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ReportageClimat

Depuis un siècle, le mont Aigoual observe le changement climatique

Depuis 1894, l’observatoire du mont Aigoual, dans les Cévennes, récolte des données sur l’évolution du climat. Des éléments précieux, parmi les plus fournis au monde. Mais ses techniciens météo vont bientôt quitter les lieux.

Mont Aigoual (Lozère, Gard), reportage

Au bout de la crête pelée, une imposante bâtisse en pierre grise campe sa solide silhouette au milieu des pâtures dorées. Du haut de ses 1 567 mètres, cette emblématique forteresse du mont Aigoual surplombe les Cévennes environnantes. Depuis 1894, elle accueille une des plus vieilles stations météorologiques de l’Hexagone. Et abrite aujourd’hui un trésor scientifique : une série de relevés climatologiques parmi les plus longues du monde.

Technicienne à Météo-France, Chantal Vimpère nous guide dans le dédale des couloirs, jusqu’à une petite pièce à l’odeur de vieux papier. Du sol au plafond, les murs sont couverts d’archives. Avec des gestes délicats, elle ouvre un registre aux pages jaunies : « Température, vent, humidité, brouillard, pluie, neige… tout est compilé depuis 127 ans, sourit la sexagénaire, également cheffe de l’observatoire. Tout ça permet de connaître l’évolution du climat. » Le site a été reconnu par l’Organisation météorologique mondiale comme une station représentative du climat planétaire.

Chantal Vimpère, technicienne Météo-France, cheffe de l’observatoire, dans la salle des archives. ©David Richard / Reporterre

Prévoir le temps

L’histoire a commencé à la fin du XIXe siècle, quand l’ingénieur forestier Georges Fabre lança un ambitieux projet de reforestation de l’Aigoual. En quelques années, 68 millions d’arbres furent plantés sur les flancs autrefois ravinés de la montagne. Pour assurer le suivi du reboisement, M. Fabre fit bâtir un centre d’observation. Dès 1894, des familles de forestiers s’y établirent. Non contents d’arpenter les jeunes forêts, ils compilèrent toutes les données pouvant servir à la poursuite — et à la réussite — du projet… dont leurs observations météorologiques.

« Connaître la pluviométrie et l’enneigement, c’est important quand on veut faire pousser des plantes », dit Chantal Vimpère. Ces données avaient un autre intérêt pour la science météorologique naissante : « Pour prévoir le temps, on avait besoin de comprendre comment fonctionnait l’atmosphère, explique la technicienne. Les mesures en altitude, où la pression et la température sont plus basses, étaient de ce point de vue très précieuses. »

La station météorologique du mont Aigoual. ©David Richard / Reporterre

En 1900, un des forestiers en poste comprit, à l’aide des mesures effectuées à l’Aigoual, qu’un épisode pluvieux particulièrement intense se préparait. Il se hâta de prévenir les habitants alentour, qui fuirent : la « crue du siècle » ne causa ainsi que peu de pertes humaines, alors qu’elle emporta l’entièreté du cimetière de Valleraugue, un village niché au creux de la vallée.

La station météorologique sur le mont Aigoual, culminant à 1 567 mètres. ©David Richard / Reporterre

« Tout ceci est précieux »

Depuis 1943, et la reprise du site par Météo-France, des équipes de météorologistes se sont succédé à l’observatoire, veillant à l’année sur la station cévenole. Chantal Vimpère et Christian Pialot font partie de ceux-là : « L’hiver, nous nous retrouvons parfois sous des mètres de neige, ou plongés dans un épais brouillard, ou encore avec des rafales de plus de 200 km/h », raconte ce dernier, technicien de maintenance. Ces conditions difficiles obligent à un entretien constant et minutieux du matériel.

Salle des archives où sont conservés les relevés météo depuis 1895. ©David Richard / Reporterre

Avec l’essor des satellites, des ballons-sondes et des stations automatiques, les observatoires de ce type ont pourtant peu à peu fermé. Le centre de l’Aigoual est le dernier encore habité en France. « Le personnel s’est toujours battu pour préserver ce site, raconte Mme Vimpère. Nous sommes le vilain petit canard de Météo-France. » À la fin des années 1980, les météorologistes présents se sont mis à accueillir le public, bricolant une petite exposition sur la météo et le climat. Un succès, qui poussa l’État à maintenir des agents dans la forteresse.

Christian Pialot, technicien de maintenance Météo-France, responsable du centre de tests. ©David Richard / Reporterre

Une lutte et un travail de longue haleine qui ont porté leurs fruits scientifiques. Compilées, numérisées, l’ensemble des données collectées par des générations de forestiers et de météorologues dessinent un climat de plus en plus déréglé : « Depuis les années 1990, on constate clairement une augmentation des années plus chaudes que la normale », décrit Rémy Marguet, technicien météo. « On voit aussi des variations plus importantes d’une année sur l’autre, avec par exemple des mois de mai enneigés et d’autres secs et estivaux », complète Chantal Vimpère. Le premier semestre de l’année 2022 a ainsi été le plus chaud enregistré depuis le début des mesures ; il a dépassé la moyenne du XXe siècle de 3 °C.

Rémy Marguet, technicien Météo-France, animateur de l’exposition. ©David Richard / Reporterre

Les derniers agents

« C’est un observatoire du changement climatique, abonde Robert Vautard, climatologue amoureux du mont Aigoual. Avoir des mesures qui remontent aussi loin permet d’étudier les tendances climatiques, particulièrement sur les pluies et la neige. Tout ceci est précieux. » Un patrimoine exceptionnel pourtant menacé. Affectée par des coupes budgétaires successives, Météo-France s’est peu à peu désengagée du centre de l’Aigoual. Au 31 décembre 2023, la station sera totalement automatisée. Chantal Vimpère, Christian Pialot et Rémy Marguet sont les derniers colocataires de l’observatoire.

Chantal Vimpère, technicienne Météo-France, cheffe de l’observatoire. ©David Richard / Reporterre

Un crève-cœur pour ces trois hommes et femme météo, qui craignent également une baisse de la qualité des données climatiques : « L’hiver, avec la neige, le vent, le givre, des pannes ou des incidents peuvent être fréquents, explique M. Pialot. Aujourd’hui, je peux réparer dans la journée ; demain, les techniciens de maintenance devront faire une heure de route pour parvenir au site… si la route n’est pas barrée par des congères ou plongée dans le brouillard ! »

Gilles Berthézène, président de la communauté de communes qui a acquis le bâtiment. ©David Richard / Reporterre

Une nouvelle histoire devrait cependant débuter. La petite communauté de communes du Val d’Aigoual a en effet décidé de racheter le site, afin d’en faire un « centre d’interprétation des changements climatiques », selon son président, Gilles Berthézène. Sous les coups de marteau des maçons, la bâtisse est ainsi en train de se muer en musée. « Il n’y a pas d’autres centres de ce type en France, dédiés à la vulgarisation et la médiation sur le climat, alors que c’est un enjeu essentiel », poursuit l’élu, qui espère encore convaincre l’État de maintenir des agents pour assurer la médiation scientifique. « Faire un musée ici, c’est idéal, estime Robert Vautard. Le mont Aigoual a toujours été — et doit encore être — un poste d’avant-garde du changement climatique. » L’ouverture est prévue au printemps 2023.


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