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Contre une autoroute, une zad allemande pourrait naître en forêt

En Allemagne, l’accélération de projets autoroutiers menace la forêt de Sterkrade. Après l’évacuation hypermédiatisée de la zad de Lützerath en janvier, activistes et habitants se réorganisent.

Sterkrade (Allemagne), reportage

5 000 arbres centenaires et massifs vont devoir tomber à Sterkrade. Cette ville de la Rhénanie du Nord abrite une forêt, devenue réserve naturelle en 1958, vitale pour sa faune et les habitants des alentours. Des peuplements de hêtres rouges âgés de plus de 150 ans côtoient des charmes, de chênes rouges, des aulnes, des érables sycomores et des pins sylvestres, ainsi que des espèces animales rares comme la salamandre tachetée. « Je viens m’y promener souvent avec mon chien, et cette forêt m’est très importante, car nous vivons dans la deuxième zone la plus densément urbanisée d’Allemagne », témoigne Renata, une habitante des environs.

Dans les années 1936-1938, une autoroute est venue couper la forêt en deux. En 1958, une nouvelle bretelle d’autoroute l’a saucissonnée en quatre. C’est maintenant un élargissement de plusieurs voies supplémentaires qui menace presque quinze hectares de cette zone protégée. Le ministre fédéral des Transports Volker Wissing a annoncé que 144 projets autoroutiers seraient accélérés dans le pays, suscitant l’indignation. Le réseau autoroutier outre-Rhin est déjà le quatrième plus long du monde, avec plus de 13 000 km de bitume.

Des activistes et habitants participent à une promenade engagée dans la forêt menacée de Sterkrade, le 23 juillet 2023. © Philippe Pernot / Reporterre

« À un moment, il faut dire stop à tous ces projets qui s’accumulent dans notre ville depuis des années et qui nous privent de nos espaces verts », soupire Virginia, qui accompagne Renata lors d’une promenade dans la forêt, organisée par des activistes écologistes. Les deux amies sexagénaires brandissent une pancarte « Sterki Bleibt » (« Sterkrade doit rester »), en écho aux luttes rhénanes passées. Toutes situées à une heure seulement en voiture, le Hambacher Forst, Dannenröder Wald et Lützerath ont concentré l’attention médiatique ces dernières années. Des milliers d’écologistes y avaient construit des cabanes dans les arbres pour stopper des projets d’autoroutes ou de mines de charbon.

Vers une nouvelle zad en Rhénanie ?

Maintenant, c’est à Sterkrade que Renata et Virginia souhaitent voir s’installer une « Waldbesetzung » (« occupation de forêt »), comme on appelle les zones à défendre (zad) outre-Rhin. « On n’en est pas encore là, nuance Linda Kastrup, une jeune activiste écologiste de la région. Pour l’instant, notre but est de nous allier avec d’autres activistes et organisations écologistes pour être prêts, quand le temps viendra, de se mobiliser. » Les militants n’ont pas encore construit de cabanes dans les arbres, mais n’excluent pas l’idée, sans toutefois dévoiler leurs plans d’action.

Linda Kastrup, porte-parole des activistes du camp climat, à Sterkrade le 22 juillet 2023. © Philippe Pernot / Reporterre

Cheveux au vent, Linda Kastrup s’assoit entre deux tentes siglées de drapeaux écologistes, queer et antifascistes établies sur un terrain de foot communal, aux abords de la forêt. Ils sont une vingtaine à avoir établi ce camp climat pour sensibiliser à leur cause, pendant tout le mois de juillet. Cuisine autogérée, programme culturel avec conférences et concerts : des centaines de personnes ont afflué de toute l’Allemagne pour découvrir cette nouvelle lutte.

Alors que les premières coupes d’arbres pourraient avoir lieu à Sterkrade en début d’année 2024 selon les activistes, une large coalition commence à rassembler des associations de défense de la nature, comme le Bund ou Nabu, et des citoyens. « On espère qu’en formant des alliances aussi larges, on pourra stopper ces projets d’autoroutes, dit Linda Kastrup. Il faut que tout le monde puisse se retrouver dans la lutte : on peut aussi bien apporter des gâteaux et discuter autour d’un thé que participer aux actions plus militantes. » C’était, selon elle, la principale leçon de Lützerath, la « zad de Rhénanie » hypermédiatisée en janvier lors de son évacuation.

