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Dans les campagnes, les destructions contre la chasse se multiplient

Depuis le deuxième confinement et la dérogation obtenue par les chasseurs pour pratiquer leur « loisir », les gestes de destruction de leur matériel se multiplient dans les campagnes. Reporterre a suivi deux de ces « promeneurs » engagés.

  • Nord de la France et Meuse, reportage

Un dimanche de fin décembre, dans le nord de la France. Il est 9 heures du matin, le soleil se lève doucement et inonde les plaines d’une lumière pâle. Sur les chemins, les rares promeneurs se hâtent. Autour d’un bois longeant la plaine, un rassemblement de 4X4 et de gilets orange fluo attirent tous les regards. « C’est les chasseurs, ils vont commencer leur battue », explique Bastien, dont le prénom a été modifié à sa demande. Il est promeneur et il aime photographier les animaux qu’il rencontre au cours de ses balades. Mais, depuis quelque temps, les photos ne sont plus le seul but de ses sorties matinales.

Avec l’annonce du second confinement, pendant lequel les chasseurs ont obtenu le droit de profiter seuls de la nature, les promenades de Bastien se sont transformées en véritables opérations clandestines. « J’ai décidé que ça avait assez duré. On ne peut plus vivre dans la peur de prendre une balle », dit-il fièrement. Dans son sac à dos, sous un petit morceau de toile sombre, une lame affûtée attend son heure. « C’est une petite scie », un outil qu’il destine aux équipements des chasseurs, qu’il trouve au fil de ses promenades. « Je prévois rarement, en général je tombe dessus par hasard », raconte-t-il. Mais il reste aux aguets. Derrière les arbres, Bastien aperçoit une masse rouge le long d’un arbre : c’est un agrainoir, rempli de grains de maïs pour attirer les sangliers. « Celui-là, ils ont déjà eu des frais dessus ! lance-t-il en rigolant, mais ils le réparent à chaque fois. » Et aujourd’hui, pas question d’y toucher. « À force de m’en prendre plusieurs fois au même matériel, ils finissent par poser des pièges photographiques, donc je fais plus attention. » Au loin, un premier coup de carabine vient briser l’immobilité du paysage gelé. « En plus, les chasseurs ne sont pas loin. » Quelques centaines de mètres plus avant, Bastien fait demi-tour : la balade se termine. « On va dans leur direction, ce n’est pas très prudent, explique-t-il. Et puis, je préfère me promener seul, c’est plus discret. »

« J’ai éventré la cage pour les faire sortir » 

François, également un nom d’emprunt, préfère quant à lui s’en prendre à un type de matériel bien précis : « Depuis que je me balade en forêt, je détruis systématiquement les pièges que je découvre », raconte-t-il. Promeneur, comme Bastien, il s’oppose à la chasse depuis une trentaine d’années. Depuis quelque temps pourtant, ses actions sont limitées : « Entre le confinement et le couvre-feu, ça devient compliqué de sortir de chez soi. Ce n’est pourtant pas l’envie qui me manque », avoue-t-il. Au cours de ses sorties, il a eu affaire à toutes sortes de pièges : pour les oiseaux, les renards… Mais un l’a particulièrement marqué : « C’était une cage à corbeaux. »

Installée au milieu d’un champ, la cage contenait plusieurs corbeaux.

Un été, alors qu’il se promenait à moto, François a aperçu une grande cage, posée au milieu d’un champ. « Les oiseaux sont attirés avec des graines. Une fois entrés, ils sont piégés. » À l’intérieur de la cage se trouvaient de nombreux corbeaux, dont certains incapables de voler. « Ils étaient sept ou huit, sans compter les cadavres au sol, se souvient François, c’était un vrai mouroir. » Alors, il est intervenu. « J’ai éventré la cage pour les faire sortir, et ai emmené le plus faible à un refuge pour le faire soigner », raconte-t-il. Quelques semaines plus tard, le corbeau recouvrait sa liberté.

Si François est limité dans ses actions du fait du couvre-feu, d’autres prennent la relève. Le 24 janvier, le naturaliste Pierre Rigaux a partagé sur les réseaux sociaux une vidéo, où l’on voit deux adolescents porter secours à un blaireau pris dans un piège posé par un chasseur.

