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Des vélomobiles plutôt que des voitures électriques

Qu’elle soit thermique, hybride ou électrique, une voiture a une efficacité énergétique déplorable, rappellent les auteurs de cette tribune. Et une taxe sur les voitures lourdes ne suffira pas à résoudre cette question. Ne vaudrait-il pas mieux se tourner vers d’autres modes de transport, comme le « vélomobile », dont l’efficacité énergétique est 110 fois supérieure à celle d’une voiture ?

Frédéric Héran est économiste des transports et urbaniste à l’université de Lille. Aurélien Bigo est chercheur sur la transition énergétique dans les transports, École polytechnique.


Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre émises par les véhicules automobiles ? Pour respecter la stratégie nationale bas carbone que s’est fixée la France, les évolutions technologiques actuelles sont loin d’être suffisantes, d’autant que les voitures tendent à être de plus en plus lourdes.

Dans les années 1960, la « voiture moyenne » neuve ne pesait que 800 kilos. Elle n’a cessé ensuite de grossir, jusqu’à peser 1.250 kilos vers 2005. Puis son poids s’est stabilisé pour repartir à la hausse ces dernières années, avec les SUV, qui représentent aujourd’hui 39 % du marché, et les voitures électriques, dotées de lourdes batteries.

Quatre raisons peuvent être évoquées pour expliquer cette lourdeur : le désir de disposer d’espace pour transporter des personnes et des biens, de pouvoir rouler vite et en sécurité dans un habitacle bardé de renforts, de profiter d’éléments de confort (climatisation, lève-vitres électriques…) et de jouir d’un véhicule « qui en impose », l’automobile restant objet de projections imaginaires puissantes, que la publicité et le design ne cessent d’entretenir.

Taxer des véhicules de plus en plus lourds, une solution peu efficace

D’où la proposition de France Stratégie (l’organisme d’expertise et de prospective de l’État), en juillet 2019, de fonder le bonus-malus sur le poids des véhicules et plus seulement sur les émissions de CO2. L’idée a ensuite été reprise, à quelques détails près, par plusieurs ONG (le Réseau Action Climat (RAC) France, le WWF…), par la Convention citoyenne pour le climat, par le Haut Conseil pour le climat, par le Forum vies mobiles.

En septembre 2020, le ministère de la Transition écologique a voulu inclure cette mesure dans le projet de loi de finances pour 2021, mais elle a été aussitôt écartée par les députés, au motif qu’elle pénaliserait l’industrie automobile française. Le gouvernement a finalement proposé d’introduire un malus pour les véhicules de plus de 1,8 tonne. Inconvénient : son application concernerait moins de 2 % des ventes et exonérerait les lourdes voitures électriques.

Mais, même avec un seuil plus bas, à 1,3 ou 1,4 tonne, comme le suggéraient certains instituts évoqués plus haut, cette mesure règlerait-elle vraiment le problème ? Les véhicules sous cette limite sont-ils pour autant vertueux, alors qu’ils ont de multiples externalités négatives (insécurité, espace occupé en ville, pollution à la fabrication, épuisement des ressources naturelles, etc.) ? D’autant plus que leur confort est de plus en plus dénoncé comme superflu, qu’ils transportent le plus souvent une ou deux personnes et que leur prestige s’étiole.

Les « modes intermédiaires » pour circuler plus écolo

Même allégée, une voiture, qu’elle soit thermique, hybride ou électrique, demeure lourde pour ce qu’elle transporte, soit à plus de 90 % les matériaux qui la constituent et non des personnes ou des charges. Autrement dit, son efficacité énergétique par personne transportée est déplorable, puisqu’elle est 110 fois moindre que celle d’un « vélomobile » (tricycle ou quadricycle caréné, pouvant transporter 1 à 2 personnes protégées des intempéries).

