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ReportageChasse

Entre chasseurs et écologistes, « un dialogue est possible »

Le 7 octobre 2023 à l’université des ruralités d’Europe écologie les Verts, à Die dans la Drôme.

Écolos et chasseurs peuvent discuter… à condition de mettre les a priori au placard. C’est l’enseignement d’un débat entre élus EELV et le président des chasseurs de la Drôme.

Die (Drôme), reportage

Le spectacle a fait salle comble. Pensez : des écolos en débat avec le président de la Fédération des chasseurs de la Drôme, on s’attendait à des échanges musclés. Finalement, le débat organisé samedi 7 octobre dernier lors de l’université des ruralités des Écologistes (ex- Europe Écologie-Les Verts), à Die dans la Drôme, a été vif, animé, mais est resté cordial.

« Il y a des points de divergence au niveau national, mais au niveau local, on travaille presque au quotidien ensemble », a introduit l’animateur du débat, François Thiollet, élu EELV du Loir-et-Cher. Les discussions ont donné quatre pistes pour apaiser le débat et le rendre, enfin, fructueux pour la nature et les habitants des territoires ruraux.


1 - Sortir des clichés et des « dogmatismes »

Conseillère départementale EELV dans l’Aude, Kattalin Fortuné est élue d’un territoire très rural. « Pendant la campagne électorale, la première chose que les gens me demandaient, c’est si je suis végétarienne et antichasse », se rappelle-t-elle. De chaque côté, les représentations sont souvent caricaturales. « Cela rend notre discours inaudible », regrette l’élue de terrain.

Charles Fournier, député d’Indre-et Loire et auteur de la proposition de loi sur le dimanche sans chasse, en a fait les frais. « Je posais un débat : on pouvait discuter de demi-journée, d’un autre jour. Mais il a été impossible d’ouvrir la discussion », regrette-t-il. « Tous les jours, encore aujourd’hui, je me prends des insultes sur les réseaux sociaux. » Une attitude qui ne reflète pas celle de tous les chasseurs, mais qui est approuvée par leurs dirigeants, estime le député : « Willy Schraen [Le président de la Fédération nationale des chasseurs] a refusé de débattre avec moi, vous avez un problème de représentants. »

« Les chasseurs ne sont pas tous de gros rustres avides de sang et les écolos pas tous des bobos citadins véganes », rappelle Kattalin Fortuné. © Charlie Delboy / Reporterre

« Pourtant, les chasseurs ne sont pas tous de gros rustres avides de sang et les écolos pas tous des bobos citadins véganes », rappelle Kattalin Fortuné. « J’ai longtemps voté Vert », a d’ailleurs confié le président de la Fédération des chasseurs de la Drôme Rémi Gandy. « Pour moi le modèle, c’est celui de l’association nationale des chasseurs écologiquement responsables, qui dit qu’il faut qu’on reconsidère notre activité à l’aune de la science de l’écologie. »

Côté EELV, la responsable de la commission condition animale, Laura Rouaux, a rappelé que le parti n’est pas « antichasse ». « On demande à mieux encadrer la chasse, repenser le permis, et d’interdire des pratiques que l’on considère comme cruelles, comme le déterrage des blaireaux ou la chasse en enclos », a-t-elle listé.


2 - Corriger les déséquilibres

Dans le débat, les écologistes s’estiment cependant en position de faiblesse. « Vous avez porte ouverte à l’Élysée, nous on n’a pas cela », a rappelé Charles Fournier, notamment en référence au lobbyiste de la chasse Thierry Coste, proche des présidents de la République depuis plusieurs mandats.

« Les fédérations de chasse ont une place extrêmement importante dans de multiples organisations » alors que les associations écologistes n’y sont pas aussi bien représentées, estime le député. Ainsi, l’agence gouvernementale en charge des politiques de biodiversité, l’Office français de la biodiversité, fait la part belle aux chasseurs.

« Ce n’est pas la chasse qui détruit le tétras lyre, c’est la perte de milieux », dit le président de la Fédération des chasseurs de la Drôme, Rémi Gandy. © Charlie Delboy / Reporterre

Exemple local, le bien nommé OGM — Observatoire des galliformes de montagne — « a inscrit dans ses statuts que le président doit être un chasseur, et a refusé que la LPO y soit représentée », a indiqué un représentant de la Ligue de protection des oiseaux Drôme-Ardèche, présent dans le public.

L’arrivée de Laurent Wauquiez à la tête de la région Auvergne-Rhône-Alpes a accentué la mise à l’écart des écologistes. Les subventions aux associations de protection de la nature ont été sabrées, au profit des chasseurs. « Les chasseurs sont des acteurs de la nature, d’accord », dit Charles Fournier. « Mais il faut corriger l’asymétrie de représentation et l’asymétrie économique. »

Il demande aussi un rééquilibrage des discours sur la question de la régulation des espèces telles que le sanglier : « Il faut que nous écologistes, on entende que les chasseurs font partie de cette régulation, et que eux reconnaissent qu’il y a d’autres formes de régulation. » Par exemple par les grands prédateurs.

