Décrocheurs de portraits : une série de relaxes légitime la lutte pour le climat

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Climat Libertés LuttesCes dernières semaines, la justice a relaxé quatre fois des « décrocheurs » de portraits d’Emmanuel Macron, notamment au nom de la défense de la liberté d’expression. Après des condamnations à des amendes avec sursis, les militants climatiques se réjouissent de ce nouvel intérêt des juges pour le caractère politique de leur action. Ils attendent maintenant une décision de la Cour de cassation, qui fera jurisprudence.
Une, deux, trois, quatre… Les décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron énumèrent avec bonheur les relaxes judiciaires. Ces militants, qui avaient choisi de s’emparer des affiches présidentielles pour alerter sur l’inaction climatique du gouvernement, sont en procès dans une trentaine de villes en France depuis le mois de mai 2019. Jusqu’ici, ils avaient été habitués aux séries de condamnations à verser plusieurs centaines d’euros, le plus souvent avec du sursis.
Mais depuis quelques semaines, le vent tourne en leur faveur. À Auch (Gers), Valence (Drôme) et Strasbourg (Bas-Rhin), dix décrocheurs de portraits ont été relaxés par les tribunaux, entre le 27 octobre et le 5 décembre. « Quand on voit ces trois relaxes en un mois, on se dit qu’il se passe quelque chose. Il y a une porte qui s’ouvre pour eux », estime Me Thomas Fourrey, avocat notamment des décrocheurs de Lyon et de Valence.
Sur ces trois relaxes, deux ont été motivées par la défense de la liberté d’expression, à Auch et Strasbourg [1]. Ce motif est régulièrement invoqué dans les récents procès de décrocheurs, principalement du fait que la jurisprudence a bougé sur cette question au début de l’année.
En effet, dans un arrêt du 26 février, la Cour de cassation a estimé que l’action d’une militante Femen, qui s’était exhibée dans un musée et avait dégradé une statue de Vladimir Poutine pour protester contre les agissements de celui-ci, s’inscrivait dans une démarche de protestation politique. « Son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression », avait poursuivi la Cour. Constatant ce changement dans la jurisprudence, les avocats de décrocheurs ont donc été de plus en plus nombreux à plaider l’exercice de cette liberté.
Des audiences plus longues et des juges plus intéressés
Deuxième changement en date : les juges semblent désormais davantage intéressés par ces affaires de décrochages de portraits. « On s’était préparés à ne pas être forcément entendus, raconte Caroline, une des décrocheuses d’Auch. Le procès précédent, à Nantes (Loire-Atlantique) [le 3 septembre 2020], avait été expéditif. » Pourtant, dans le Gers, les cinq militants ont été auditionnés « très longuement » par le juge, tout comme les témoins (scientifiques, politiques…).
Le juge a particulièrement insisté sur le fait que tous les portraits d’Emmanuel Macron avaient été brandis lors d’une manifestation, durant le G7 à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). « Il y avait de vraies circonstances politiques qui faisaient que notre action était justifiée », poursuit Caroline.

« Les agissements des prévenus (…) relevaient à l’évidence de l’expression politique et militante dans le cadre d’un débat dont il ne peut sérieusement être contesté qu’il était d’intérêt général », a indiqué de son côté le tribunal de Strasbourg pour justifier la relaxe de deux décrocheurs. À Valence, même les réquisitions du procureur sont restées faibles : 100 euros d’amende avec sursis — la plus faible réquisition jusqu’ici. Et là encore, la relaxe a finalement été prononcée. « Ça nous donne une légitimité, ça prouve qu’en tant que citoyen, on a le droit de dire non, sourit Léa, une des décrocheuses de Valence. Ce sont des décisions importantes qui font du bruit dans le monde de la justice. »
Une forte mobilisation autour de ces procès
Faire du bruit, c’est bien l’objectif principal des décrocheurs en procès. En mai 2019, les militants de Bourg-en-Bresse (Ain) avaient ouvert le bal des audiences. « C’était le premier procès, il y avait eu une forte mobilisation », se souvient en souriant Anne-Sophie, une des prévenues. Outre un rassemblement de soutien, des débats, concerts et conférences avaient également été organisés à proximité du tribunal.
Des mobilisations similaires ont systématiquement eu lieu à chaque audience, dans chaque ville. Même en plein deuxième confinement, le 13 novembre à Valence, une centaine de personnes s’étaient réunies devant le tribunal pour soutenir les trois prévenues.
« À l’échelle locale, ces actions-là, ce sont des choses dont les gens parlent, relève Théaud, un des décrocheurs d’Auch. Depuis que j’ai fait ça, je ne vous raconte pas le nombre de personnes qui m’en parlent par semaine ! »

« L’un des intérêts de la tribune juridique que ces procès proposent est de pouvoir élargir le discours en atteignant des publics qui n’étaient jusqu’alors pas atteints par ce discours-là, parce que ces mouvements étaient moins médiatisés », analyse Maxime Gaborit, chercheur à l’université Saint-Louis de Bruxelles et membre du collectif Quantité critique, qui étudie les mouvements sociaux. Selon lui, ces procès sont également le moment de remettre au cœur de la question écologique « une forme de conflictualité » : « Cela permet de sortir de l’idée que l’écologie serait quelque chose d’unanimement partagée aujourd’hui, que tous les partis se seraient convertis à l’écologie, et que la question de l’écologie ne serait pas un champ de bataille », poursuit-il.
« On se demande où sont les priorités du ministère de la Justice »
Les décisions de relaxes s’enchaînent donc… mais les appels du parquet également. Que ce soit à Auch, Valence ou Strasbourg, obstinément, le parquet a toujours contesté la décision des tribunaux. À Lyon, en septembre 2019, deux décrocheurs de portraits avaient été relaxés, cette fois au nom de l’état de nécessité. La décision avait fait grand bruit, car elle reconnaissait que l’action illégale d’un vol d’affiche présidentielle était légitime, puisqu’elle alertait l’opinion pour empêcher la réalisation d’un dommage plus grave : le changement climatique. « On ne s’y attendait pas, c’était vraiment une énorme surprise pour nous et une décision historique », se rappelle Fanny, une des prévenues.
Mais là encore, le parquet avait fait appel. Depuis, Fanny et son ami Pierre ont été condamnés en appel à verser 250 euros. « C’est révoltant, quand on voit l’énergie dépensée pour un simple décrochage de portrait, on se demande où sont les priorités du ministère de la Justice », regrette Fanny.
Les deux décrocheurs lyonnais ont donc décidé de se pourvoir en cassation [2]. « Même s’ils ont perdu en appel, le changement climatique est reconnu comme un danger grave et évident dans le jugement », rappelle Me Fourrey. Et de rajouter : « On est en train de créer la jurisprudence. »
Tous les espoirs des décrocheurs reposent donc sur la future décision de la Cour de cassation. À l’heure actuelle, aucune date d’audience n’est encore fixée — cela pourrait être dans plusieurs mois, voire plusieurs années. Mais les décrocheurs sont patients. Et surtout, ils espèrent que cette vague de relaxes va se poursuivre. Tous les regards vont désormais se porter vers la capitale. Le délibéré du procès des militants parisiens — où la liberté d’expression avait là aussi été plaidée — sera rendu jeudi 10 décembre. Quasiment cinq ans jour pour jour après l’adoption de l’accord de Paris sur le climat.