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Quotidien

Crustacés, huîtres, poissons : comment les choisir écolos pour Noël

Entre le saumon fumé en provenance d’élevages utrapolluants, les crevettes de Madagascar et les huîtres à trente chromosomes, il y a de quoi perdre l’appétit au repas de Noël. Heureusement, des alternatives écolos existent.

Noël, ses toasts de saumon fumé, ses huîtres, ses plateaux de fruits de mer… Les gourmands frétillent, les écolos font la grimace et répliquent « surpêche, destruction des fonds marins, pollutions liées aux élevages ». En effet, les chiffres sont accablants : d’après le WWF, 31 % des stocks halieutiques mondiaux sont surexploités (et jusqu’à 93 % des stocks méditerranéens) et la pêche illégale, illicite et non réglementée pourrait bientôt atteindre 26 millions de tonnes, soit plus de 30 % des captures annuelles totales réalisées dans le monde. Il est pourtant possible d’inviter les produits de la mer sur sa table de fête en respectant les milieux marins. Reporterre a interrogé des ONG et un chef cuisinier pour vous aider à composer votre menu sans coquille ni arrête.

1 — Éviter le saumon fumé

« Les méthodes d’élevage du saumon ne sont pas du tout satisfaisantes, explique Thibault Josse, de l’association Pleine mer. Le rendement est très mauvais, puisqu’il faut entre deux et quatre kilogrammes de poisson de mer pour produire un kilo de saumon. Ces poissons sont pêchés dans les pays du Sud, ce qui ajoute une dimension néocoloniale au problème. Ces élevages sont source de multiples pollutions : aux antibiotiques et pollution génétique si les poissons d’élevage s’échappent et se reproduisent avec des saumons sauvages. » En 2011, Reporterre alertait sur des saumons norvégiens contaminés au diflubenzuron, un pesticide destiné à lutter contre le pou de mer. En 2016, les côtes chiliennes étaient dévastées par une « marée rouge » d’algues toxiques, provoquée par le rejet en mer de saumons d’élevage pourris. Si ce paragraphe ne vous a pas coupé l’appétit et que vous n’envisagez pas de renoncer aux blinis et au beurre salé, « le saumon peut être remplacé par de la truite fumée, car la France compte de nombreux petits élevages artisanaux », recommande Thibault Josse.

2 — Privilégier les huîtres diploïdes aux triploïdes

Triplo… quoi ? Pour résumer, une huître naturelle, dite diploïde, compte vingt chromosomes. Une huître triploïde en comporte trente. Elle n’est pas génétiquement modifiée, mais issue d’un croisement entre une diploïde et une tétraploïde (40 chromosomes). L’intérêt de cette manipulation est de rendre l’huître stérile et donc d’éviter qu’elle soit laiteuse l’été. Par ailleurs, n’ayant pas à se reproduire, elle consacre toute son énergie à sa croissance. Résultat : elle est prête à être vendue au bout de deux ans, au lieu de trois. Ces huîtres, appelées aussi « huîtres des quatre saisons », représentent aujourd’hui environ un tiers des mollusques français. « On peut aussi préférer des huîtres de pleine mer aux huîtres d’élevage », complète Ludovic Frère Escoffier, du WWF. Pour s’y retrouver, on peut s’intéresser aux labels inscrits sur les bourriches : le label agriculture biologique (AB) garantit que les huîtres sont diploïdes, le label Nature et Progrès qu’elles sont diploïdes, mais aussi nées et élevées en mer. Que celles et ceux qui n’aiment pas les huîtres laiteuses se rassurent : il n’y a aucun risque de tomber sur une mauvaise surprise en dégustant ce mollusque les mois en « r » — septembre, octobre, novembre et décembre !

3 — Se renseigner sur l’état des stocks et le type de pêche

On appelle « stock » la partie exploitable de la population d’une espèce dans une zone donnée, selon la définition de l’Ifremer. « Il est assez difficile de trouver du poisson selon ce critère car l’état du stock dépend des populations, dit Thibault Josse. Par exemple, le stock de morue est en excellent état en mer de Barents mais en mauvais état en mer Celtique. » Pour s’y retrouver, Josselin Marie, chef cuisinier du restaurant parisien écoresponsable La Table de Colette, labellisé « bon pour le climat », a commandé le Guide des espèces à l’usage des professionnels de l’organisation Ethic Ocean et utilise l’application Planète océan, développée par la fondation Goodplanet. Le WWF a également publié un consoguide, L’océan dans votre assiette en 2017, précisant pour chaque espèce et chaque population son état de conservation à l’aide d’un code couleur. « Depuis qu’on s’intéresse à cette question, il y a plein de poissons qu’on a arrêté de cuisiner, raconte à Reporterre Josselin Marie. Par exemple, le bar est un poisson qu’on peut rarement prélever, et encore moins pendant sa période de reproduction de décembre à mars. Parfois, on s’abstient pendant trois, quatre, cinq ans, puis ça revient. C’est le cas de la coquille Saint-Jacques, qui est revenue récemment après plusieurs années d’absence. »

« Pourquoi consommer des crevettes tropicales alors que des crustacés sont élevés en France »