« Beaucoup de chasseurs sont conscients et observateurs de la destruction de la biodiversité »

En parallèle, Kattalin Fortuné propose de rééquilibrer la place de la chasse dans les débats sur la biodiversité. « Je suis écologue, je travaille depuis 20 ans dans un parc naturel régional et en tant que professionnelle je constate que ce qui cause le déclin de la biodiversité, ce ne sont pas les chasseurs, c’est le tourisme, la surfréquentation et les sports de nature », rappelle-t-elle.

Au niveau national, « c’est la destruction des habitats [due à la bétonisation], la pollution [les pesticides en particulier], le changement climatique », poursuit-elle. « Beaucoup de chasseurs sont conscients et observateurs de la destruction de la biodiversité. »

Le président de la Fédération des chasseurs saisit la balle au bond, rappelant qu’il aurait pu laisser ses adhérents tirer dix tétras-lyre cette année, mais qu’il a choisi de ne donner l’autorisation pour qu’un seul. « Ce n’est pas la chasse qui le détruit », dit-il. « C’est la perte de milieux ! »


3 – Apprendre à partager la nature

C’est l’un des sujets les plus délicats. « Beaucoup de gens ont peur d’aller se promener dans la nature », rappelle Laura Rouaux. Les chasseurs sont perçus comme violents. Elle cite en exemple le travail de l’association Un jour un chasseur, qui a récolté de multiples témoignages de personnes, par exemple menacées par des chasseurs parce qu’elles ne souhaitent pas que leur terrain soit chassable.

« On a un taux de connards, des comportements aberrants », reconnaît Rémi Gandy, côté chasseurs. Pas toujours facile de tenir ses troupes. « Quand il y a incident, je conseille de porter plainte, et je veux des engagements forts pour que ça ne se reproduise pas », insiste-t-il.

L’interdiction de la chasse le dimanche peut-elle être la solution pour aboutir à ce partage de la nature ? Pour une fois, le débat est apaisé, mais n’aboutit pas à un consensus. Laura Rouaux souligne qu’il y a finalement peu de chasseurs, face à « une majorité de personnes impactées ».

Les écolos ont réussi à ouvrir un dialogue avec le chasseur, à son heureuse surprise. © Charlie Delboy / Reporterre

Le président des chasseurs drômois voudrait des discussions dans chaque territoire plutôt qu’une interdiction nationale, car « il y a des dimanches où on ne voit personne dans la montagne ». Une solution qui compliquerait la vie des promeneurs, conteste Charles Fournier : « Aller se renseigner auprès de l’Acca [association communale de chasse agréée] de chaque commune, c’est trop compliqué. »

Kattalin Fortuné change les termes du débat. « On propose ‘un jour toi, un jour moi’, mais il faudrait aussi se poser la question : ‘La nature, elle a besoin de quoi ?’ Elle devrait être centrale dans nos débats », estime-t-elle. Elle propose de réguler toutes les activités ayant des conséquences pour la biodiversité, car « sur certains territoires, les activités de plein air ont beaucoup plus d’impact que la chasse ».


4 - Voir les combats communs

François Thiollet tente, pour conclure le débat, de proposer une cause commune. « Pourquoi pas contre les chasses privées ? » questionne-t-il. Tous autour de la table s’accordent contre cette privatisation de la nature au profit des plus riches.

Cela permettrait de rappeler la diversité de la chasse : d’un côté celle pratiquée au sein des associations communales par les classes populaires et moyennes sur leur propre territoire, et de l’autre celle des classes supérieures qui payent très cher pour chasser sur des territoires renommés pour leur gibier, à la manière d’un safari — un mode de chasse par ailleurs défendu par certains représentants tels que Willy Schraen.

« Il faut corriger l’asymétrie de représentation et l’asymétrie économique », dit le député Charles Fournier. © Charlie Delboy / Reporterre

Pour Kattalin Fortuné, se déchirer sur la chasse est une perte de temps. « On n’est déjà pas nombreux dans nos territoires, alors si on se bouffe le nez… Et il y a des sujets plus importants, comme se battre pour nos services publics », dit l’élue départementale.

Rémi Gandy finit en s’excusant d’avoir parfois haussé la voix pour tenter de dominer le débat. « Très sincèrement, je me demandais ce que j’allais faire ici », reconnaît le chasseur. « Vous m’avez éclairé. Je sais maintenant qu’un dialogue est possible. »

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