Nous proposons de qualifier d’« intermédiaire » tous les véhicules de moins de 500 kilos entre le vélo classique et la voiture. En voici une typologie :

  • Les VAE (vélos à assistance électrique) sont des vélos qui bénéficient d’une assistance limitée à 25 km/h et à 250 watts ;
  • Les speed pedelec sont des vélos électriques rapides pouvant rouler jusqu’à 45 km/h, à ranger dans la catégorie des cyclomoteurs ;
  • Les vélos spéciaux rassemblent les cargocycles (permettant de transporter des charges jusqu’à 300 kilos), les vélos couchés (avec lesquels le cycliste pédale en position semi-couché), les vélomobiles, les tandems, les vélos pliants, les vélos-voitures et divers engins hybridant ces solutions (des salons leur sont même consacrés) ;
  • Les microvoitures sont des sortes de quads électriques, sans pédale, à une place. Comme les suivants, ce sont des modes dits passifs (a contrario des modes de déplacement dits actifs, qui font appel à la force motrice humaine, tels le vélo, la marche…) ;
  • Les voiturettes (ou voitures sans permis), transportent deux personnes, ont un habitacle fermé, une vitesse limitée à 45 km/h et un poids inférieur à 425 kilos ;
  • Les deux-roues, tricycles ou quadricycles motorisés, protégés bénéficient d’un toit ou d’un habitacle fermé ; ils comportent en général deux places et nécessitent le permis moto ;
  • Enfin, les mini-voitures (par exemple, la Twizy, de Renault, pouvant rouler à 80 km/h) ont une puissance limitée à 15 kW, un poids à vide inférieur à 450 kilos, sont biplaces et nécessitent un permis B1.
Les modes intermédiaires, autant d’alternatives à la voiture.

Parmi le monde foisonnant des modes intermédiaires, les seuls qui se développent déjà rapidement sont les vélos électriques et les vélos spéciaux. De nombreuses raisons l’expliquent : la montée dans la population du désir d’être plus actif dans ses déplacements, les difficultés économiques qui amènent certains à renoncer à la seconde voiture, la sensibilité croissante aux questions environnementales, le souhait de maîtriser la réparation de son véhicule, le désir d’une vie plus sobre… Les voiturettes connaissent aussi un certain succès, mais souffrent d’une piètre image, car toujours comparées à la voiture.

Mais qui connaît vraiment ces types d’engin et qui les utilise ? Qui sait, par exemple, que les modes intermédiaires permettent de franchir la plupart des distances domicile-travail actuelles (d’une dizaine de kilomètres en moyenne — données 2008) ? Qu’un vélomobile a déjà atteint une vitesse record de 144,17 km/h, sans assistance électrique ? Que, pour rouler à 25 km/h sur terrain plat, un cycliste dépense deux fois moins d’énergie en vélomobile qu’avec un vélo classique ? Mais un vélomobile peut-il vraiment remplacer une voiture ? Les débats sont ouverts.

Un malus pour toutes les voitures, et un bonus pour la locomotion « active »

Il existe des centaines de véhicules de toutes sortes, beaucoup moins lourds et donc moins consommateurs de ressources et moins émetteurs de gaz à effets de serre que les voitures. Des milliers d’ingénieurs s’y intéressent et inventent actuellement les solutions de mobilité individuelle de demain. Le marché mondial est encore embryonnaire. Il y a là, pour la France, une occasion à saisir de se positionner comme leader de ces véhicules écologiques, peu chers et répondant à la majorité des besoins de déplacement. Avec, à la clé, des milliers d’emplois dans l’industrie. Le plan de relance du gouvernement dans le contexte de la pandémie de Covid-19 pourrait contribuer sans attendre à structurer ce nouveau secteur.

Toutes les voitures, même électriques, devraient subir un malus, et les modes « actifs » devraient bénéficier d’un bonus sous forme de financement renforcé des espaces publics, des aménagements, des véhicules ou des services dont ils ont besoin.


Cette tribune a été initialement publiée sur le site The Conversation.

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