Des écologistes en procès : « Les jets privés sont un caprice de milliardaire »

Douze militants d'Attac et d'Extinction rébellion étaient jugés le 31 août au tribunal judiciaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis). - © Scandola Graziani / Reporterre
Douze militants d'Attac et d'Extinction rébellion étaient jugés le 31 août au tribunal judiciaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis). - © Scandola Graziani / Reporterre
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Luttes JusticeDouze jeunes militants ont comparu devant le tribunal de Bobigny. On leur reprochait une action contre les jets privés. Un « caprice de milliardaire », justifient-ils. Le procureur a requis 90 jours-amende.
Bobigny (Seine-Saint-Denis), reportage
Elles et ils ont entre 20 et 34 ans. Douze militants d’Attac et d’Extinction rébellion (XR) étaient jugés jeudi 31 août au tribunal judiciaire de Bobigny, pour des actes commis il y a un an, lors d’une action de désobéissance civile contre les jets privés à l’aéroport du Bourget. La salle d’audience était froide, mal isolée, et surtout si petite qu’il a fallu ajouter un rang de chaises pour installer la douzaine de jeunes prévenus. « Il va falloir se dépêcher et essayer d’être bref, on a plein de dossiers aujourd’hui », a soupiré le président de la séance, agacé. Le ton était donné. Les faits ? Trente membres des deux organisations avaient investi en 2022 le terminal 1 de l’aéroport du Bourget pour dénoncer l’usage des jets privés par les « ultrariches » (milliardaires et hommes d’affaires). Ils avaient aspergé les murs de peinture rouge, et installé un immense compteur de CO2 pour matérialiser la forte empreinte carbone de ces avions. Le procureur a requis « quatre-vingt-dix jours d’amende à 15 euros ». Le délibéré sera rendu dans deux semaines.

Pour la grande majorité des militants, être jugé au tribunal était une première. Leurs visages juvéniles affichaient une expression d’intense concentration complètement dénuée d’angoisse. Pourtant, « d’habitude, nous sommes poursuivis en tant qu’association, mais nos militants ne sont pas visés individuellement. C’est l’une des premières fois pour Attac », a souligné Lou Chesne, porte-parole de l’organisation pour la justice sociale et environnementale. Les deux collectifs ont fait bloc pour préparer ce procès. Ils ont des avocats communs, et ne font pas de distinction entre les militants : « La justice fiscale défendue par Attac et les combats environnementaux de XR sont évidemment liés, donc ça nous paraissait logique d’avoir une défense commune. On sera soudés et solidaires jusqu’au bout », affirmait Louise qui fait partie des prévenus et est porte-parole de XR.
Lire aussi : Jets privés : des activistes bloquent l’aéroport du Bourget
Des convocations « truffées d’incohérence »
Quelques heures avant le procès, un rassemblement de soutien festif avait été organisé par Attac et XR en face du tribunal : l’occasion de refaire le point sur la pollution liée aux jets privés et se remémorer les faits qui sont reprochés aux activistes. Le 23 septembre 2022, la police était intervenue, envoyant presque la moitié des militants en garde à vue pendant près de trente heures. Concrètement, la plupart des jeunes sont poursuivis pour avoir tracé des inscriptions et des dessins avec de la peinture, causant des « dommages et dégradations légères » qui auraient entraîné des frais de nettoyage de 50 000 euros pour la société qui exploite le terminal. Certains sont aussi poursuivis pour avoir participé à une manifestation non autorisée, refusé de se disperser après plusieurs sommations, ainsi que pour entrave à la libre circulation des biens et des personnes dans le terminal.

Trois mois après, douze d’entre eux avaient reçu des convocations « truffées d’incohérence » souligne Me Jouany, une des trois avocats qui assurent leur défense. Hier, ils comparaissaient devant le tribunal sans trop savoir exactement ce qui leur est reproché ni ce qu’ils risquent, selon leur avocate : « On leur reproche des choses différentes alors qu’ils ont participé à la même manifestation. Même les plaignants sont différents : pour certains, c’est l’État, pour d’autres, c’est la société privée qui exploite le terminal de l’aéroport, pour d’autres encore, ce sont des personnes physiques… Et je ne parle même pas des peines encourues qui se situent dans une fourchette entre 1 500 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement. On n’y comprend rien ! » En raison de ces imprécisions, elle a demandé l’annulation des douze convocations.
Une demande aussitôt rejetée par le procureur de la République, qui a questionné, ironique : « Est-ce que vous insinuez que les prévenus n’auraient pas été en mesure de comprendre ce qu’on leur reproche ? À mon sens, aucun d’entre eux ne l’ignore. »

Une scientifique du Giec comme témoin
« Il peut y avoir des sujets clivants, mais les jets privés n’en font pas partie. C’est un caprice de milliardaire qui produit deux tonnes de CO2 par trajet. On avait de bonnes raisons de faire ce qu’on a fait, et d’ailleurs on a économisé 12 tonnes de CO2 en empêchant les gens de prendre leur jet », a assuré Lucie, militante à Attac et porte-parole d’Alternatiba Paris. Pendant tout le procès, les militants se sont évertués à démontrer la légitimité de leurs actions lors de longues déclarations rappelant l’urgence climatique et l’inaction du gouvernement. Pour appuyer leurs propos, deux scientifiques dont une corédactrice du rapport du Giec (Yamina Saeb) et un universitaire membre des Économistes atterrés (Dominique Plihon) sont venues témoigner à la barre.
« Bon, d’accord, prenez la parole, mais s’il vous plait, essayez de nous dire quelque chose qu’on ne sait pas ! » suppliait le juge, excédé par la longueur des démonstrations. Il lui arrivait d’ailleurs d’interrompre les prévenus pour recentrer le débat sur les faits reprochés en posant des questions auxquelles les militants répondaient inlassablement par « je n’ai rien à déclarer ».
« Combien de litres d’eau a-t-il fallu utiliser pour nettoyer la peinture ? »
Ce qui a fini par énerver le procureur... « Personne ne doute de la réalité climatique mais le débat n’est pas celui-ci. Il porte sur une série de délits que vous nommez “désobéissance civile” mais qui sont bien de délits ! » Il a regretté que les prévenus n’aient pas saisi l’occasion de ce procès pour s’exprimer sur les moyens utilisés pour défendre leur cause, et se confronter à leurs incohérences : « Par exemple, combien de milliers de litres d’eau a-t-il fallu utiliser pour nettoyer la peinture dont vous avez recouvert les murs ? » Sa remarque a provoqué l’hilarité générale de la salle. Après un rappel au calme, il a requis des amendes « pour la répression économique du délit économique qu’ils ont commis ».
« Ce procès est politique, donc nos choix de défense sont politiques, a lancé Me Boccara, un autre avocat. Si ces jeunes sont devant vous aujourd’hui, c’est parce qu’ils sont militants. Et quand vous jugez des militants, qu’on le veuille ou non, on juge la pratique de la liberté d’expression. Ce n’est pas neutre. » Les trois avocats ont plaidé unanimement la relaxe des douze prévenus.