L’ancien hameau de Lützerath est maintenant englouti dans la mine de lignite (charbon) de Garzweiler 2. Ici, le 25 juillet 2023. © Philippe Pernot / Reporterre

De la mine aux autoroutes

L’ancien hameau de Lützerath, situé à tout juste une heure de Sterkrade, était devenu le symbole de la résistance écologiste allemande face à l’appétit de l’industrie minière. La zad avait tenu trois ans avant son évacuation en janvier. Mais quand 8 000 policiers ont donné l’assaut, son sort était scellé : canons à eau, cavalerie et forces spéciales ont eu raison de la détermination des zadistes, adeptes de la non-violence. Aujourd’hui, les bâtisses médiévales ont été englouties par la mine de charbon de Garzweiler 2 et seuls quelques panneaux, graffitis et stickers dans les villages environnants témoignent de l’âpreté des combats dans la boue et la pluie.

Il y a trois ans, Linda Kastrup avait intensément participé à la mise en place de la zad de Lützerath. « Ils peuvent évacuer un village, mais pas un mouvement, sourit-elle. Nos idéaux ne dépendent d’aucun lieu, nous continuons de les porter haut et fort et de créer de nouveaux endroits de lutte. » Dans le camp climat de Sterkrade, quasiment tout le monde est passé par Lützerath — même les toilettes sèches, qui ont été sauvées de la destruction. « Avant, nous combattions le charbon, maintenant les autoroutes, car les projets climaticides se multiplient partout », dit Linda. Le camp pourrait ainsi reprendre le flambeau de Lützerath, même si certains refusent d’abandonner la lutte autour de l’ancienne zad alors que d’autres, au contraire, veulent changer de tactique pour apprendre des erreurs passées.

La route L12, qui reliait Lützerath à Erkelenz et à d’autres villes environnantes continue d’être défendue par des activistes et habitants, alors qu’elle doit être engloutie par la mine. © Philippe Pernot / Reporterre

Certains activistes se maintiennent dans les environs de Lützerath pour sauver ce qui peut encore l’être : la route L12 et quelques éoliennes qui doivent elles aussi être engouffrées par la mine de charbon. D’autres, encore, tentent des actions de sabotage contre des excavatrices, ou attaquent des locaux des Verts avec de la peinture. Ces derniers sont accusés d’avoir trahi l’écologie depuis que le ministre Robert Habeck a autorisé la destruction de Lützerath au profit d’une sortie du charbon accélérée. Dans la mer du Nord aussi, des projets de terminaux de gaz naturel suscitent aussi une fronde croissante, d’activistes.

Un graffiti « Fuck RWE » (RWE étant l’entreprise opérant la mine de Garzweiler 2) sur une route environnant la mine, en face d’éoliennes devant être détruites pour céder à la mine. Ici, le 25 juillet 2023. © Philippe Pernot / Reporterre

Nouveau front, nouvelles tactiques ?

Quant à la création d’une nouvelle zad rhénane à Sterkrade, certains préfèrent avancer avec précaution. « Je perçois une forme de perte d’orientation chez beaucoup d’activistes, on multiplie les luttes sans se concentrer sur une cause », dit Dina Hamid, ancienne porte-parole du collectif Lützerath Lebt, en buvant un café sous un arbre à l’entrée du camp à Sterkrade.

Comme beaucoup, elle a eu besoin de quelques mois pour se remettre de l’évacuation et la destruction du hameau en janvier dernier tant il était devenu un lieu de vie attachant, chaleureux, utopique : « On doit aller de l’avant, c’est sûr. Mais je me demande si la solution est de multiplier les zad, au risque de trop disperser nos moyens et notre énergie ».

Des activistes tiennent une assemblée pour discuter des affaires courantes du camp climat, le 22 juillet 2023. © Philippe Pernot / Reporterre

Face à la multiplication des fronts, comment continuer ? Le grand collectif Ende Gelände a organisé début août le camp climat System Change (« changement de système ») près d’une zad à Hanovre. Le but : en faire une « conférence des tactiques » du mouvement climat, selon Rita Tesch, porte-parole du collectif : « On veut insuffler une nouvelle vie au mouvement, car si nous avons essayé beaucoup de tactiques ces dernières années, nous sommes forcées de constater que face au dérèglement climatique et à la répression qui s’accélèrent, il nous faut de nouvelles idées. »


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