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ReportageLuttes

Dans la Drôme, Vinci veut saccager des terres agricoles

Denis Hugues sur son exploitation en décembre 2022.

Dans la Drôme provençale, la famille Hugues se bat contre l’expropriation de ses terres bordant l’A7. Vinci veut y construire un échangeur autoroutier, alors que seuls 21 km séparent les deux sorties voisines.

Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme)

Les vignes et les céréales de cette famille d’agriculteurs drômois côtoient l’autoroute. En 1968, l’extension de l’A7 a divisé leurs terres en deux parties. Jean-Louis Hugues avait 27 ans. Depuis, le bruit des véhicules et les odeurs des gaz d’échappement accompagnent le travail des cultivateurs.

Le fils, Denis, est désormais en charge de l’exploitation. Pour passer d’un côté à l’autre de ses terres, il doit emprunter une petite route, régulièrement inondée, sous le pont de l’autoroute.

Depuis plusieurs années, des rumeurs courent sur la construction d’une sortie d’autoroute entre Bollène et Montélimar, à Saint-Paul-Trois-Châteaux. « On n’y croyait pas, se rappelle Solange Hugues, la mère de Denis. Les deux sorties sont espacées de 21 kilomètres seulement. » À l’hiver 2020, Vinci a lancé une concertation.

Jean-Louis Hugues a découvert l’emplacement du projet avec une image aérienne publiée sur le site internet de Vinci à l’occasion de la concertation publique. © Anouk Anglade / Reporterre

La sortie d’autoroute serait placée sur une parcelle cultivée et l’une des rares irriguées appartenant à la famille Hugues. Enclavés entre l’autoroute A7, les bretelles du nouvel échangeur et le péage, vingt hectares de leurs terres deviendraient inexploitables. L’équivalent de 28 terrains de foot. La famille perdrait ainsi plus de 50 % de la superficie de son exploitation de 35 hectares. 

Cinq générations dans une vallée en pleine artificialisation

La famille Hugues cultive vignes, semences et lavandin depuis cinq générations. Depuis cinq générations, ses membres observent le bétonnage de la vallée du Rhône et subissent l’artificialisation des sols. En 1948, le canal de dérivation Donzère-Mondragon amputait une partie de leurs terres. Puis vint l’autoroute en 1968.

Dans les années 1980, la centrale nucléaire du Tricastin a transformé le paysage économique de la région. Il y a un an, l’extension d’une zone d’activités les a privé de 14 hectares. Désormais, le projet d’échangeur met en péril la pérennité de leur exploitation. 

En 1968, l’extension de l’autoroute A7 a divisé les terres de la famille Hugues. © Anouk Anglade / Reporterre

Leur maison, une ancienne bâtisse de pierre au style provençal achetée par la famille dans les années 1930, est attenante à leurs champs. C’est ici qu’ils vivent et stockent leur matériel agricole. Assise à la table de sa cuisine, Solange lance un regard par la fenêtre : « Si le projet a lieu, la ferme ne va plus ressembler à rien. » Aucune compensation financière ne pourra arranger leur situation. « Il n’y a plus de terres par ici, tout disparaît », regrette Denis. 

« Ils font comme si tout était déjà joué

La famille d’agriculteurs n’a jamais été contactée par Vinci. Les Drômois ont découvert l’emplacement du projet par voie de presse et avec une image aérienne trouvée sur le site internet du géant autoroutier. « On est au courant de rien, soupire Denis. On ne nous a jamais consultés, alors qu’ils font comme si tout était déjà joué. »

Denis et ses parents Jean-Louis et Solange Hugues sont mobilisés aux côtés d’une association d’opposants au projet. © Anouk Anglade / Reporterre

Depuis l’annonce du projet, des élus locaux proposent d’installer un parking de covoiturage à proximité du futur échangeur ou encore de créer un nouveau bassin de rétention d’eau. Les agriculteurs se demandent combien de terres ils vont devoir abandonner.

