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Pesticides

Dangers du glyphosate : l’Europe préfère les conclusions de l’agrochimie

L’Union européenne doit se prononcer d’ici décembre 2022 sur la réautorisation du glyphosate. Selon l’association Générations futures, le rapport évaluant la dangerosité de cet herbicide favoriserait les études issues de l’industrie agrochimique au détriment de celles de la littérature scientifique.

L’un des documents clés utilisés par l’Europe pour évaluer la dangerosité du glyphosate serait-il partiel, voire partial ? C’est ce que suggère un rapport publié mardi 16 novembre par Générations futures. Dans ce document de dix-neuf pages, l’association affirme que le rapport d’évaluation pour le renouvellement de l’autorisation du glyphosate (qui doit permettre aux autorités européennes de statuer sur l’utilisation de cet herbicide après 2022) aurait fait l’impasse sur un nombre important d’études universitaires. Les défauts de certaines études réalisées par des industriels — et prises en compte dans le rapport d’évaluation — auraient, eux, été occultés.

L’utilisation du glyphosate au sein de l’Union européenne reste légale jusqu’au 15 décembre 2022. En 2019, un regroupement de sociétés spécialisées dans l’agrochimie (parmi lesquelles Bayer et Syngenta) ont déposé une demande afin de renouveler l’autorisation de cet herbicide controversé au-delà de cette date. Quatre États membres (la France, la Hongrie, les Pays-Bas et la Suède) ont été chargés d’évaluer la substance. À partir d’un dossier fourni par les industriels et censé présenter l’ensemble des données scientifiques disponibles sur la question, ils ont rédigé un « rapport d’évaluation pour le renouvellement de l’autorisation » du glyphosate. Ce document sera l’une des pièces maîtresses utilisées par les autorités européennes pour décider de son éventuelle réhomologation.

Problème : selon Générations futures, l’ensemble des articles scientifiques portant sur la toxicité et l’écotoxicité du glyphosate n’auraient pas été pris en compte, « loin de là ». Les auteurs du rapport d’évaluation publié par les États membres ont identifié 7 188 études ayant trait de près ou de loin à l’herbicide au cours de leurs recherches bibliographiques. Seules 30 d’entre elles, soit 0,4 %, ont été jugées à la fois pertinentes, utiles pour le dossier et fiables. « Le travail de recherche des universitaires serait-il donc non pertinent et non fiable dans 99,6 % des cas ? », s’interroge l’association Générations futures.

Les études scientifiques auraient été évaluées plus sévèrement que celles réalisées par l’industrie

Selon l’association, il y aurait eu des « failles » dans la méthode de sélection des études scientifiques. Certaines effectuées sur des espèces aquatiques ont par exemple été exclues, alors que des scientifiques estiment qu’elles pourraient contribuer à l’évaluation des risques du glyphosate sur la santé humaine. Plus de 80 études présentées au cours de conférences universitaires ont également été rejetées au motif qu’elles n’auraient « probablement » pas été relues par des pairs. Les résumés de ces conférences sont pourtant publiés dans des revues à comité de lecture, rappelle l’association, et elles sont considérées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) comme des sources possibles.

Des articles portant sur les effets du glyphosate au niveau cellulaire et moléculaire ont également été rejetés, bien que l’explication de ces mécanismes d’action soit « primordiale » pour comprendre la toxicité de la substance, selon Générations futures. Les études réalisées en Asie ou en Amérique du Sud ont elles aussi été évincées, au motif que les conditions d’utilisation de l’herbicide sous ces latitudes ne seraient pas comparables à celles observées en Europe. Enfin, certaines études auraient été écartées, car elles s’appuieraient sur une formulation de Roundup [1] différente de celle présentée par les industriels dans leur dossier de renouvellement. La composition détaillée des herbicides étant confidentielle, il est malheureusement impossible de vérifier ces affirmations, déplore Générations futures.

Selon l’association, les études provenant de la littérature scientifique auraient été évaluées bien plus sévèrement que celles réalisées par l’industrie. « À défaut équivalent, certaines études de la littérature scientifique sont considérées comme seulement complémentaires, et celles de l’industrie comme fiables avec restrictions », regrette Pauline Cervan, docteur en pharmacie, toxicologue et responsable des questions réglementaires et scientifiques au sein de Générations futures. L’association a analysé dix études de génotoxicité réalisées par l’industrie et prises en compte dans le rapport d’évaluation. Ces études sont censées évaluer la capacité du glyphosate à « casser » l’ADN. Résultat : « Elles utilisent seulement la moitié du nombre de cellules recommandé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour avoir une statistique assez puissante », observe-t-elle.

« On ne regarde qu’une toute petite partie de la science, faite par l’industrie » 

Selon la toxicologue, les défauts de ces études remettent en question leur pertinence. « Ces tests sont faits pour évaluer l’effet du glyphosate sur un type de cellule située dans la moelle osseuse, explique-t-elle. Mais aucune d’entre elles ne montre que la substance a bien atteint la moelle osseuse, alors qu’il s’agit d’un critère d’acceptabilité de l’OCDE. La seule qui le montre est confidentielle, et on ne peut pas savoir si l’exposition a été bien réalisée. Je trouve ça inquiétant. » Le groupe d’États membres rapporteurs n’a pas répondu aux sollicitations de Reporterre sur cette question.

Pauline Cerdan juge indispensable de changer la méthode de sélection des études utilisée pour évaluer la dangerosité des pesticides. « On ne regarde qu’une toute petite partie de la science, faite par l’industrie. Nous nous sommes focalisés sur le glyphosate dans cette analyse, mais c’est probablement le cas pour beaucoup d’autres substances. » La littérature scientifique devrait selon elle être davantage prise en compte. « Quand d’autres organismes comme le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) évaluent le glyphosate, ils arrivent à des conclusions différentes [2], car ils ont pris en compte l’ensemble des études disponibles », note-t-elle.

La non-exhaustivité de ce rapport d’évaluation pourrait-elle mener l’Union européenne à prolonger l’autorisation de cet herbicide ? En novembre dernier, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir interdire le glyphosate à l’échelle européenne pour fin 2022, année au cours de laquelle la France exercera la présidence du Conseil de l’UE. Avec un tel rapport d’évaluation, il est cependant probable que l’autorisation de l’herbicide soit renouvelée, craint Pauline Cerdan. « Les quatre États membres rapporteurs, dont fait partie la France, sont favorables au renouvellement de son autorisation, rappelle-t-elle. Je ne pense pas que la présidence de la France y changera quelque chose. »

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