D’origine bretonne, le chef est également très attentif au type de pêche dont sont issus les produits qu’il cuisine : « Nous nous fournissons exclusivement auprès de pêcheurs qui travaillent au filet droit, au casier ou à la ligne, les méthodes les moins invasives pour les fonds marins. » Il semblerait toutefois que ce critère soit lui aussi difficile à manier. « À Pleine mer, on ne veut pas privilégier un type de pêche car c’est très contextuel, explique Thibault Josse. Un filet de quarante kilomètres peut faire plus de dégâts qu’un chalut de dix mètres. Une ligne ne dégrade pas les fonds marins mais peut pêcher une tortue ou un requin et il existe des chaluts pélagiques dont les lames ne touchent jamais le fond. Comment comparer un filet à rougets de cent mètres laissé posé entre un quart d’heure et quarante-cinq minutes et un filet à lieu de cent kilomètres laissé trois jours ? » « On n’a pas de religion sur le type de pêche et on ne met pas en concurrence pêche artisanale et industrielle, enchérit Ludovic Frère Escoffier. Un petit bateau peut faire beaucoup de dégâts dans un stock menacé. »

Tous deux mettent plutôt l’accent sur la proximité. « C’est dommage de consommer des crevettes tropicales alors que de nombreux crustacés sont pêchés ou élevés en France », juge Thibault Josse. Son association a d’ailleurs mis en ligne une carte interactive des circuits courts de la filière pêche. « L’avantage d’acheter directement au pêcheur, c’est que non seulement on sait d’où vient le poisson, mais on peut aussi savoir combien il paie ses salariés et quel statut a sa femme si elle travaille pour lui. Nous connaissons tous les pêcheurs de notre carte. » Pleine Mer met en avant des réseaux de vente directe comme Poiscaille ou Hissez oH. Autre astuce, « demander à son poissonnier l’origine précise de son poisson. Il est forcément au courant, la traçabilité est une obligation », rappelle Thibault Josse.

Un pêcheur à la ligne en mer d’Iroise, en juin 2018. © Tien Trân/Reporterre

Et les labels ? Ponton glissant. Le label MSC (pour Marine Stewardship Council) est né en 1997 d’un travail commun du WWF et de la multinationale Unilever, en réaction à l’effondrement du stock de cabillauds à Terre-Neuve (Canada). Censé garantir le respect des stocks et des écosystèmes marins et la gestion de la pêcherie [1], il est aujourd’hui controversé. Les associations écologistes l’accusent d’avoir des critères trop peu rigoureux qui ne permettraient pas de lutter efficacement contre la surpêche. « Nous nous sommes trouvés en désaccord avec certaines pêcheries MSC, reconnaît Ludovic Frère Escoffier. Nous avons très récemment émis des objections sur le thon rouge en Atlantique et en mer du Nord. » Quant au label Pavillon France, « il signale juste que le poisson est français », dit Thibault Josse, qui préfère « à la limite, les labels montés par les pêcheurs eux-mêmes, comme celui des ligneurs de la pointe de Bretagne ».

4 —Se laisser surprendre par des poissons méconnus

Alors, faut-il balayer le poisson de sa table de fête comme les algues par la marée ? Pas du tout, réplique Thibault Josse : « On peut aller voir du côté des poissons oubliés : la vieille, le mulet, le chinchard, le congre… Ils ne sont pas beaux et sont vendus très peu cher, mais ils sont très bons. » Lui-même, pour les fêtes, hésite encore entre un mulet fumé ou en carpaccio. « Aujourd’hui, pour un menu festif, on peut proposer de la lotte, du merlan-merlu, du rouget barbet. Mais aussi de la sole pêchée dans le golfe de Gascogne, du turbot pêché en mer du Nord, du homard américain ou du homard breton. Une fois qu’on a choisi le poisson, on s’intéresse à la saisonnalité des légumes et on construit son plat », complète Josselin Marie. Cette semaine, le chef de la Table de Colette a ainsi cuisiné une lotte cuite comme un pot-au-feu dans un petit bouillon de crevettes avec des carottes, des poireaux, du salsifis, du céleri et un petit condiment de citron vert. Qui a dit que les plats écolos étaient ennuyeux ? Si vous n’êtes toujours pas convaincu, le consoguide du WWF propose plusieurs recettes de chefs pour vous mettre l’eau — salée — à la bouche : filets de mulet lippu aux légumes croquants et thé vert, merlu alla chitarra, morue confite aux tomates séchées et abricots secs… Bon appétit !


LA RECETTE DE JOSSELIN MARIE : LOTTES DE L’ÎLE DE GROIX, CONSOMMÉ DE CREVETTE, LÉGUMES ET CITRON VERT

Pour huit convives

  • 8 carottes fanes
  • 8 pièces de salsifis
  • 4 poireaux
  • 2 branches de céleri
  • 8 grosses crevettes
  • 2 citrons verts
  • 4 blancs d’œuf
  • 8 pavés de lotte de 130 grammes environ
  • 2 cl d’alcool de pomme type gnôle

Décortiquer les crevettes et réserver les têtes et les carapaces. Éplucher et couper en sifflet tous les légumes, conserver les épluchures et les parures.

Faire colorer les têtes et les carapaces des crevettes, flamber à l’alcool, mettre toutes les épluchures et les parures des légumes et mouiller à l’eau. Laisser cuire pendant deux heures puis passer le bouillon au chinois étamine. Jeter les éléments solides et garder le liquide — c’est la base de sauce. Refaire bouillir le bouillon et jeter les blancs d’œufs dedans tout en fouettant. Laisser bien bouillir : le blanc d’œuf va coaguler et le bouillon va devenir clair comme du thé.

Faire cuire à feu doux les légumes avec un couvercle pour qu’ils cuisent dans leur eau.

Râper la peau des citrons verts pour prélever la partie verte. Éplucher et tailler les segments de citron vert, mélanger les segments ainsi que les râpures de citron vert.

Utiliser un peu de bouillon pour pocher les pavés de lotte ainsi que les queues de crevettes durant quelques minutes.

Dresser les assiettes avec les légumes, puis la lotte et les crevettes pochées et enfin le petit ragoût de citron vert. Verser le consommé de crevette au dernier moment.

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