Pour obtenir des informations, ils ont organisé, avec l’association d’opposants au projet Vivre, respirer, se déplacer en Tricastin, des rendez-vous avec les élus locaux. Ils se sont également procuré des renseignements en égrenant bulletins municipaux et lettres d’informations.

Une concertation courant 2023

Si la concertation a déjà eu lieu, l’enquête d’utilité publique, elle, toujours pas. Elle est annoncée courant 2023, mais Vinci n’a pas encore communiqué de date. Dans l’hypothèse où l’opération d’aménagement serait reconnue d’utilité publique, alors les propriétaires des terres pourraient être expropriés. En attendant, rien n’est joué.

Pourtant, l’échangeur est déjà utilisé comme argument afin de vendre les terrains de la zone industrielle voisine et depuis octobre, un hôtel Ibis avec piscine est en cours de construction à proximité du futur échangeur.

Le 17 décembre à Saint-Paul-Trois-Châteaux, ils étaient une soixantaine à manifester à l’appel de la coalition nationale Déroute des Routes. © Anouk Anglade / Reporterre

Forts du soutien de la députée drômoise Marie Pochon et de plusieurs centaines d’opposants au projet, la famille Hugues garde espoir. « Face à des entreprises comme celle-ci, on le sait, c’est dur de lutter. Mais on va s’accrocher », assure, déterminé, Denis.

Samedi 17 décembre, ils étaient une soixantaine à manifester à Saint-Paul-Trois-Châteaux, à l’appel de la coalition nationale la Déroute des Routes. L’occasion pour la famille d’agriculteurs de ressortir les dizaines de pancartes restées entreposées dans leur hangar : « Non au gaspillage des terres », « 21 millions = 8 minutes »

Les opposants estiment le gain de temps potentiel que permettrait l’échangeur à ...8 minutes. © Anouk Anglade / Reporterre

Ils les avaient installées sur leur exploitation afin d’informer la population du projet en cours. Mais par deux fois, l’agriculteur a reçu des mises en demeure de la préfecture, lui imposant d’enlever ses pancartes sous peine d’une amende de 7 000 euros et 239 euros supplémentaires par panneau.

« Ce soir on rentre avec, mais on les ressortira pour la prochaine manifestation », annonce Denis, un gilet jaune floqué sur le dos. En attendant d’en savoir plus sur le futur de leur exploitation, les agriculteurs continuent de se mobiliser, bien déterminés à continuer de travailler la terre de leurs ancêtres. 



L’utilité de ce projet d’échangeur autoroutier, dont le coût est estimé à 21 millions d’euros et financé en partie par la collectivité, pose question. « Le gain de temps pour les utilisateurs de l’autoroute est estimé à 8 minutes maximum », dit la députée Marie Pochon, opposée au projet.

L’une des motivations pourrait être la potentielle implantation de deux nouveaux réacteurs de type EPR2 sur la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux. La centrale du Tricastin est l’un des lieux d’établissement possible de deux des six EPR2 qui devraient être implantés par paire en France.

« C’est difficile de voir l’utilité de cette sortie »

Dans l’objectif que leur région soit choisie, les élus locaux lancent des actions de lobbying depuis presque deux ans. En février 2021, afin de convaincre EDF (le maître d’ouvrage), 33 élus de la Drôme, de l’Ardèche, du Vaucluse et du Gard (dont le maire de Saint-Paul-Trois-Châteaux et Marie-Pierre Mouton, présidente du conseil départemental de la Drôme) ont remis un courrier au président d’EDF.

Dans leur argumentaire, ils mettent en avant « l’ouverture en 2025 d’un nouvel échangeur complet autoroutier (A7) Drôme provençale aux abords du site ». Le projet autoroutier permettrait-il d’appuyer le lobbying des élus ? « C’est difficile de voir l’utilité de cette sortie, confie la députée Marie Pochon. On se pose évidemment des questions sur ce qui peut motiver de tels investissements. »

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