Pour François, cette augmentation des actes antichasse n’a rien d’étonnant. « Les chasseurs ont tout fait pour se mettre les gens à dos », dit-il, évoquant notamment la chasse à courre, toujours d’actualité dans sa région. Pour autant, il ne trouve pas toutes ces actions utiles ou efficaces : « Renverser un mirador n’avance à rien : il est vite remis à sa place, et des animaux continuent de mourir », estime-t-il.

C’est pourtant ce type de dégradations dont a fait les frais la société de chasse de Dieue-sur-Meuse, en novembre 2020. Alors qu’il inspectait les bois de la commune comme il le fait régulièrement, Daniel Guillaume, président de la société de chasse, a constaté qu’un de ses miradors avait été renversé et endommagé. « C’était la première fois que ce genre de chose se produisait, très peu de temps après la réouverture de la chasse », dit-il à Reporterre. De retour sur place deux mois plus tard, le poste surélevé porte toujours les traces du passage de ses assaillants : des planches, plus claires, ont remplacé celles qui avaient été cassées ; les filets déchirés ont, eux, été rafistolés « du mieux qu’on pouvait », explique le chasseur. « Ils l’avaient fait dévaler sur plusieurs dizaines de mètres, dans les broussailles. » Avec l’aide de quelques autres chasseurs, le mirador a été remis à sa place, et réparé. « Mais le temps qu’on regagne le chemin, un second mirador avait été renversé ! » grogne-t-il.

Depuis la piste cyclable récemment inaugurée, le mirador est facilement repérable.

Des actes qui sont, selon lui, dus à la récente inauguration d’une piste cyclable traversant « leurs » bois, et exposant les miradors à la vue des promeneurs. « Avant, personne ne passait par là. Mais depuis cette année, c’est une vraie autoroute », ajoute-t-il. Alors, pour éviter les récidives, le matériel est désormais surveillé par plusieurs caméras cachées dans les arbres, et l’information a été publiée dans les médias locaux. « Depuis, on n’a plus de problème », assure-t-il. Mais ces actes ne sont pas les seuls à inquiéter le chasseur. « Les baraques de chasse des alentours sont visitées. On se fait piquer du matériel, surtout nos bouteilles de gaz », assure-t-il.

« Je ne me suis jamais fait prendre, je n’ai même jamais été inquiété »

Face à ce qu’elle appelle le « chasse-bashing », la Fédération nationale des chasseurs (FNC) a mis en place une cellule de signalement de ces actes. « Sans que je les prévienne, la fédération [de chasse] m’a appelé et m’a posé tout un tas de questions, se souvient Daniel Guillaume. Ils voulaient que je porte plainte, mais je ne l’ai pas fait. »

Sur le site de la FNC, une section est dédiée à la signalisation des actes malveillants.

Ainsi depuis septembre, une quarantaine de dégradations matérielles ont été signalées à la Fédération. « Les plus visés sont les miradors et les véhicules des chasseurs », dit Sophie Baudin, responsable des relations presse à la FNC. « Récemment, on nous a signalé six véhicules de chasseurs sabotés durant l’action de chasse dans le Morbihan. » À cela s’ajoute une dizaine de plaintes pour violences physiques, et de nombreuses plaintes pour violences verbales, notamment sur les réseaux sociaux. Mais les auteurs sont rarement identifiés. Quant aux peines encourues, elles peuvent s’élever à « sept ans d’emprisonnement et 100.000 € d’amende » en cas de circonstances aggravantes, comme « la dissimilation du visage ou l’infraction en réunion », précise Sophie Baudin. Des conséquences qui n’inquiètent pas spécialement les deux promeneurs. « J’avoue ne pas trop y penser », dit Bastien. « Je ne me suis jamais fait prendre, je n’ai même jamais été inquiété. Ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer », assure François. Ce n’est pas le cas de tout le monde : début janvier, un homme a été condamné à six mois de prison pour avoir empêché une battue administrative, en venant même aux mains avec un chasseur. Alors, pour ces promeneurs, la prudence reste de mise : « C’est sûr qu’il ne faut pas en parler à n’importe qui, et il faut agir à l’abri des regards ! »

Un piège à corbeaux.

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