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Agriculture

Dans l’Essonne, la ferme où les moutons restent toute l’année dehors

Pas de Salon de l’agriculture cette année, coronavirus oblige. À la place, la Confédération paysanne inaugure son « Salon à la ferme », une opération portes ouvertes entre le 27 février et le 7 mars dans des exploitations françaises. Parmi elles, la ferme de Beaumont dans l’Essonne, qui pratique le pastoralisme itinérant, en plein air toute l’année.

-  Valpuiseaux (Essonne), reportage

Au bout d’une route cahoteuse à une heure trente de Paris, entre de vastes champs de céréales, la ferme de Beaumont fait partie des rares élevages de l’Essonne se consacrant au pastoralisme itinérant à plein air intégral. Elle ouvrira ses portes au public, ce dimanche 28 février, dans le cadre de l’opération Salon à la ferme mis en place par la Confédération paysanne pour remplacer le salon de l’agriculture, annulé cette année pour cause de pandémie.

La maison paraît minuscule entre les immenses surfaces de terre mises à nu, sur lesquelles aucune plante ne pousse. « Quand on s’est installé ici, en 2001, on passait pour des fous. Les gens de la région avaient arrêté l’élevage des moutons pour faire du blé subventionné », raconte Valérie Sil en riant. Avec son époux Éric, les propriétaires de cette ferme n’ont pas un parcours d’éleveurs conventionnels. « On ne vient pas du milieu agricole. On a développé cela pour notre fils. C’était son vœu depuis qu’il est petit d’avoir une ferme », explique Valérie.

Il y a vingt ans, le couple s’est installé avec ses enfants au lieu-dit Beaumont pour se dédier à l’élevage de moutons. Valérie enseigne en parallèle l’économie et le droit tandis que son mari et leur fils, Keryann, se consacrent entièrement aux animaux. Keryann compte reprendre la ferme d’ici la fin d’année. L’élevage compte environ deux cents moutons, quatre chiens de troupeaux, dix-sept porcelets, une poule et quelques chiens et chevaux de pension.

Éric, Valérie et Keryann Sil.

« On aurait pu passer à l’industriel, mais ce n’est pas notre philosophie , confie Valérie. Notre intérêt est d’élever les animaux le plus naturellement possible. » Tous les animaux qu’ils élèvent à la ferme le sont en plein air et ont le label bio.

Actuellement, le troupeau de moutons pâture sur une parcelle de blé d’un céréalier bio à vingt minutes de la ferme. « Les brebis ne sont jamais si bien que quand elles sont dehors », se réjouit Valérie. Le parc des moutons, entouré d’un filet électrique, est installé sur une immense plaine où l’on voit, au loin, des éoliennes. Aux endroits où les moutons sont passés, l’herbe est courte et régulière comme après un passage de tondeuse, tandis que dans le champ voisin, les plantes poussent à des hauteurs différentes. « Le pâturage favorise la biodiversité et empêche que les plantes invasives ne se développent trop vite », explique Éric. De surcroît, les excréments des bêtes fonctionnent comme un engrais naturel et enrichissent les terres en minéraux naturels.

Sébastien salue le bélier à l’arrivée sur la parcelle. « Il faut parler aux animaux, ils comprennent les différentes intonations de voix. »

En arrivant à la parcelle, Sébastien, le stagiaire, caresse les animaux et les embrasse. Les bergers doivent y passer trois à quatre fois par jour. Les brebis étant enceintes, elles doivent être bien surveillées. Lorsqu’elles veulent se gratter le dos, elles se roulent par terre et n’arrivent plus à se retourner. « Si, de loin, je vois une bête avec les quatre pattes en l’air, je cours », assure Sébastien. Dans ces cas-là, il faut agir vite, car la bête pourrait asphyxier sous son poids en moins de deux heures.

Dans un élevage de plein air intégral, les moutons passent toute l’année dehors. « S’il fait très froid, on s’adapte pour que les bêtes puissent s’abriter. On installe les parcs près des bois pour qu’elles soient protégées du vent », explique Valérie. Normalement, ils n’ont pas besoin de nourrir les moutons, qui sont changés de parcelle avant d’arriver à court de pitance. Il leur arrive toutefois de compléter la nourriture des moutons par des aliments bio, dans les mois de l’année où la végétation est plus faible. Après l’hiver, les bergers ont des contrats d’écopâturage. Ils passent avec leurs troupeaux sur des parcelles classées Espaces naturels sensibles (ENS) ou Natura 2000 du département de l’Essonne.

Valérie donne le biberon à sept agneaux abandonnés par leur mère.

Dans ces cas, Valérie fait la transhumance avec les chiens, « parce que mon mari n’est pas assez patient ». Sur les parcelles de destination, ils installent un parc d’un hectare entouré de filets électriques. « Les filets y sont pour la sécurité des animaux. On veut empêcher les brebis de passer sur des champs traités et éviter que les brebis n’aillent sur la route », explique Valérie. Une fois les brebis déplacées, Eric les surveille et dort dans un van sur place. « Il faut avoir un tempérament de nomade. On est sur le terrain toute l’année, constate le berger. Généralement, je me trouve à entre quinze et quarante kilomètres de chez moi et il y a une soixantaine de kilomètres entre le point de départ en mars et le point d’arrivée en automne. » Il confie entre deux cris de coq : « Ce que j’adore, c’est la symbiose avec les animaux et le territoire. »

« Après avoir vu vos cochons, je vais remanger de la viande »

Rester au rythme naturel des animaux est le leitmotiv de la ferme de Beaumont. Selon Valérie, il arrive que des visiteurs viennent à la ferme et disent : « Après avoir vu vos cochons, je vais remanger de la viande. » Keryann souligne que les clients viennent à la ferme car ils sont à la recherche d’une viande qui ait le même goût que celles qu’ils ont eu chez leurs grands-parents. L’essentiel de leurs ventes ont lieu directement à la ferme, sans intermédiaire. Leurs produits ont eu tellement de succès à la fin de l’année 2020 qu’il ne leur reste plus un pot de pâté.

« On élève vingt cochons par année. En général, ils restent six-huit mois sur une parcelle, puis on tourne le pâturage et on fait un vidage sanitaire pour garder un bon équilibre. Finalement, on ressème du trèfle, du radis, des petits pois et de la bourrache », explique Valérie Sil.

L’abattage de ses animaux demeure l’une des préoccupations majeures de Valérie. Elle condamne le manque de transparence dans les abattoirs en Île-de-France. « On aimerait que les animaux soient respectés jusqu’à la mort, soupire-t-elle. « Mais dans les grands abattoirs, il règne un esprit de productivité. » Elle souhaite la mise en place d’abattoirs mobiles.

À la fin de la journée, Valérie appelle les agneaux abandonnés par leur mère à qui elle donne le biberon. Ils la suivent comme ils suivraient leur génitrice et tirent impatiemment sur les biberons. Elle confie en souriant : « Quand mon fils reprendra la ferme, je ne pourrai pas lâcher comme ça, l’élevage est une passion. »


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