition contre les projets de déviations, échangeurs et autres élargissements autoroutiers. L’objectif : apprendre les uns des autres et unir leurs forces. Autour de la table, les projets ont été détaillés, les millions d’euros d’investissements prévus et les hectares de terres menacées énumérés.
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Anna, membre du collectif SOS Oulala contre le périphérique de Montpellier, accueille les participants, au pied du chantier de la Liaison intercantonale d’évitement nord de Montpellier (Lien) sur la colline du bois de gentil, déjà en partie dynamitée et occupée par les bulldozers. « Les travaux ont débuté il y a deux ans », soupire-t-elle. Dans les environs, on est déjà loin de la « campagne profonde » qu’elle a connue. Autour du tracé du projet routier, et à mesure que les axes ont « balafré » les environs de Montpellier, elle a vu sortir de terre les zones commerciales et les lotissements, des villages vivants comme Assas, Matelles , Saint-Mathieu-de-Tréviers ou Combaillaux se transformer en « villages dortoirs, vidés de leur substance ». Pas étonnant : « Le front pionnier des métropoles en quête d’expansion, ce sont les infrastructures routières. »
Anna invite donc les autres collectifs à se pencher sur les Plans locaux d’urbanisme (PLU) et les Schémas de cohérence territoriale (Scot) qui permettent de prévoir les futurs aménagements liés à la route, en vérifiant les statuts des terrains qui pourraient accueillir par exemple des entrepôts logistiques, comme celui d’Amazon qui devait voir le jour le long du projet de Liaison est-ouest (LEO) d’Avignon.
La carte des 55 projets routiers contestés :
« Il faut attaquer à chaque étape »
La plupart des collectifs ont déjà déposé des recours contre les projets routiers auxquels ils s’opposent en s’appuyant sur ces documents ou les études d’impacts préalables aux projets. « Cela permet d’espérer de meilleures jurisprudences vis-à-vis de ces documents, mais aussi de l’objectif de zéro artificialisation nette ou de la stratégie nationale bas carbone », souligne Chloé Gerbier, de l’association Terres de luttes, qui partage ses connaissances du droit environnemental.
Sur une frise chronologique, elle écrit les différentes autorisations liées au projet avant le début des travaux. « Il faut attaquer à chaque étape, explique-t-elle, en particulier la Déclaration d’utilité publique (DUP). Il va falloir chercher les fautes que l’étude d’impact pourrait contenir, les incompatibilités avec d’autres textes et des oublis, comme des espèces protégées qui n’ont pas été mentionnées. »

Décrypter ces documents complexes de plusieurs centaines de pages, « c’est un véritable travail, fastidieux, de détective », dit-elle. « On s’aperçoit que le bon axe d’attaque est rarement celui de la contribution du projet au dérèglement climatique, mais sur la qualité de l’étude d’impact, de l’enquête publique ou le respect des règles d’urbanisme », rebondit Nadine [*], de la Lutte des sucs. Elle envisage de nouvelles pistes de recours juridiques contre le projet de mise à 2×2 voies du tronçon Le Pertuis/Saint Hostien de la RN88, en Haute-Loire. Des recours qui doivent se faire dans les délais, en anticipant toujours l’étape d’après.
Porter un contre-argumentaire
Anticiper, c’est également se munir d’argumentaires solides et de propositions alternatives. « On ne veut pas donner l’impression de mépriser les usagers de la route et les habitants, on considère effectivement que rester coincés dans les bouchons pendant des heures, c’est insupportable. On veut au contraire montrer l’inutilité, voire la nocivité du projet pour eux », dit Anna.
Autour de la table, les idées fusent. Tracter et interpeller les élus n’est pas suffisant. « On a mis des pancartes sur les chemins de promenade en écrivant “Ici la future 2x2 voies”, en y ajoutant nos argumentaires », raconte Fabienne [*], de l’association Caveirac Vaunage contre le projet de contournement ouest de Nîmes. Des visites du site sont recommandées, « pour faire prendre conscience des dégâts que va provoquer le projet », dit Hervé, de l’association Bien vivre en Vallespir contre la déviation de Céret. « Des balades naturalistes, botanistes et géologiques ont aussi du succès », ajoutent les membres du collectif Lutte des sucs. Dans les idées qui fusent, outre ces opérations pédagogiques, on cite aussi des actions d’occupation, combinées avec des événements festifs, comme manifester sur la route à vélo, déguisés ou munis de grosses enceintes, etc.
Bien souvent, les collectifs se heurtent à la méfiance des habitants. Les militants constatent que les porteurs du projet leur présentent systématiquement les mêmes arguments : dynamiser le territoire, sécuriser les déplacements et surtout fluidifier le trafic avec des gains de temps de quelques minutes, et ainsi réduire les émissions. Pourtant, les nouvelles routes sont au contraire des « aspirateurs à voitures », explique l’économiste et urbaniste Frédéric Héran. C’est ce qu’on appelle le « trafic induit ». « Les bouchons reviennent inévitablement au bout d’un moment. »
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Dans le cas du Lien de Montpellier, la Mission régionale de l’Autorité environnementale (MRAE) a écrit qu’il n’est pas démontré que ce projet « réduise la dépendance automobile et agisse sur les comportements, compte tenu du trafic induit qu’il pourra générer ». « Or, ce phénomène n’est pas pris en compte dans la plupart des cas, parce qu’autrement les résultats de l’évaluation socio-économique seraient inversés. » Les militants prennent des notes. « On a remarqué que l’évaluation des nuisances sonores et des émissions est faussée, car ils vont créer un nouvel axe moins cher pour les camions pour aller vers le nord, donc le trafic induit sera fort », précise Aurélie [*], du collectif Autre COM contre le contournement ouest de Montpellier.

De l’aménagement local au modèle global
C’est en élargissant son champ de vision qu’Anna, du collectif SOS Oulala, s’est aperçue de l’inscription de ce projet, comme celui du Lien de Montpellier, dans un itinéraire plus large pour faciliter le fret européen par camion. Entre Nîmes, Arles, Avignon et Montpellier où se profilent aussi « de nouvelles liaisons autoroutières déguisées en périphériques », se dessine une facilitation de l’accès à un itinéraire reliant l’arc méditerranéen au nord de la France et de l’Europe, à peu de frais pour les poids lourds transportant des marchandises. Elle veut mettre en lumière les réseaux formés par les différents projets : « Si on en bloque un morceau, on bloque toute une réaction en chaîne. »
Avec Romain, Anna animait l’atelier « cartographies ». Une grande carte de la France traversée par les axes de transports est déployée au mur. Chacun y positionne le projet routier contre lequel il lutte. « On va essayer de comprendre comment les aménagements locaux s’articulent entre eux à plus grande échelle », explique Romain. Au fil des heures, la carte s’étoffe de portions de routes, mais aussi de ports et aéroports, d’entrepôts, de zones commerciales, etc. « Tout est lié. On ne s’oppose donc pas seulement au projet routier parce qu’il passe par chez nous, mais parce qu’il s’inscrit dans un modèle de société plus global, impliquant de futures infrastructures, davantage de pollution et d’artificialisation », explique Romain du collectif SOS Oulala. L’esprit de la coalition est né, les ressources sont progressivement mises en commun, le discours politique en réflexion... Reste à se trouver un nom.